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Birobidjan de Guy-Marc Hinant

Publié le 16/06/2015 par Fred Arends / Catégorie: Critique

Sur les traces du Yiddish

A plus de huit mille kilomètres de Moscou, à la frontière russo-chinoise, s'étend une région aujourd'hui presque oubliée de l'Histoire soviétique et juive : le Birobidjan. Par un long processus de rencontres et de recherches, le réalisateur refait vivre une mémoire, un passé et la langue populaire du peuple juif, le Yiddish.

 

Birobidjan de Guy-Marc HinantEn 1934, Staline reconnaît le Birobidjan comme région autonome juive à l'extrême-orient de l'Ex-URSS et dont le but était de donner des terres agricoles aux paysans juifs. Grâce à une propagande efficace et particulièrement intense, des milliers de familles juives d'URSS vont s'installer dans ces terres, rejointes bientôt par des juifs des Etats-Unis et d'Europe. Loin d'être une terre accueillante comme cela était promis, ils devront affronter un climat rude et des terrains marécageux. 

Suite à sa rencontre à Charleroi avec Benjamin Silberberg, auteur de « J'avais 20 ans, j'avais connu l'enfer », et seul rescapé de sa famille exterminée à Auschwitz, le réalisateur se sent possédé d'une question prenante et obsédante : « Que se serait-il passé si la famille avait rejoint le Birobidjan ? ». Ce documentaire découle directement de ce questionnement. Mêlant entretiens avec de nombreux intervenants, prises de vues dans des classes où l'on apprend le Yiddish aux enfants, plans de nature ou de villages déserts, la première partie est pour le moins déconcertante dans sa volonté de raviver des mémoires, des histoires, des destins. La parole y a une place prépondérante et pourra sembler redondante et diluée. L'équilibre entre les différentes composantes est parfois bancal. Cependant, la parole c'est cette langue, le Yiddish, qui ressort littéralement, retrouve l'air libre. Parlée par la plupart des juifs d'Europe depuis le Moyen-Age, cette langue vernaculaire a quasiment disparu lors de la Shoah et de l'extermination presque totale des juifs européens. Poèmes, chants, théâtre font éclater la richesse, entre joie et tristesse, du Yiddish, à l'image de ce magnifique conte pour enfants où un loup rencontre un blaireau, raconté sur le plan fixe et magnifique d'une fille. 

BirobidjanLa seconde partie rend compte des nombreuses tentatives du pouvoir stalinien pour gommer les cultures singulières et pour forcer les juifs à une assimilation radicale, ce qui impliquait évidemment des violences et des oppressions. Ainsi, des dizaines de milliers de livres écrits en Yiddish et dont l'un des plus grands fonds se situait à la bibliothèque Sholem Aleikhem furent brûlés en place publique, et des générations abandonnèrent tout lien avec leur culture d'origine afin de correspondre à « L'homme soviétique » imposée par Staline. L'intervention du travail de l'illustratrice Dominique Goblet qui tente de redessiner des lieux et des événements passés et dont les traits crissent comme les braises d'un feu, élément fondamental et récurrent du film, offrent une tonalité nouvelle au récit et brise le systématisme du montage alternant interviews, scènes chantées et poèmes écoutés sur d'anciens vinyles.

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