Cinergie.be

Derrière la porte de Mario Brenta et Karine de Villers

Publié le 05/03/2024 par Nastasja Caneve / Catégorie: Critique

Que racontent nos maisons de nous ? Un lieu physique nous révèle-t-il un intérieur mental ? Notre cocon refuge révèle-t-il notre rapport au monde ? Après leur trilogie sur le post-monde Indicatif présent (Le sourire du chat, 2018, Vanitas, 2020, Îles, 2021), les deux réalisateurs s'ancrent dans le vrai monde, celui d'aujourd'hui, en constituant un puzzle de rencontres à peu près fortuites. C'est une vingtaine de personnages qui nous laissent pénétrer dans leur intimité, dans leur cabinet de curiosités.

Derrière la porte de Mario Brenta et Karine de Villers

C'est au 71 rue des Déportés que le film naît. Karine de Villers a alors poussé la porte de sa maison d'enfance habitée aujourd'hui par une vieille dame qui confie qu'elle ne quittera la maison que les deux pieds devant. Elle vit là avec son lapin, sa perruche, ses tableaux dans une sorte de maison mausolée de souvenirs d'une autre incrustés dans les fissures des murs qui murmurent des souvenirs d'enfance enfouis. Le lieu voulait parler et témoigner face caméra. Il ne sera pas seul. C'est le début d'une pérégrination dans divers intérieurs. Choisis par hasard, ces autres lieux et les êtres qui les habitent, intrinsèquement différents, constitueront une fresque d'une humanité complice. Les réalisateurs s'infiltrent dans ces décors sans jugement, laissant leur caméra vagabonder dans le quotidien de ces êtres qui, mis ensemble, dessinent notre humanité. 

 

Le film s'ouvre avec Nicola au Lunghin Pass, lieu de rencontre des fleuves Pô, Danube et Rhin. Ce point de départ au sommet des montagnes pose la question qui ponctue le film : nos origines, nos existences sont-elles déterminées par le hasard ? Pourquoi sommes-nous arrivés là où nous sommes ? Derrière certaines portes et pas d'autres ?

 

Gregorio vit dans une caravane posée à la périphérie de la ville, au milieu de ses moutons. Il survit avec trois fois rien à l'orée des prémisses du monde, la nature, les animaux. Margherita, petite matriochka, vit entourée de ses roses, d'objets méticuleusement agencés, au calme des rayons solaires et de la lenteur, hors du tumulte. Un couple belge, Michèle et Jean-Christophe, elle est iconographe, il est sculpteur sur pierre, un acte de créer pour lui-même, ici et maintenant, hors des circuits virtuels de production artistique. Mario Brenta se met lui aussi en scène dans sa ville d'origine, Venise. Il passe de la lagune à l'Afrique, d'un film à l'autre, de Maicol (1989) à Barnabo delle montagne (1994), faisant de sa vie un lieu de confluence de souvenirs, morceaux d'un homme. La rencontre des réalisateurs avec le cinéaste suisse Boris Lehman qui lit assis, face caméra, dans son antre, un extrait du Scarabée d'or d'Edgard Allan Poe qui reconsidère l'homme dans sa nature profonde. Il y a aussi Franco Piavoli qui lit De rerum natura de Lucrèce. Grand représentant de la nature au cinéma et du silence contrastant avec notre monde assourdissant. Le réalisateur bergamasque Ermanno Olmi intervient aussi dans des extraits de Effetto Olmi (1983) réalisé par Brenta. Il est ici question de l'inspiration artistique qui doit naître de l'intérieur profond de l'être.

 

Derrière la porte, ce sont aussi des portes plus anodines, mais pas moins humaines. Des parents épuisés par deux nouveaux nés, une mamy sportive, une cinquantenaire dont la vie, course folle, est rythmée par des cassettes invitant à la pleine conscience. L'homme, tiraillé entre sa nature profonde et les injonctions de la société contemporaine, est alors mis à nu. 

Ce film est une ode à un retour à l'essence profonde de l'homme, à son lien intime avec la nature, à une temporalité lente et raisonnée, à l'acte de créer pour lui-même, à une simplicité de vie qui n'est pas honteuse, à une monotonie salutaire, au geste artistique comme témoin de vie et comme ancrage dans un quotidien qui tend à dénaturer l'homme de ses fonctions premières. Les réalisateurs questionnent l'identité profonde de l'être humain à travers ces rencontres multiples et ces lieux secrets parsemés de traces d'infinies beautés.

Tout à propos de: