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Dan Cukier, président de la Commission de sélection

Publié le 06/05/2010 par Dimitra Bouras / Catégorie: Entrevue

Bien connu dans le milieu culturel et artistique bruxellois, Dan Cukier est surtout connu auprès des professionnels du cinéma, ceux qui hantent la Commission de sélection de la Communauté française et ceux qui assistent aux Bilans annuels du cinéma et de l'audiovisuel. 
Sa cinéphilie et son sens de la discussion, l'ont conduit à participer à la Commission de sélection puis à la présider, sur une durée totale de plus de quatorze ans. 
Son mandat prenant fin avec l'achèvement de cette décennie, nous l'avons rencontré pour débattre, d'une part sur le fonctionnement de la Commission de sélection et savoir pourquoi un projet de film est choisi plutôt qu'un autre ; ensuite, pour profiter de son expérience dans la durée, et survoler l'évolution du cinéma francophone de ces quinze dernières années. 

Dan Cukier : La Commission, c'est à peu près 10 millions d'euros. En accord avec la profession, ces 10 millions se divisent en trois sessions : une de printemps, une d'été et une de fin d'année. Ces trois sessions sont encore divisées en deux : 45% pour le premier collège, et 55% pour le deuxième. Le premier collège est réservé aux dossiers pour des auteurs qui n'ont jamais fait quelque chose dans cette catégorie. Par exemple, un auteur de court métrage confirmé qui décide un jour de faire un long métrage sera au premier collège. Mais s'il a déjà fait un long métrage, il passera au deuxième collège. Il y a essentiellement trois catégories : le long métrage, le court métrage et le documentaire, plus quelques périphériques : dans le long métrage, il y a les aides à l'écriture, à la finition et une petite section pour les films expérimentaux.

Cinergie : En quoi consiste le travail de membre de la Commission de sélection et de président ?
D. C. : Un membre de la commission de sélection reçoit une enveloppe. Dans cette enveloppe, on constitue session par session, une sorte de jury de lecteurs, il y en a 6, 7 ou 8 selon les catégories. Chaque lecteur reçoit tous les dossiers, c'est-à-dire tous les scénarios et toutes les explications qui les entourent. Après lecture, ils se réunissent en un jour ou deux pour en débattre et voter. Un membre de la commission, c'est avant tout un lecteur de dossier.

C. : Vous avez suivi l'évolution de cette Commission sur une longue durée, qu'en déduisez-vous ?
D. C. : En quinze ans, le premier mouvement à souligner c'est l'augmentation quantitative du nombre de demandes. De mémoire, je peux dire que, quand je suis arrivé à la Commission, il y avait 189 projets cette année-là, toutes enveloppes et catégories confondues. L'année dernière, il y en a eu 451 ! Une telle poussée quantitative est évidemment influente. D'abord, il faut beaucoup lire, c'est une première chose, et tous les membres de la Commission sont des volontaires qui travaillent très dur et consacrent une partie importante de leur temps pour cette opération. Deuxième chose, il faut savoir que l'augmentation réelle des demandes ne s’est pas assortie d’une augmentation des budgets, ce qui fait qu'il y a une incontestable sévérité qui est apparue. Pour respecter les enveloppes, il a fallu être plus ferme. Si au départ, on était un peu plus coulant, à présent, le respect des règles est primordial. Dès la saison prochaine, ce sera encore plus rigoureux. Si un scénario ne rencontre pas l'adhésion de la Commission une première fois, il pourra être encore présenté jusqu'à quatre fois maximum. Moi, j'ai connu un cas avec six présentations.
Parallèlement à la sévérité, il y a surtout, du côté des producteurs, une véritable professionnalisation. Les grands producteurs présentent des dossiers très précis, qui prennent les lecteurs par la main et leur expliquent exactement leur intention.
La grande difficulté pour la Commission, c'est qu'elle se trouve très en amont. À partir du support papier, on doit rêver le film que ça va donner. Toutes les aides préalables, toutes les notes d'intention du producteur, les notes d'intention du réalisateur, les débuts de castings, des photos, tout ce que peut nous aider à imaginer ce que pourrait être le film sont les bienvenus pour prendre des décisions.

