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Control X de Bernard Declercq et Thomas François

Publié le 12/09/2007 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Entrevue

Rencontre avec les réalisateurs : Bernard Declercq et Thomas François

Cinergie : Ce sont rarement des adolescents qui sont les héros dans des films belges.
Bernard Declercq : Oui, même dans le cinéma social en général.

C. : Le milieu social me dérange un peu, je veux dire ces bourges épouvantablement riches, moi, clairement je ne connais pas des gens comme ça.
B. D. : Mais ça existe.

C. : Un peu comme dans Bunker Paradise, ça fait un peu sarkozien.
B. D. : Ségolène Royal a une belle propriété aussi vous savez ! (rires)

C. : Oui, mais ça représente une infime partie de la population. Est-ce volontaire de choisir ce milieu-là ?
B. D. : Nous avons choisi ce milieu pour deux raisons principales. Ce milieu bourgeois n'apparaît pas du tout dans le cinéma belge, on voulait montrer qu’il existe et qu'il n’y a pas de raison de le cacher. Ensuite, on n’avait pas envie que par rapport au sujet du film (l'abandon sous X et la quête d’identité) viennent s’ajouter des problèmes liés à un quart-monde ou à un désœuvrement économique.
Si on avait choisi un milieu plus difficile économiquement, on ajoutait quelque chose qui pouvait devenir un prétexte à ce désœuvrement, et on n’avait pas envie de ça. On voulait vraiment parler de l’adolescence et de cette période qui peut être une période difficile pour ces ados, qui n’est pas liée nécessairement au milieu social.

C. : Vous avez quand même choisi un cas assez particulier, celui de l’adoption.
Thomas François : On a voulu partir d’un cas particulier, celui d’un enfant né sous X, pour ouvrir la discussion aux adolescents d'aujourd'hui en perte de repères : ceux qui ont envie de changer de parents, ceux qui ne voudraient pas en avoir ou bien ceux qui n’en ont pas (comme Sébastien), et qui recherchent à tout prix leurs parents biologiques.

C. : Dans votre film, aucun des quatre ados n’a vraiment de parents, en tout cas, on ne les voit pas.
T. F. : Ce sont des parents démissionnaires. On a voulu faire ressentir ce manque de présence. Ces parents n’entourent pas leurs enfants, ne leur donnent pas l’amour dont ils ont besoin.

C. : Sauf pour Sébastien, il a des parents épouvantables, en tout cas un père épouvantable, c’est très bien joué par Thierry De Coster, c’est une véritable tête à claques, et qui n’arrête pas de lui courir après.
B. D. : On retrouve un père complètement perdu, effectivement très autoritaire. Il ne sait plus dans quelle voie partir et il devient très strict sans comprendre exactement les motifs de son fils. Et puis, dans le couple, il y a deux sensibilités différentes aussi, et chacun s’enferme un peu. C’est ce qu’on a voulu montrer dans le film. La mère est peut-être trop douce et le père trop dur et chacun reste sur sa position après 16 années d’éducation. De nombreuses familles explosent lorsque l'enfant adopté atteint l'âge de l'adolescence.
T. F. : C’est presque même une intention de l’enfant ; semer le malaise au sein du couple et les liguer les uns contre les autres pour provoquer ce malaise.
B. D. : Une intention de provoquer l’échec. Etant donné qu'eux viennent d’un échec, qu'ils l'ont vécu dès le départ, ils veulent provoquer des échecs partout. Comme Sébastien, dans le film, qui vole des mannequins et qui revient le lendemain matin pour se faire punir. Le besoin de tout le temps être cassé, d'être le mauvais, de revenir sur cette idée d'échec.
T. F. : Pour en revenir au rôle de Thierry De Coster, donc du père adoptif, il y a une scène qui est assez éloquente : ils sont obligés de changer la serrure de la porte d'entrée. Le seul moyen qu'ils ont est de changer la serrure pour que l'enfant soit obligé de sonner et à ce moment-là d'avoir une chance de l'attraper. Comme le disait Bernard, il fait tout pour les mettre à bout.
B. D. : Nous avons voulu montrer que les parents sont souvent perdus devant leurs ados, d'autant plus dans une société où les parents bossent de plus en plus, où ils sont fort occupés en dehors de la cellule familiale. C'est ce mouvement-là qu'on a voulu traduire, les parents qui croisent leurs enfants sans plus avoir de temps d'échange. Je crois que c'est lié à ce passage de l'adolescence à l'âge adulte. Sébastien grandit tout doucement. Il accepte le monde féminin. À la fin du film, il avance vers sa mère biologique et je crois que là, il y a effectivement une évolution de sa part, un passage obligé...
T. F. : Le passage à l'état d'adulte, c'est un peu la transformation du personnage principal joué par Bruno Borsu. C'est l'acceptation d'avoir une petite amie, et d'aller rencontrer sa mère biologique. C'est une sorte de sevrage, il vit une transformation quand il accepte de rencontrer sa mère biologique alors qu'il avait toujours refusé.

