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Dames de couleurs, entretien avec les réalisateurs

Publié le 06/09/2012 par Dimitra Bouras / Catégorie: Entrevue

Premier film d'une femme connue dans le milieu socio-culturel bruxellois, fonctionnaire de profession, anthropologue de passion et surtout collectionneuse des savoirs artisanaux traditionnels. Rencontre, dans son salon multicolore, entre bois, cuirs et tissus, aux côtés de son co-réalisateur, Jean-Claude Taburiaux.

Patricia Gérimont : J'ai toujours été passionnée de textile, de manière amateur. En 2004, j'ai fait un voyage à Bamako d'une quinzaine de jours. Je savais qu'il y avait des teinturières réputées, et j'étais très intéressée d'apprendre les techniques de nouages. C'est ainsi que je suis arrivée chez Sanata, la teinturière qui va devenir le personnage de mon livre, et ensuite, une des protagonistes de mon film. Elle m'a dit ensuite qu'elle n'avait pas du tout envie de m'accueillir, mais comme c'était une bonne cliente qui avait fait l'intermédiaire, elle n'avait pas osé dire non ! Ce qui m'intéressait, ce n'était pas tant la teinture que le nouage. J'ai été accueillie dans l'atelier de son beau-frère, en face, pour apprendre à nouer. Pendant 15 jours, je me rendais chez mes amies teinturières, et c'est ainsi que j'ai découvert l'Afrique, le Mali, en restant assise au même endroit et en faisant et en défaisant les nœuds que je tentais de faire. C'est tout un apprentissage, un tour de main à trouver ! Au fur et à mesure des jours, j'étais fascinée par ce monde de la teinture, plus riche au niveau des couleurs et des motifs que je n'avais imaginé. J'ai découvert un milieu extrêmement chaleureux et intéressant et j'ai créé des amitiés.Dames de couleurs, Patricia Gérimont
Quand je suis revenue après mes 15 jours de vacances, j'ai montré mes photos à un ami. Il m’a dit : «  Là, tu tiens un sujet, tu devrais écrire un livre. » Il m'a fait rencontrer un ami éditeur à Paris qui m'a répondu : « Travaillez, on verra bien ». Je l'ai pris au mot, et à chaque congé, je repartais à Bamako, de 2005 à 2008. Le livre est alors sorti en 2008.
Une fois qu'on a mis le pied dedans, il y a tout un monde qui s'ouvre à vous. J'ai fait beaucoup de recherches, rencontré des conservateurs de musées, etc. Le livre fini, je suis retournée à Bamako pour l'offrir aux teinturières. À ce moment-là, le Musée national du Mali allait accueillir une exposition du peintre contemporain Claude Viallat, et pour donner une sorte de change local à la peinture de cet artiste, on m'a proposé de monter une exposition de basins, mais dans le cadre d'une exposition d'art contemporain. Je suis la première à avoir sorti le basin du domaine du vêtement pour le placer dans le domaine artistique et depuis lors, pas mal de gens ont commencé à s'y intéresser. On vient de faire une exposition à Nantes organisée par une association qui promeut l'art africain, elle va se poursuivre à Clermont-Ferrand, à Besançon, etc.

Dames de couleurs, Patricia GérimontCinergie : Après un livre, des expositions, tu es passée au cinéma. Le film que tu viens de terminer,
Dames de couleurs, donne une approche supplémentaire du travail de création des teinturières. On y découvre l'organisation sociale qui entoure ce travail.
P. G. : Je ne voulais pas faire un film exclusivement technique, je voulais y croiser la vie des personnes. Très naturellement, le projet du film a mûri en moi. J'avais envie non seulement de montrer la beauté du tissu, mais aussi de faire comprendre les questions qui traversaient ces familles de teinturières. La famille qui m'a accueillie à Bamako est une famille polygame où les trois épouses sont teinturières. Il faut savoir que le métier de teinturière est un métier féminin. Les hommes font ce qu'on appelle "les attaches", les motifs qu'on fait préalablement sur les tissus avant de les plonger dans la teinture. C'est un monde assez codifié d'hommes et de femmes avec chacun un rôle et tout ça dans une économie informelle, sans contrats d'emploi ou de comptabilité. C'est la débrouille.