Portrait de Dan Cukier, président de la Commission de sélection

C. : Vous le dites vous-même, juger un projet de film quand il n'est encore qu'au stade du papier n'est pas chose aisée. Comment s'y prend la Commission ?
D. C. : Tout d'abord, la Commission de sélection est composée de professionnels, nommés par la Ministre de l'Audiovisuel, et c'est certainement la véritable raison pour laquelle je suis président. Je ne suis pas un professionnel du cinéma. J'aime le cinéma, mais je ne suis ni auteur, ni réalisateur, ni producteur. C'est une organisation extrêmement démocratique. Le président est un médiateur et un distributeur de la parole, sans plus. Je suis membre de la Commission comme les autres. Nous recevons tous les dossiers, et avant de discuter de quoi que ce soit, une première opinion est donnée sur chaque projet : « Je suis pour, je suis contre ou je m'abstiens ». Premier dessein de ce qu'est une première impression. Le réalisateur qui va voir un producteur doit aussi le convaincre. Il doit savoir qu’une Commission est composée de sept personnes, et qu'il doit parler d'une manière audible à tous. Une fois que cela est fait, nous discutons projet par projet. Nous avons un système de rapporteur. Comme on ne peut pas rencontrer tout le monde, nous envoyons chaque membre de la Commission rencontrer quatre à cinq réalisateurs. Le rapporteur apportera des explications supplémentaires reçues par le réalisateur même, ou le producteur. Quand c'est terminé, on vote, chacun dans le secret de son propre isoloir, et dans le secret de sa propre subjectivité. Nous nous appuyons sur cette phrase toute faite, mais qui a un véritable sens : « Nous avons une objectivité qui est la somme de toutes nos subjectivités ». Certains sont des cinéphiles, d'autres sont très éthiques, d'autres anecdotiques, etc. Et ce qui est intéressant, c'est que si un réalisateur ou un producteur ne rencontre pas le quorum nécessaire, il peut se représenter puisque les rapporteurs ne seront plus les mêmes.

C. : Ne craignez-vous pas que cette professionnalisation dans la présentation de dossier exclut les producteurs et réalisateurs moins aguerris ?
Portrait de Dan Cukier, président de la Commission de sélectionD. C. : Cette professionnalisation est bien pensée. Elle est compensée par toute une série de décisions à la fois politiques et techniques. Politiquement, c'est d'avoir décidé que près de la moitié du budget (45%) était réservé à ce qu'on appelle le Premier Collège, c'est-à-dire pour des gens qui n'ont encore rien fait dans cette catégorie. Il y a un premier collège pour les aides à l'écriture, pour le court métrage, pour le long métrage, pour le documentaire, etc. Il y a aussi la possibilité de contourner la Commission. Des réalisateurs font des films avec des bouts de ficelles, de l'argent personnel ou n'importe quoi. Ils viennent avec un film presque terminé, mais où il manque encore le son, ou le montage n'est pas parfait, ou encore il y a des scènes à terminer, etc. Sur base de ce qu'ils ont déjà fait, ils sollicitent une enveloppe qui s'appelle l'Aide à la finition.
Dernière chose au mérite de la Ministre, il y a quatre ans à peu près, elle a ouvert une enveloppe spéciale qui s'appelle « le film expérimental ». Il n'y a quasi pas de règles, la seule chose demandée, c'est qu'on ne soit pas dans l'éphémère, que ce ne soit pas une installation, mais bien un film. Il n'y a pas de règles ni dans la longueur, ni dans le genre, tout est ouvert.

