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Confinement de Boris Lehman

Publié le 15/12/2021 par Bertrand Gevart / Catégorie: Critique

Pendant le confinement, certaines personnes ce sont mise au sport, d’autres ont découvert l’existence de leur cuisine. Mais le cinéaste Boris Lehman a recueilli des images, et en a fait un film, malgré lui. Tout commence par une caméra prêtée par Sarah. Le confinement est imminent. Les vaccins aussi. Il reste alors des images à faire, inexorablement.

Confinement de Boris Lehman

Dans son atelier, Boris Lehman se tient debout, face à une caméra dont il confesse un apprivoisement difficile. Désormais, pendant ce confinement, c’est sa « bulle » la plus proche. D’un air parfois sérieux, tantôt désinvolte, avec la même fougue politique, il se filme et discourt sur les choses qui l’entourent. Le cinéaste joue, dès lors, sur les mots et les images, entrechoque l’objet et l’idée, inscrit un rapport de « choc » entre une histoire chronologique et linéaire, et une histoire faite d’interruptions.
Mais que filmer lorsque le monde semble se fermer sur soi ? Murs. Corde pour se pendre. Tableaux. Mots. Sol fissuré. Le peu de ciel qu’il lui reste. Fenêtre sur cour.
Il scrute chaque élément et le détourne parfois avec un pessimisme critique, comme ce banc sur lequel s’envole l’interdiction de s’asseoir mise par la police, ou cette obligation de tenir la distance avec toutes choses. Boris Lehman s’adonne à énumérer, dans un dispositif aux allures « simples », une succession de « choses » face caméra et par des regards-caméra qui rendent compte de l’impossible tâche de donner corps à celles et ceux qui ne sont plus là. Le corps est aussi le lieu où se joue l’autoportrait, pour Muriel Tinel-Temple : « Faire son autoportrait ce serait alors non seulement figurer un corps (qui bouge, parle, va mourir) mais également désigner, interroger, modifier, perturber, remettre en question un médium et son support »1

Un jeu corporel, véritable jeu d’échelle entre Boris et lui-même et entre lui et les objets ou la caméra, se met en place. Dans une chorégraphie d’entrée de champ, ses mains, ses avant-bras, son buste, son visage, parfois debout ou assis, se donnent progressivement à notre regard. Ce corps coupé, morcelé qui accompagne les objets est précisément le miroir du corps des naufragés, des oubliés, des vaincus, car comme il le dit : « Le cadre est aussi une prison».

Enfin, Boris joue sur le registre de la citation et du déplacement d’un contexte à un autre, l’arrachant parfois à son contexte fantasmagorique marchand pour le placer dans un espace où se côtoient des temporalités différentes, où l’objet est le lien entre passé et présent. L’objet perdu dans le désordre infini de l’espace intérieur ne serait donc plus l’apanage de la modernité, mais une forme incarnée du «refus d’un passé disponible et maîtrisable». Il y a donc la possibilité même d’effectuer une forme de mémoire des lieux en opposition à l’extérieur dont l’évolution est dictée par l’accélération et les destructions engendrées par le progrès. À y regarder de plus près, Boris Lehman n’est-t-il pas finalement en train de proposer un essai de microhistoire à partir d’objets intimes, privés, sociaux, depuis son atelier, depuis soi pour dire quelque chose du monde et faire en sorte comme il le dit : « Pour que le cours des choses déville ».

Finalement, Boris Lehman propose une réflexion à partir de son «je» en introduisant des gestes critiques tant sur l’histoire comme «cumulative» que sur la modernité et le progrès. Par l’intrusion d’images effractions, d’archives sensibles incarnées par des objets divers ou des photographies, son cinéma investit un pan de l’intime à partir de questions sur l’histoire et dans l’actualité du présent.


1 MURIEL TINEL-TEMPLE, Le cinéaste au travail. Autoportraits, Paris, Hermann, 2016, p. 19.

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