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Christelle Cornil, actrice

Publié le 12/01/2007 par Grégory Cavinato et Katia Bayer / Catégorie: Entrevue

Nous nous retrouvons pour recevoir dans nos locaux la pimpante Christelle Cornil, égérie de l'excellent Xavier Diskeuve et que l'on a découverte en femme forcément patiente de Poelvoorde dans Le Vélo de Ghislain Lambert

Cinergie : Peux-tu nous résumer ton parcours ?
Christelle Cornil : J'ai commencé mes études en Angleterre, à Oxford dans une école de théâtre perdue au milieu des champs... un bon début ! Et puis je suis revenue en Belgique, et je suis entrée à l'IAD, pour une année probatoire. À la fin de l'année, ils m'ont dit « on n'y croit pas trop ». Je me suis donc un peu remise en question, et puis j'ai décidé d'entrer au conservatoire de Bruxelles, ou je suis restée quatre ans. À la fin de la troisième année, j'ai rencontré Philippe Harel et j'ai tourné Le Vélo de Ghislain Lambert qui est sorti un an après, au moment où je sortais de l'école. Ça, c'est pour le côté "scolaire". Pour le reste, c'est Emma Thompson qui m'a donné envie de faire ce métier, surtout sa performance dans Au Nom du Père avec Daniel Day Lewis.


C : Ce tout premier rôle dans Le Vélo... était quand même un rôle relativement important. Beaucoup d'actrices doivent ramer beaucoup plus !
C.C. : Pour moi, c'était un gros coup de bol. Après, il faut se dire que tout le monde rame, que ce soit au début, au milieu, il n'y a pas de règles. Ce qui est sûr, c'est que ce rôle a entraîné plein de belles rencontres, et c'est peut-être grâce à ça que je fais toujours ce métier. C'est arrivé de façon tout à fait inattendue. J'ai rencontré Philippe Harel pour le casting, il m'a rappelée pour me dire : c'est vous ! On ne réfléchit pas à ce moment-là !


C : Est-ce que tu sais pourquoi il t'a choisie plutôt qu’une autre ?

C.C. : Oui, il voulait une fille qui fasse bien belge! Il voulait aussi quelqu'un qui pouvait fonctionner avec Benoît (Poelvoorde), qu'on puisse imaginer dans le peau de sa femme, une fille un peu rangée, discrète et il y a eu un truc immédiat qui s'est passé. Ce sont des choses qui arrivent, le casting, c'est quelque chose qu'on ne peut pas expliquer, c'est ça ou c'est pas ça, il y a comme une évidence.

 

C : Ton rôle dans Le Vélo... est un peu similaire à celui que tu tiens dans Révolution de Xavier Diskeuve ?
C.C. : Il y a un peu de ça oui ! Révolution est beaucoup plus stylisé, joue moins sur le naturel, c’est quelque chose de très figé, de neutre. Mais elles se ressemblent effectivement. Ce sont toutes les deux des femmes au foyer, qui suivent leurs maris, qui ne l’ouvrent pas trop. D’ailleurs, je tiens à dire que je ne suis pas du tout comme ça dans la vie! (rires)

 

C. : Révolution m’a fait penser à Brazil de Terry Gilliam avec son monde rempli de fonctionnaires à priori ennuyeux. Puis, un grain de sable vient enrayer la machinerie...
C.C. : Révolution est très belge mais aussi complètement universel, du fait que le film est muet et dans la manière dont c’est traité. Tout le monde peut s’y retrouver. On n’a pas eu à se poser de questions sur la psychologie des personnages, il fallait faire confiance à ce que Xavier voulait. De plus, sans champs- contrechamps, il fallait assurer. Il y a toujours une porte de sortie pour les personnages de Xavier. Ils sont d’abord renfermés, figés, puis POUF, il y a une ouverture, quelque chose qui se passe, si possible de vraiment déjanté. Dans La Chanson-Chanson, le héros part à Paris pour chanter, dans Révolution, il découvre « un autre aspect » de sa sexualité qui le révèle à lui-même.

