Le désert est bien loin de correspondre à nos fantasmes de touristes européens, d’étendues sablonneuses à perte de vue. Et ce n’est pas la carte du Maroc, qui ouvrira puis s’envolera dans les toutes premières minutes du film Déserts présenté au Cinemamed, qui pourra nous venir en aide. Si en apparence, tout se ressemble entre les dunes, il y a en réalité autant de paysages désertiques que de déserts. Cette complexité du monde est à n’en pas douter l’idée principale du nouveau film de Faouzi Bensaïdi, cinéaste éclectique au possible, déjà passé devant la caméra (Mektoub de Nabil Ayouch), à l’écriture (Loin d’André Téchiné) et à la réalisation, et qui avec Mille mois en 2003, nous invitait déjà à explorer les paysages arides du Maroc.
Déserts de Faouzi Bensaïdi
Cette aridité, on la retrouve dans Déserts. Dans le traitement fait du quotidien de ces deux agents de recouvrement, bougons, Hamid (Fehd Benchemsi) et Mehdi (Abdelhadi Talbi), qui ont pour mission d’arpenter les quelques habitations, repères d’une poignée de gens endettés, qui habitent les villages de la région. Harnachés dans des costumes peu adaptés à leur environnement, mais symbole du pouvoir capitaliste qu’ils représentent, les deux compères entament une véritable traversée du désert à la rencontre de gens très pauvres : une quête riche en apprentissages, témoin de la sécheresse humaine. Un film dans la droite lignée de son précédent opus Volubilis, qui nous rappelle que l’engagement social du cinéaste est toujours vif et d’une grande subtilité, se faisant tantôt loachien, brut et acerbe, tantôt chaplinesque, délivrant une critique ironique de nos temps modernes.
Car à la manière d’un désert qui possède une forte amplitude thermique, Déserts navigue entre les différents registres : drame aux relents de western, comédie burlesque et noire digne de Tati ou de Keaton, réflexion onirique malickienne. Tout y passe pour refléter la prise de conscience par les personnages que le fonctionnement fantasmé d’une économie régie par le grand capital, n’a pas de prise dans ce monde du réel. Ici, c’est la débrouille qui prime face aux aléas d’un environnement capricieux.
La faune qui compose ce royaume, sorte de patchwork de personnages en détresse, se fait bientôt minuscule face à l’immensité du désert. Le décalage avec le réel de ces agents de recouvrement aux mille couleurs flamboyantes nous fait bientôt grincer des dents, passer du rire aux larmes. Le film de Faouzi Bensaïdi est bien plus sombre qu’il n’y paraît. Il s’inscrit dans la droite lignée d’un Balzac, et c’est à travers l'œil d’un anthropologue sous acide que l’on découvre cette comédie humaine. Ce monde friable et riche en épreuves, qui est le nôtre. L’évanescence des hommes face à l’immensité de la nature. Une œuvre universelle, intelligente et émotionnelle, digne de « plaire à la fois au poète, au philosophe et aux masses ».