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Cinédécouvertes et Prix de l'Age d'Or

Publié le 01/09/1998 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Critique

Grâce au Prix de l'Âge d'or et au cycle Cinédécouvertes, le Musée du cinéma offre aux cinéphiles curieux l'occasion d'une halte pleine d'intérêt. La programmation est constituée de films récents, remarqués dans les grands festivals de cinéma mais non encore distribués en Belgique. La plupart de ces oeuvres s'écartent des conformismes du cinéma de consommation par leur sujet, leur regard, leur esthétique ou simplement leur exotisme. Le but est, afin d'aider leur diffusion, d'en distinguer cinq qui, par leur démarche ou leur rythme propre, se situent en marge des circuits de production et de distribution traditionnels.


Cette année, le jury, présidé par Dimitri Balachoff et composé de Christine Pireaux, Ana Torfs, Suzanne Welles, André Colinet, Marcel Croës et Hugo De Greef, a décerné le Prix de l'Age d'or à 
Xiao Wu de Jia Zhan Ke, et attribué les Prix Cinédécouvertes à Public Housing de Fred Wiseman, les Mutants de Teresa Villaverde, Passion de György Feher et Du jour au lendemain de Jean-Marie Straub et Danièle Huillet.

Enfin, dans la très riche programmation qui constituait le vivier de ces deux compétitions, il serait dommage de ne pas distinguer deux autres perles : Brat (le Frère) d'Alexeï Babanov et le brûlot du français Gaspard Noé : Seul contre tous.

 

Cinédécouvertes et Prix de l'Age d'Or

Le pickpocket et la putain


Xiao Wu est le premier long métrage d'un réalisateur chinois de vingt-huit ans, qui s'écarte radicalement de la production chinoise traditionnelle. Le film, qui suit les errances d'un jeune pickpocket aussi naïf et maladroit dans ses larcins que dans ses amours, n'est pas sans rappeler un certain cinéma européen tel qu'il s'est pratiqué en Italie immédiatement après la guerre ou en France à la fin des années cinquante. Tourné avec peu de moyens, caméra à l'épaule, dans une ville de province avec une équipe de comédiens amateurs. Loin de se ressentir du minimalisme de la réalisation, le film en tire une liberté de ton, une nonchalance dégingandée qui l'apparente aux premiers films de la Nouvelle Vague, mais pose aussi un regard presque documentaire sur la vie quotidienne dans la province chinoise. Le réalisateur s'y distingue par ses audaces de prises de vue (de longs plans séquences par exemple, caméra à l'épaule, qui ralentissent le rythme au risque d'alourdir le film mais qui sont tellement expressifs) qui fait de Xiao Wu une oeuvre originale, caustique et d'une plaisante vitalité

Raikems à Lisbonne 

Côté fiction, les Mutants de la Portugaise Villaverde offre un regard plein d'humanité sur quelques gavroches de Lisbonne, oscillant entre les centres fermés d'où ils fuguent avec une déroutante facilité et une constance louable, et la rue où ils zonent et voyoutent plus ou moins, désespérément à la recherche d'un peu d'attention pour comprendre comment grandir.

Comme la plupart des cinéastes portugais, Teresa Villaverde a cette manière impressionniste d'appréhender patiemment le réel par petites touches successives. Le rythme de son film est celui de cette patiente perception servie par une caméra inquisitrice aux mouvements soigneusement dosés dans le temps et l'espace. Des images qui explosent parfois en paroxysme d'émotions. Car on joue davantage sur les émotions que sur la raison pour servir le message du film, qui est le cri emblématique de cette fin de siècle : "No Place for Me". Quel autre sort que cette errance marginale, amorale et sauvage peut-il être réservé à ceux dont la seule promesse d'avenir est un "foyer" aux murs fermés ? Le film n'est pas exempt d'une certaine complaisance voyeuriste (l'accouchement d'Andreia dans les toilettes d'une station service est une scène à la limite du supportable par sa longueur et sa crudité) mais a le mérite d'aborder de front le problème de notre responsabilité individuelle et de la démission collective face au destin fracassé de ces gosses perdus.

Un Strip-tease américain ?

