Avec Daniela Forever (2025), Nacho Vigalondo livre une œuvre intime et vertigineuse sur le deuil, la mémoire et le pouvoir des illusions. Inspiré dans sa structure émotionnelle par Eternal Sunshine of the Spotless Mind (2004) de Michel Gondry, le film suit Henri, un musicien égaré dans le chagrin depuis la mort de son amour, Daniela. Exilé à Madrid, Henri tente de survivre à l’absence jusqu’à entamer une thérapie expérimentale fondée sur les rêves lucides. Mais ce qui devait apaiser sa douleur devient peu à peu un refuge illusoire, une reconstruction mentale où le souvenir de Daniela est réécrit, contrôlé, puis détourné. À la croisée de la science-fiction douce et du drame romantique, Vigalondo explore les limites de la réalité et la tentation de s’y soustraire quand celle-ci devient insupportable.
Daniela Forever de Nacho Vigalondo

C’est ainsi que le traitement du deuil s’installe dans le film. Nous découvrons un travail minimaliste sur la manière dont Madrid et son appartement se métamorphosent entre l’amour et le chagrin. Comment l’espace associé à l'être aimé transforme la manière dont on le vit. Vigalondo traite cette question toujours du point de vue de Henri, ainsi nous ne pouvons qu’être immergés avec ses peines. Vigalondo crée deux grammaires pour créer ses réalités : la première est en 4/3, façon image DV, l’autre est en cinémascope bien coloré.
Un personnage fait son apparition dans le récit à plusieurs reprises agissant comme une maman, même s’il s’agit en réalité de son agent. Victoria va lui conseiller une thérapie médicamenteuse qui l’aiderait. C’est ici que le récit prend son tournant et sa ressemblance avec le film de Gondry. Là où nous avions Joel Barish qui fait l’expérience d’une destruction du souvenir de Clementine, nous suivons Henri qui prend des pilules qui lui permettent de réaliser des rêves lucides. Le traitement avait pour vocation d’aider les patients à soigner leur dépendance affective en fournissant des scénarios apaisants. Henri va choisir de désobéir et prend lui-même le contrôle de ses rêves. Le thème du deuil prend l’apparence d’un déni puisque Henri va au fur et à mesure se créer une autre vie pendant la nuit.
Les rêves lucides gardent dans un premier temps une nature réelle jusqu’à ce qu’Henri découvre les capacités qu’il a en devenant le seul maître de la réalité. Au début Henri se limite à revivre des souvenirs heureux, puis à modeler les souvenirs pour qu’ils deviennent plus joyeux à ses yeux, jusqu’à créer de nouveaux souvenirs. Cette partie-là apporte aussi une dimension très intéressante au récit. En effet, Henri finit par délaisser sa vraie vie pour ses pilules de morphée. Même ses amis s'étonnent de le voir complètement basculer vers l’acceptation de la mort de Daniela. Les nouveaux souvenirs finissent par faire prendre conscience à Henri qu’il contrôle Daniela, ainsi quand elle fait quelque chose d’inédit, il semble irrité.
Finalement, le récit se conclut par la force des choses puisque les médecins souhaitent arrêter son traitement. Henri n’a plus le choix, il va devoir conclure son deuil. Cette manœuvre devient d’autant plus difficile qu’il ne veut plus de sa vraie vie. De retour sans traitement, les réalités s’entremêlent, à la manière de son sevrage. Étant donné que Vigalondo guide le spectateur avec ces deux grammaires, nous arrivions à suivre si Henri rêve ou non. Mais lorsque les réalités s’entremêlent, les grammaires aussi. Tout comme Henri, nous n’arrivons plus à déterminer si c’est rêvé ou non.
Les dernières images proviennent d’un ultime acte où Henri retrouve une lettre qu’il avait écrite pour Daniela. Cette lettre nous plonge dans un imaginaire où Daniela est heureuse avec une autre femme, loin d’Henri. Ce film agit comme une réécriture moderne de Eternal Sunshine of the Spotless Mind, jusqu’à la dernière image où Henri et Daniela se retrouvent dans un espace onirique pour un dernier adieu.
Daniela Forever s’achève dans une douce confusion où rêve et réalité se fondrent l’un dans l’autre, à l’image d’un esprit qui peine à faire le deuil. En brouillant délibérément ses repères visuels et narratifs, Nacho Vigalondo plonge le spectateur dans la même perte de contrôle qu’Henri, captif de son propre désir de réécrire l’amour. Le film interroge avec une finesse mélancolique ce que signifie vraiment “laisser partir” : non pas oublier, mais accepter que l’autre existe en dehors de nous, libre, même dans notre mémoire. Dans ce dernier adieu onirique, Daniela Forever offre une poignante leçon de détachement, une ode à la douleur nécessaire de vivre sans l’autre – et malgré tout, de continuer à rêver.