 

C : Parle-nous de ta rencontre avec Xavier Diskeuve et François Maniquet.
C.C. : Xavier, c’est une des rencontres que j’ai faites grâce au Vélo de Ghislain Lambert au Festival de Namur, l’année où il est sorti. On a papoté tous les deux, et puis il m’a recontactée un an après pour me dire qu’il avait écrit un tout petit rôle, une panouille dans son nouveau scénario, et que dans sa tête, c’était moi ! Il s’agissait de Mon cousin Jacques que j’ai lu et que j’ai trouvé très comique. Mon personnage, Angèle, était un peu celle qui arrive à la fin pour tout sauver. C’est le genre de personnage pudique, en retrait, dont on sent bien qu’elle ne sera pas une grande aventurière, mais qui est là au bon moment. Très mignon. En ce qui concerne le choix de François, c’est là qu’on voit tout l’art du casting de Xavier. Il y a une vraie alchimie entre nous, on s’entend très bien. On ne fait rien en particulier pour que ça se passe. En fait, on n’y peut rien, nos deux physiques fonctionnent ensemble. Tout comme François fonctionne bien avec Nicolas Buysse. Qu’est-ce qui fait qu’à un moment donné ces duos fonctionnent ? On ne peut pas l’expliquer, c’est juste que Xavier a vu que ça fonctionnait. François est étonnant, c’est un grand scientifique renommé, il est prof à l’Université de Louvain-la-Neuve. Il a quelque chose de lunaire, imperceptible mais il est très éloigné de son personnage de Révolution. C’est quelqu’un qui réfléchit beaucoup et qui travaille énormément sur son rôle. Il a commencé par pure passion en faisant du théâtre amateur avec Xavier. Ils se sont rencontrés là, puis Xavier s’est dit que François avait un vrai physique et une vraie énergie de cinéma. C’est comme ça qu’ils ont fait La Chanson-Chanson avec Nicolas Buysse et que leurs carrières ont décollé.

 

C : Révolution est un film sans le moindre dialogue. Qu’est-ce que ça implique pour les acteurs ?
C.C. : On a eu peur en fait, car on n’avait pas de texte sur lequel s’appuyer. On devait faire entièrement confiance à Xavier pour nous guider, c’était très perturbant pour nous de ne pas avoir d’appui. Ce qui est drôle avec ce scénario, c’est qu’il n’y a pas de texte mais tout était là. Toutes les situations étaient super bien écrites. Je le lis, puis Xavier, blagueur, m’envoie un mail qui dit : « Le dialogue est capital, on va beaucoup travailler là-dessus ! ». Et je lui réponds :  « Oui, bien sûr, j’entends bien ! ». C’est seulement après que je me suis rendu compte qu’il n’y avait pas de dialogue. Dans ma tête, c’était clair : il y avait un dialogue ! Ça veut dire que son histoire était tellement bien écrite que ça parlait, ça vivait !

 

C : Pour Dormir au chaud de Pierre Duculot tu as reçu un double prix d’interprétation à Paris, partagé avec ta partenaire Denise Schwab...
C.C. : Pierre et moi, nous sommes rencontrés au FIDEC il y a 4 ans, nous étions tous les deux membres du jury. À l’époque, il ne parlait pas encore de faire du cinéma. Puis, il m'a envoyé son scénario et ça m’a touché qu’il me le propose. J’ai suivi l’évolution du film de sa première mouture à la finalisation. Denise est arrivée plus tard et tout s'est très bien passé, Pierre nous a fait travailler des petites scènes toutes simples pour voir comment on bougeait, comment on était l'une avec l’autre, davantage un travail sur le corps que sur le texte. On a eu très peu de temps pour répéter, mais on a eu beaucoup de chance au tournage : une super équipe, un temps magnifique, on allait tous dans la même direction!