C. : C'est un des parcours intéressant du film. Au début, il est complètement pris par son père adoptif et finalement, il va aller vers sa mère...
T. F. : C'est ça. Au départ, l'objectif de Sébastien c'est de reconstruire une image du père idéal. Il y a une scène où il est devant un immeuble dans lequel habiterait peut-être son vrai père. Il voit passer des hommes qui entrent dans cet immeuble, il les choisit en quelque sorte. Il dit « non pas celui-là, il n'a pas la tête qu'il faut. Non celui-là, il a des enfants ». Il n'est pas du tout réaliste à ce moment-là, il fantasme son père idéal.

C. : Il y en a un qu'il choisit, qui est très sympathique mais qui n'est pas son père.
B. D. : Très sympathique et très fascinant pour un adolescent puisqu'il représente tous les interdits. Mais il se ment à lui-même parce que dès sa première rencontre avec son père biologique, il sent que c'est lui mais il n'en veut pas. Il préfère se le construire. Il a à la fois l'immense privilège de se construire un père et la dure réalité de ne pas en avoir. C'est pour ça qu'il ment sur tout, qu'il ment à tout le monde. Et avec ce père fascinant, il va continuer à mentir et pouvoir vivre dans cet endroit qui n'est pas la réalité. C'est comme s'il rencontrait un copain plus qu'un père.
T. F. : C'est le contraire de son père adoptif.

C. : Et il rencontre la fille en même temps.
B. D. : Il a un grand doute en lui parce que quelque chose se dessine avec cette fille et c'est peut-être sa demi-sœur. Il le vit très mal quand il découvre qu'elle vit dans cette maison, il casse tout puis, il prend sa place et elle va dormir ailleurs. Il veut vraiment prendre ce territoire pour lui car il ne l'a jamais eu, il va au bout de son idée.

C. : On peut parler de la manière dont le film s'est réalisé. Il a coûté très peu d'argent.
B.D. : Très très... peu.

C. : Il a été fait en 28 jours avec 300.000 € avec en moyenne 9 séquences par jour. Comment ça s'est passé ? Vous avez tourné avec, Rémon Fromont, un grand chef opérateur qui travaille notamment avec Chantal Akerman.
B. D. : Il faut dire que nous avons bossé 3 ans sur l'écriture du scénario tout en faisant des repérages. On a préparé énormément en amont, et on savait qu'on n'avait qu'un petit budget. On a regroupé les décors le plus près possible dans Bruxelles pour pouvoir faire 9 séquences par jour sur 2 décors. On a pris beaucoup de temps pour trouver ces décors qui correspondent à l'histoire que l'on voulait raconter. Et puis, s'est greffée autour de nous toute une équipe avec Rémon Fromont, Marcel Bikeresse et d'autres beaucoup plus jeunes. On est parti sur 28 jours avec des journées bien remplies.
T. F. : Le jour où Rémon Fromont a dit oui parce qu'il avait bien aimé le scénario, ça a été génial pour nous ! Il a amené ses techniciens, et on s'est senti rassuré techniquement parlant.

C. : Vous avez raison, car personne n'ose s'attaquer à une personne comme Rémon Fromont sur un plateau... Ce n'est pas la première fois que vous travaillez ensemble, vous avez déjà fait un court. Comment s'est passé le travail concrètement ?B. D. : On ne se dispute jamais (rires)!

C. : C'est déjà bien...
B. D. : À chaque fois, que ce soit pour le court ou le long, on avait très peu d'argent, donc on devait préparer longtemps à l'avance. Le découpage sur le plateau, les répétitions avec les comédiens étaient déjà faits. Sur un cadre, j'ai un avis, ou Thomas a un avis, puis on en parle. Sur un tournage de 28 jours, on a fait 2 fois une séquence sur laquelle on n'était pas d'accord sur le cadre mais pour le reste, on a préparé à l'avance. On n'avait pas le choix, on avait 9 séquences par jour, on pouvait faire maximum 15 plans par jour, il fallait savoir ce qu'on voulait.

 

 

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