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Dial H-I-S-T-O-R-Y de Johan Grimonprez

Publié le 10/09/2021 par Kevin Giraud / Catégorie: Critique

Mourir pour être entendu, déconstruire pour comprendre

Expérience visuelle, déconstruction violente de l'image médiatique, trip musical puissant, autant de qualificatifs que l'on pourrait affubler à cet intriguant documentaire du réalisateur Johan Grimonprez. Un film exhumé à découvrir sur Avila, et une remise en avant de cette œuvre d'art critique qui résonne fortement avec l'actualité des commémorations de ce week-end.

Dial H-I-S-T-O-R-Y de Johan Grimonprez

Artiste contemporain au même titre que réalisateur, Johan Grimonprez se joue des images et de la forme documentaire pour construire, avec malice, un récit plus ou moins linéaire sur les pirates de l'air, habité par les textes de Don DeLillo.

"Ce que les terroristes gagnent, les romanciers le perdent", susurre la voix douce qui nous déclame le texte de l'écrivain, et nous berce tout au long de cette "chute libre dans l'histoire" pour reprendre le beau mot des programmateurs. Mis en parallèle avec ces archives filmiques lancées tous azimuts par l'artiste, et par l'impressionnante piste sonore de David Shea, le texte de DeLillo se renforce, cogne. Le film est organique, brut, force au questionnement. Qui sont réellement ces pirates ? Des visages, des héros de la révolution dans les années '70 ? Les pires ennemis de la société occidentale ? Images et discours s'entrechoquent, se contredisent ou se répondent. Tout à tour, ils sont menaces ou bien êtres humains, poussés dans leurs derniers retranchements. Et puis, le discours change. Entendus, écoutés naguère, ils deviennent peu à peu, par le traitement médiatique qui leur est réservé, de simples bourreaux sans humanité, qui ne méritent qu'une réponse, la traque et la mise à mort. Et certaines puissances seront bien trop enclines à se lancer corps et âme dans cette direction, quitte à faire quelques - entendez des centaines - victimes collatérales.

Nourri de dates et de faits marquants, dessinant à l'emporte-pièce un aperçu des grands moments de la piraterie aérienne, Grimonprez construit une œuvre où s'affronte deux mondes distincts. Par son montage à la fois erratique et calibré au millimètre, il met en place une dialectique rigoureuse pour atteindre le bout de son argumentation, et faire ressortir les réalités diamétralement opposées des deux camps. Au passage, il met en lumière la bêtise d'une société occidentale qui ne comprend pas ou qui refuse la remise en question, à coups de sourires aux dents blanches et de grands discours bellicistes de l'ère Reagan. L'occasion de découvrir - pour l'amateur de ce type de perles - des archives aussi terrifiantes que cocasses d'une nation américaine convaincue de son invincibilité et de son bon droit. Une bêtise colportée par des médias de plus en plus guidés par la recherche du sensationnel, et où l'investigation fait place au voyeurisme.

Pamphlet politique ? Dial H-I-S-T-O-R-Y l'est sans aucun doute. En construisant son récit de la sorte, Grimonprez met en avant l'instrumentalisation de la terreur déjà omniprésente bien avant les attentats du 11 septembre. Dans une humanité en pertes de repères et où l'Histoire absorbe tout, sauf la terreur, il reprend les textes de DeLillo qui dit en substance "mourez, et peut-être ils vous entendront". Une attaque virulente contre un monde où la terreur est devenue le seul moyen d'expression, mais aussi un instrument au service du discours d'intolérance et de peur. Et le cinéaste de souligner l'imbécillité de ces arguments face aux faits, statistiques en surimpression à l'appui.

Œuvre d'art à part entière ? C'est une évidence. Dial H-I-S-T-O-R-Y est un film qui heurte, remue, retourne même le spectateur. Un de ces films trop grands pour être raconté, qu'il faut vivre pour pouvoir comprendre. Un formidable moteur de questionnements tant formels que sociétaux, dont l'actualité reste complète aujourd'hui.

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