 

C. : Dormir au chaud est un film qui oppose deux univers. On n'a pas besoin de détenir le passé des personnages pour les connaître.
C.C. : Au début, elles ne se parlent presque pas. La parole vient, mais tout doucement, et il faut attendre la fin avant de voir une complicité. Ce n’est pas non plus une complicité totale : elles ne seront jamais les meilleures amies du monde. Sandrine est reconnaissante de ce que Marthe a pu lui offrir, et Marthe est heureuse d’avoir découvert autre chose avec cette jeune fille qui arrive chez elle. Cette vieille dame isolée retrouve un peu le goût à la vie et un contact humain. Je pense que je suis arrivée dans mon boulot à faire la part des choses entre le travail et les amis. C’est pour ça que c’est important pour moi d’avoir une vie à côté. J’ai plein d’amis hors du cinéma. Mais quand je suis dans le travail, je suis dans le travail : si je dois jouer une mère ou une fille folle amoureuse d’un gars alors que j’ai rencontré l’acteur la veille et que peut-être je ne l’aime pas trop, de toute façon c’est mon métier, je dois travailler! Ce n'est pas  toujours facile, mais ça fait partie de la construction du personnage. Je suis Christelle Cornil qui joue Sandrine, mais c’est Sandrine qui est là, je lui laisse la place. Si je suis fatiguée ou de mauvaise humeur parce que mon café était froid ça ne rentre pas en ligne de compte pour mon personnage, il n'y a pas de place pour ça! (rires)

 

C : Quelles sont les difficultés principales rencontrées par une jeune actrice belge ?
C.C. : La difficulté dans ce métier, c’est qu'il y a des creux. Quand on enchaîne les tournages, c’est rassurant, euphorique. D'un autre côté, quand il y a trop de boulot, c'est difficile à gérer : on est crevé, on a plus de temps pour une vie à côté, et on n’est plus vraiment dans la réalité. Mais le plus difficile, c’est évidemment quand rien ne se profile : pas d’appels, pas de castings en vue... Les doutes viennent forcément dans ces moments-là, même si l'attente génère des moments bénéfiques, où l'on se retrouve avec soi-même et où l'on essaye de savoir si on est sur la bonne voie, si on doit remettre tout son travail en cause. Ce sont des moments de grande solitude, de détresse. On se rattache alors aux moments euphoriques que l’on a connus avant. S'il n'y a pas eu des moments très forts comme j’ai eu la chance d’en connaître, humainement et professionnellement, là on se dit « à quoi bon? Je n’existe plus!… ». C'est pareil pour tout le monde, mais c’est peut-être encore plus difficile pour un comédien car ce qu’il offre c’est sa voix, son corps, ses émotions… Evidemment sur un casting, l'énergie du moment joue beaucoup. Un casting est imprévisible, tellement lié à des facteurs d’états émotionnels du moment que c’est toujours très ingrat, frustrant…

 

C : Y-a-t-il une solidarité entre les jeunes actrices en Belgique ?
C.C. : En Belgique, l'avantage, c'est que tout le monde connaît tout le monde. 
C’est un petit pays et un petit milieu. On est vite amené à rencontrer des gens qu’on a déjà croisés sur d’autres tournages. 
Maintenant, dire qu’il n’y a pas de compétition, je n’irai pas jusque-là. Il ne faut pas oublier que c'est un métier dans lequel il y a plein de gens extrêmement talentueux qui n’ont pas la chance d’être reconnus. C'est dur pour tout le monde. Donc la convoitise est là. Quand je suis dans le creux de la vague, ça m’arrive aussi d’envier mes collègues. Dans les moments où ça va bien, je me pose moins de questions, c’est humain. Il n'y a pas de star-system en Belgique, les films ne sont pas montés sur les noms des comédiens. À Paris, c’est autre chose, l’image prend une toute autre dimension. Paris j’ai plus de mal. Je ne crois pas que je pourrais y vivre. Ce qu'il y a de très fort en Belgique, c’est ce côté très simple dans les contacts humains qui permet de relativiser. C’est super important ! Parfois, c'est très dur de parler de ce qu’on fait quand tout marche bien et que l'on a autour de soi des collègues qui rament. On essaie de s’épargner mutuellement, ce n'est pas de l’hypocrisie, mais une protection mutuelle. Malgré tout, je pense que l'on n’aura jamais un rapport aussi franc avec une collègue comédienne qu’avec quelqu'un qui n'est pas du milieu. Ça fait partie du jeu. Ce n'est pas pour ça qu'on ne peut pas s'entendre et avoir des rapports amicaux. Mais c'est complexe...