Côté documentaire, l'Américain Fred Wiseman porte son regard sur les quartiers populaires de Chicago dans Public Housing.
Pas d'interview face caméra, peu de commentaires et de musique, le cinéaste est très austère dans sa façon d'appréhender le documentaire, mais ce côté brut nous branche en prise directe sur le réel du ghetto noir. Le résultat n'est pas sans évoquer la méthode Strip-tease avec cette manière d'appréhender un contexte social à travers des scènes de la vie quotidienne et des portraits de personnages caractéristiques. La démarche est cependant plus globale et le propos d'une autre ampleur puisque à travers un quartier, c'est toute une communauté, celle des blacks pauvres de Chicago, que l'on cerne dans sa manière de percevoir bonne et mauvaises choses de la vie. Un portrait dressé par petites touches anecdotiques mais que sa longueur (195') rend toutefois un tantinet lourd à digérer.  

Provocation radicale et sans concessions

Enfin, Seul contre tous de Gaspard Noé constitue la vraie révélation de cette programmation. La vision de ce film est une expérience qui décoiffe. C'est un cri de rage pure, une explosion de dégoût et, de ce point de vue, Noé ne s'embarrasse pas de litotes. Se frottant sans hésiter au sordide le plus cru, son cinéma est une arme, un poing qui frappe là où cela fait mal, et sans retenir ses coups. Voilà un film subversif au plein sens du terme dans la mesure où il n'hésite pas à remettre en cause le contrat social en dénonçant ses limites et ses duperies. Ce n'est pas idéologiquement sans danger car on ne plonge pas à ce point dans la douleur collective sans chatouiller des démons qui n'ont que trop tendance aujourd'hui à se manifester. Mais le film a, dans sa rudesse et sa brusquerie, un accent de vérité pathétique qui touche. Quand d'autres édulcorent, dissimulent, regardent ailleurs, Seul contre tous parle vrai, sans emballage faux cul. D'un point de vue purement cinématographique, la caméra colle à son héros et va accompagner sa descente aux enfers avec un réalisme à faire dresser les cheveux. On assiste impuissants à la montée féroce de la rage démente de cet ancien petit commerçant, cocufié par la vie et par le système, méprisé, abandonné et qui dans ce maelström tente tant bien que mal de sauvegarder son identité, sa dignité d'homme. C'est le constat d'échec d'un système condamnant à une mort virtuelle quiconque ne veut ou ne peut passer sous ses fourches caudines. Et au moment où on est disposé à accepter le suicide du héros, issue inéluctable de ce long cauchemar, Gaspard Noé réaiguïlle son film pour le remettre sur la voie de l'avenir, de l'espoir, mais en brisant une ultime fois ce contrat social faussé, cimenté au conformisme bourgeois qui lui fait horreur en s'attaquent au plus ultime des tabous : celui de l'inceste. Provocation ultime qui vaudra à l'oeuvre une condamnation radicale des conformistes.

Une velléité de renouveau du cinéma russe

Danila est un jeune Russe de vingt ans qui sort du service militaire et s'emmerde dans son trou de province où l'on crève de faim. Sa mère l'envoie donc rejoindre son frère, à saint Petersbourg. Ce "frère qui a réussi" est en fait un des tueurs de la mafia, l'un des plus craints, donc l'un des plus menacés.
C'est la raison pour laquelle il entraîne Danila dans ses contrats. Lui est nouveau et moins visible. Et il fera preuve d'une aptitude étonnante pour sa nouvelle vie.

Tout le plaisir du film d'Alexeï Babanov, Brat, est dans le regard que pose le réalisateur sur son héros, à la fois monsieur tout le monde et personnage hors du commun. Pétri de contradictions, encore dans l'âge trouble séparant l'adolescent de l'adulte, coincé entre les principes moraux d'égalité, de probité, de justice sociale hérités du communisme et le pragmatisme sans foi ni loi présenté comme indispensable pour survivre dans cette Russie des chevaliers d'industrie et des parrains de la mafia, Danila devra chercher sa voie.
Il la tracera, seul au milieu de l'égoïsme et de la veulerie de ceux qui l'entourent, préservant tant bien que mal sa part d'humanité dans cet armaggedon moral présenté comme la Russie d'aujourd'hui.
Sans parvenir à se démarquer de l'atmosphère générale de crise profonde avec laquelle se débat le cinéma russe d'aujourd'hui, le film a le mérite de ne pas se résigner au misérabilisme. Sergueï Bodrov, avec sa gueule à la Patrick Bruel, incarne avec justesse le paradoxe de cet adolescent chaleureux qui est aussi un tueur sans scrupules.

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