De l'ombre à la lumière
Charleroi. Châlèrwè. Ville stigmatisée, détestée, critiquée. Ville sombre, grise, dure. Et pourtant. Guy-Marc Hinant y est né. Ville qu'il a toujours voulu quitter, ville qu'il a toujours voulu filmer. Après une expédition à Birobidjan pour son documentaire précédent, le cinéaste, auteur et éditeur belge, livre sa propre vision de la cité carolo en s'immisçant dans les moindres recoins de ce pays aux 60 montagnes.
Une plongée dans cette ville encerclée, prisonnière de ce ring serpentant aux abords. Une vision morcelée, un puzzle englobant. Un documentaire où se côtoient le passé et l'avenir, l'ombre et la lumière, le monde d'en bas et celui d'en haut, le bruit et le silence. Une dualité propre à cette cinquième ville belge traversée par la Sambre, une ville chaotique où l'ordre pourtant guette.
Charleroi, c'est une cité industrielle effondrée, une ville aux paysages parsemés de terrils qui pointent le bout de leur nez vers le ciel gris, une langue délaissée, oubliée. Charleroi, ville pleine de fantômes, ceux des proches de Guy-Marc Hinant, celui de Benjamin Silberberg, rescapé d'Auschwitz, de Georges Lemaître, fondateur de la théorie du Big Bang, de René Magritte, Arthur Grumiaux, violoniste virtuose, ceux des ouvriers héroïques et ceux de tous les autres. Guy-Marc Hinant fait résonner leur voix, en filigrane.
Charleroi, c'est aussi une ville en profonde transition où se côtoient les halètements des Zèbres du Royal Charleroi Sporting Club, les essoufflements des SDF dans leurs camps de fortune, les syndicalistes, acteurs d'un renouveau espéré, les pleurs des enfants face à Saint-Nicolas, les premiers émois des ados carolos.
Guy-Marc Hinant passe de l'un à l'autre, du passé au présent avec sa voix, fil conducteur rassurant, une Sambre tranquille. Un documentaire éclairant où se succèdent les anecdotes et témoignages d'historiens, d'architectes, de Paul Magnette, de linguistes. Un documentaire riche, une polyphonie qui nous permet de mieux comprendre cette ville.
Et, il y a toutes ces images glanées ça et là dans les rues de Charleroi. Des plans qui déroutent, qui confondent, qui déstabilisent. Un documentaire expérimental où le mouvement s'arrête, où la stabilité vole en éclats. Un documentaire où le temps perd ses repères. Où la lumière s'immisce à travers les fentes. Où la musique électronique résonne en silence.
Loin d'un documentaire promotionnel, Charleroi. Le pays aux 60 montagnes, est un témoignage à la fois intime et distant visant ainsi à l'universalité. De l'ombre à la lumière, le spectateur découvre petit à petit les facettes de la ville noire, ses secrets, ses spectres, ses trésors enfouis.
