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Cinema as Assembly

Publié le 18/04/2025 par Kevin Giraud / Catégorie: Entrevue

Le cinéma, un outil de lutte, mais aussi un outil pour se rassembler?

C’est en tout cas l’objectif derrière le cercle d’étude Cinema as Assembly qui s’est achevé ce samedi au Kaaistudios. Un projet mis en place par l’artiste, chercheur et cinéaste Robin Vanbesien (Hold On to Her) en co-conception avec le collectif Subversive Film et Grégory Castéra dans le cadre du programme World Histories of the Commons à Kanal-Centre Pompidou, en collaboration avec le Kaaitheater.

Rencontre avec Robin Vanbesien et Reem Shilleh (Subversive Film).

Cinema as Assembly

Cinergie : Pouvez-vous vous présenter, et expliquer à nos lecteur·ices comment est né ce projet?

Reem Shilleh : Pour ma part, je suis représentante du collectif Subversive Film, un groupement dans lequel nous nous concentrons sur les histoires et récits de différents cinémas révolutionnaires et cinémas militants, en particulier en relation avec la Palestine, et où nous réfléchissons aux méthodes de recirculation de ces cinémas. C’est dans ce cadre que Robin m’a proposé de rejoindre le projet Cinema as Assembly, avec l’idée de créer un cercle constant et une conversation autour du cinéma en tant qu’assemblée et vecteur de collectivité.

Robin Vanbesien : En tant qu’artiste et cinéaste, j’ai beaucoup travaillé ces dernières années sur la manière dont les films et le cinéma peuvent être liés à l’imagination et à la mémoire collective. Cette collectivité a toujours été vécue dans la lutte politique, dans l’auto-organisation, et c’est quelque chose que j’ai ressenti très fortement dans le tournage de mon documentaire autour de la mort de Mawda Shawri. De là la question à l’origine de ce cercle d’études : comment le cinéma peut-il créer ou maintenir cette solidarité, cette collectivité?

C’est ainsi qu’a débuté cette conversation, avec des artistes et des collectifs comme La voix des sans-papiers, et bien d’autres se sont ajoutés ensuite.

 

C. : Comment avez-vous sélectionné ces participant·es?

Robin Vanbesien : La réponse courte, c’est que cela s’est construit au fur et à mesure de cette conversation. Ce qui était important en tout cas, c’était de rassembler et de créer des espaces d’échange autour du cinéma et des pratiques de chacun·es. Cinema as Assembly a rassemblé les collectifs Forum Lenteng, La Voix des sans papiers et Subversive Film ainsi que les artistes Marinho de Pina (Mediateca Abotcha), Mieriën Coppens et Elie Maissin, Marwa Arsanios, Massimiliano Mollona, Bojana Cvejić, Elettra Bisogno, Lara Khaldi, Elhum Shakerifar, ainsi que moi-même.

Reem Shilleh : Ce qui nous a unis, et qui nous a aussi guidés dans la création de ce groupe, c’est la recherche de fabrication d’un cinéma de manière collective. Une réflexion qui s’intègre dès le début du processus cinématographique. Et en cela, des artistes qui sortent d’une conversation avec uniquement des cinéastes pour créer aux côtés de groupes, s’organiser et réfléchir ensemble à la réappropriation de leur image, à la réaffirmation de leur existence et de leurs droits. Avec chacun·es des contextes différents.

 

C. : Quels défis communs, quelles difficultés communes avez-vous pu identifier au travers de ces échanges?

Reem Shilleh : Pour nous toustes, je pense que la difficulté essentielle, c’est de savoir comment on peut continuer à fonctionner, à faire du cinéma ensemble dans un moment politique très difficile et très sombre pour tout le monde. Comment faire alors que nous sentons un besoin de se rassembler encore plus, et comment poursuivre notre volonté de réaliser et d’utiliser le cinéma comme outil d’apprentissage collectif.

Robin Vanbesien : Il est certain que ce qui stimule aussi cet échange, c’est l’urgence et la nécessité. Car ces méthodes d’auto-organisation et de volonté de collectivité découlent régulièrement d’une urgence de la transformation politique ou sociale. Une volonté de récupérer rapidement ce qui est commun, ce qui devrait être public. Et là, c’est dans ce contexte que le cinéma peut être rassembleur et nous donner quelque chose, non seulement lorsque nous le regardons et qu’il nous renvoie notre lutte, mais aussi lorsque sa création devient elle-même un processus d’imagination collective.

Reem Shilleh : Ces questionnements communs portent aussi sur la manière dont chaque artiste se constitue sa boîte à outils, comment est-ce que nous réfléchissons à la diffusion des films, comment est-ce que l’on voit le cinéma par rapport à la communauté. Et comment, en tant qu’artistes, on peut être dans une position de médiation. Pour pouvoir rendre à celles et ceux qui le désirent leurs droits et leur représentation, qu’iels puissent se réapproprier leur image.

 

C. : Cette réappropriation, cela dépasse le cinéma?  

Robin Vanbesien : Je pense qu’inévitablement, une grande partie des conversations que nous avons eu concerne le cinéma, car ce sont nos pratiques. Mais le mot cinéma en lui-même mérite déjà d’être démystifié. Il s’agit de décentrer ce qu’est le cinéma, de se réapproprier ce qu’est le cinéma en tant que technique, en tant qu’espace d’expression.

 

C. : Comment le collectif Subversive Film s’intègre dans cette réflexion de réappropriation des images?  

Reem Shilleh : Une grande partie de notre travail se situe dans la conservation et la diffusion du cinéma militant palestinien, et plus précisément celui qui s’est fait entre 1968 et 1982 pendant la période révolutionnaire. Cela implique de se pencher sur la question de la mémoire, ainsi que sur la manière dont ses films étaient très largement diffusés à l’époque à travers des réseaux de solidarité transnationale. Et cette circulation s’est arrêtée à un moment, du fait des changements politiques, mais aussi par la montée du néolibéralisme. Ce que nous faisons aujourd’hui, et la raison pour laquelle nous participons aussi à ce cercle d’études, c’est revenir sur ces films, mais aussi sur ces réseaux de diffusion. C’est une réflexion sur la manière donc nous nous connectons les un·es aux autres, sur la manière dont les luttes se déroulent aujourd’hui. C’est quelque chose de résolument nécessaire aujourd’hui. 

 

C. : Qu’espérez-vous retirer de ces échanges?

Robin Vanbesien : Chacun·e d’entre nous était déjà conscient·e des défis de ces pratiques cinématographiques. Mais il s’agit aussi d’échanger, de comparer, et d’évoquer ensemble ces thèmes de redistribution, de collectivité. C’est délicat de parler de conclusion, mais je pense aussi que nous n’essayons pas d’y parvenir. Les participant·es présent·es ici le sont pour l’enrichissement de l’écoute, et pour l’énergie et les liens qui ressortent de cette volonté de s’assembler. 

 

Retrouvez le programme de l’événement ici.