C. : Ce que l'on voit également dans le film, c'est que d'une région à l'autre, il y a des traditions de motifs et de teintures utilisées.
P. G. : Quand j'ai monté cette exposition de basins à Bamako, je suis partie au Pays Dogon. Après la teinture urbaine, j'avais envie de m'intéresser à la teinture de brousse. J'ai fait le processus à l'envers, je me suis intéressée à ce qui se fait de plus contemporain en ville avant de retourner à la source, au Pays Dogon, où les teinturières pratiquent encore l'indigo. L'usage de l'indigo qui provient d'une plante, l'indigotier, est en voie de disparition en Afrique de l'ouest. On n'utilise plus que des produits chimiques, plus rapides et plus efficaces et qui donnent une palette de couleur beaucoup plus large.
Je suis arrivée après plusieurs voyages dans un village où la moitié des habitants ne sont que des teinturières. J'ai vécu dans ce village, et j'ai noué des relations avec des teinturières dont Diko, la présidente des teinturières du village. Il s'est avéré que c'est une très bonne initiatrice, très ouverte. C'est comme ça qu'on s'est attaché, Jean-Claude Taburiaux et moi, à deux personnages quand on s'est lancé dans la réalisation du film. Sanata à Bamako et Diko au Pays Dogon.

C. : Comment avez-vous travaillé, Jean-Claude et toi ?
P. G. : J'avais terminé le livre et j'avais commencé à filmer avec une petite caméra, mais c'était trop compliqué pour moi. J'avais ce désir de faire ce film et, par le plus grand des hasards, j'ai rencontré Jean-Claude, caméraman, qui connaissait le Pays Dogon et qui avait eu connaissance de mon travail. Il m'a proposé de faire ce film ensemble. Ayant fait des repérages à Bamako auparavant, j'ai demandé aux familles que je connaissais leur accord, ils ont accepté sans problème et au Pays Dogon, Diko, a très vite compris que c'était une façon de se faire connaître et de faire reconnaître la tradition artisanale. Au Pays Dogon, les villages sont très isolés, le village de Diko se situe en dehors de la zone touristique, et c'était une opportunité pour eux de montrer qu'ils existaient. On a fait 3 voyages. Dès le premier voyage, on s'est partagé entre Bamako et le Pays Dogon, le film est constitué des 3 tournages qu'on a faits successivement en 2 ans. 

Dames de couleurs, Patricia GérimontC. : Est-ce que cela n'a pas posé de problèmes de montrer les techniques utilisées ? J'imagine que ce sont des secrets jalousement gardés.
P. G. : Sanata a reçu des appels anonymes où on lui disait que les blancs venaient filmer nos secrets de teinture, mais elle a résisté. Le film, à la différence du livre, n'est pas didactique ni technique. La teinture est utilisée comme un décor, une ambiance plutôt qu'une démonstration technique. Le film s'attache plus aux teinturières qu'aux teintures.

C. : Après ce premier film, tu as envie de te lancer dans une nouvelle aventure cinématographique ?
P. G. : Avec Jean-Claude, on a un projet, qui, vu les circonstances politiques actuelles, est mis de côté, mais qu'on aime beaucoup. Nous avons rencontré un médecin du Pays Dogon, un médecin formé à la médecine occidentale qui travaille avec des sorciers et des praticiens traditionnels. Il était venu vers nous en nous demandant qu'on fasse un film sur les questions qui traversent son métier parce lui-même est traversé par des contradictions fortes. Un autre projet serait de partir sur le fleuve Sénégal à la recherche de teinturières d'indigo sans doute disparues. L'avenir nous dira ce qui se fera.

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