 

C : On a tendance à t'employer dans des rôles de jeunes filles très belges. Tu n'as pas peur d’être stéréotypée ? Tu n'as pas envie de jouer les femmes fatales ?
C.C. : Si !!! (rires) Je remarque en regardant mon parcours qu’au début, je jouais surtout des femmes au foyer un peu rangées, gentilles. Après, j’ai joué une paumée, une alcoolo, une mère accusée d’avoir drogué son bébé. Des trucs un peu mélo, des personnages en marge de la société. Puis j’ai joué Sandrine dans Dormir au chaud, une fille rongée par plein de trucs, mais qui a quand même la force d’aller vers autre chose en fuyant.
Ensuite, dans Le Sens de l’orientation, je jouais une fille qui s’assume, qui séduit. Je pense que ce n'était pas innocent non plus. Les choses ont bougé et je ne suis pas mécontente car j'ai quand même derrière moi une chouette palette de personnages différents. Mais je ne pourrai jamais aller à l’encontre de ce que je suis, de ce que je dégage pour les gens. Je suis quelqu'un de plutôt dynamique et positive mais j’ai aussi des coups de blues. Peut-être qu'à certains moments, ça se voit davantage. J'apprends beaucoup en jouant des personnages qui ne me ressemblent pas mais de toute façon, dans tous mes rôles, il y a toujours une grande part de moi qui passe. Je ne peux pas faire un filtre complet sur ce que je suis. Ce n'est pas innocent, c'est une manière de dire certaines choses qui me tiennent à coeur au travers d’un autre personnage.

 

C : Est-ce important pour toi d'accompagner tes films en festivals?
C.C. : Très. Plein de choses positives se passent dans les festivals. Les films de Pierre et Xavier sont vus et appréciés partout. Je les accompagne dans la mesure du possible. Pour le public, c’est important de pouvoir poser des questions, il peut y avoir un vrai contact humain avec des gens réellement curieux de découvrir des courts métrages. C'est parfois une bonne manière de remettre son travail en question. Les festivals sont de formidables cartes de visite mais surtout, des lieux de rencontres. On voit les films des autres, on va manger ensemble, on reste en contact…

 

C : Qu’est-ce qui te pousse à choisir un film ?
C.C. : Tout un tas de paramètres entrent en ligne de compte. Ce qui fait que je dis oui, c'est d'abord le réalisateur. Si je me sens bien avec lui humainement et qu’il propose quelque chose de chouette, je fonce les yeux fermés. Après, vient le scénario. Si l’histoire est intéressante et si ce qu’on me propose de jouer est neuf, je fonce aussi. Un choix de carrière se décide plus dans les projets que je ne fais pas. C’est totalement subjectif. Maintenant, je prends le parti de refuser certaines choses. Je préfère bosser sur les projets de l’asbl que je viens de créer (Entrée Libre) et faire des choses qui me nourrissent plutôt que de faire un truc que je vais traîner comme un boulet. Mais c'est subjectif, ça ne veut pas forcément dire que les projets que je refuse ne sont pas bons. Ça veut dire que moi, dans l’immédiat, je ne me projette pas dedans, je n’ai pas envie de défendre telles ou telles idées ou de donner une image de moi qui ne me plairait pas. Je ne pourrais pas le faire avec cœur, et comme j’ai envie de faire les choses avec cœur, voilà... J’ai rencontré beaucoup de comédiens qui regrettent certains choix et qui sont malheureux. Mais c’est dur pour un acteur de refuser un rôle, payé ou pas ! Moi, je n’en suis qu’au début, j’ai une petite carrière derrière moi, des longs, quelques courts, des téléfilms... mais tout est à construire !

 

C : Peux-tu nous parler de ton rôle dans Cow-Boy de Benoît Mariage ?
C.C. : Je n'y ai qu'un tout petit rôle. Une seule journée de tournage, très chouette. Je joue une animatrice qui reçoit des parents à domicile et leur apprend à utiliser les grands foulards pour bébés. J’ai rencontré une dame dont c’est le métier, et on a travaillé ensemble.
Le jour du tournage, j’ai improvisé là-dessus sur une trame que Benoît avait déjà écrite. C'était chouette de retrouver Benoît Poelvoorde, de rencontrer Julie Depardieu. Benoît Mariage, c'est aussi une super rencontre, je le connais depuis des années. J’espère retravailler avec lui plus longuement car je suis restée sur ma faim.

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