C. : Avez-vous remarqué une évolution tout au long du temps, à part le fait que le nombre de projets ait doublé ?
D. C. :
Il y avait un historique dont le point d'orgue était les frères Dardenne et un cinéma social. Mais depuis quelques années, des films brillants apparaissent, très différents de ce que faisaient Paul Meyer, Henri Storck ou les frères Dardenne. Il y a une évolution vers l'éclatement des genres.
La véritable récompense d'un membre de la Commission, c'est de courir voir un film qu'on a lu très en amont. Il m'est arrivé d'avoir vu un film après avoir participé à une aide à l'écriture, c'est-à-dire d'avoir lu une quinzaine de pages d'une scène dialoguée. Un an après, je retrouve ce projet à l'aide à la production. Quand je le découvre sur l’écran, c'est, pour moi, une réelle récompense. Il m'arrive parfois d'être déçu, d'être étonné car je ne m'imaginais pas ça du tout ! Sur le papier, je vivais un film qui n'était pas celui que je découvre à l'écran. Participer à une commission d'aide au cinéma, n'a de sens que si on voit le film.

C. : Croyez-vous qu'il soit possible d'améliorer le travail de la Commission ?
D. C. : Il y a une évolution. L'administration s'est rendu compte de l’augmentation du nombre de dossiers. Le nouveau Secrétaire général, Frédéric Delcor, a décidé de profiter de ma fin de mandat pour introduire certains changements dans le fonctionnement de la Commission. Je serai remplacé par trois présidents, un pour chaque section. Le nombre de lecteurs va passer à 50, c'est-à-dire qu'il sera plus aisé de réunir six ou sept membres disponibles pour une session.

C. : Pensez-vous que le fait que les membres soient également des professionnels du cinéma ne pose pas problème quant à l'objectivité de leurs choix ?
D. C. : C'est un choix politique qui s'est fait, il y a vingt ans de cela maintenant. On aurait pu faire autrement, comme choisir des professeurs d'université ou un despote éclairé. Mais c'est pour cela aussi que la panoplie des membres est la plus large possible. On y retrouve des réalisateurs et des producteurs, mais aussi des professeurs d'université, des distributeurs, des critiques de cinéma, des scénaristes, etc. Le panel est très large.

C. : Vous qui avez bien connu l'ancien Secrétaire Général, Henry Ingberg, et vécu la transition avec Frédéric Delcor, estimez-vous que de grands changements se dessinent déjà d'une politique à l'autre ?
D. C. : La légitimité d'Henry Ingberg était double. Il était le père de la Commission et il l'a gérée pendant plus de 20 ans. Mais au-delà des personnes, il y avait un mouvement qui apparaissait. Tout pris en compte, la partie production a atteint un rythme de croisière. Pour faire des films, il y a une architecture, une procédure qui est perçue comme efficace. La concurrence du cinéma français pose problème, et les films ont des difficultés à rencontrer leur propre public. Déjà du temps d'Henry, certains signes se manifestaient dans les décisions d'organiser des événements pour aider la connaissance du cinéma belge, dont le Prix des lycéens. Mais Frédéric Delcor a pris ce problème à bras le corps, et le fait avec une énergie et un talent tout à fait étonnants.

C. : Croyez-vous que le fait qu'il y ait trop de films puisse nuire à la qualité du cinéma ?
Portrait de Dan Cukier, président de la Commission de sélectionD.C. : La quantité est effectivement un problème partout. J'ai beaucoup aimé la bande dessinée dans une période où on la connaissait mal. Aujourd'hui, 20 BD en langue française sont publiées par jour ! À Bruxelles, 10 films sortent par semaine. Est-ce qu'il faut limiter très en amont ? Doit-on continuer à aider la création, ou la laisser livrée aux seules lois du marché ?! Plusieurs solutions peuvent être prises, mais il faut surtout laisser à la création les champs les plus ouverts possibles. 
Je suis un défenseur des festivals, des ciné-clubs, de la Cinémathèque et de Cinédécouvertes. Partout où l’on peut voir des films qu'on ne pourra pas voir ailleurs. Il faut soutenir toutes ces initiatives qui permettent aux spectateurs de découvrir d’autres films que les grosses machines qui assèchent le marché.

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