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Les Mouettes meurent au port - Rik Kuypers, Ivo Michiels et Roland Verhavert - 1955

Publié le 22/08/2024 par Kevin Giraud / Catégorie: Critique

Sorti en 1955 et sélectionné l’année suivante au Festival de Cannes, Les Mouettes meurent au port (Meeuwen sterven in de haven) est le premier film belge à faire partie de la compétition officielle du prestigieux événement. Redécouvrir cet épisode marquant du cinéma flamand, avec la plateforme Avila, est à la fois un bonheur cinéphile et une plongée dans un passé de l’Histoire de notre pays, de sa société et de son septième art. Dans le cadre de Avila present!, le film sera projeté du 12 septembre à mi-octobre entre Flandre et Bruxelles, notamment au Cinéma Aventure et au Pianofabriek.

Les Mouettes meurent au port - Rik Kuypers, Ivo Michiels et Roland Verhavert - 1955

Dans ce récit encadré par le xylophone mécanique, machine emblématique de cette époque flamande et qui annonce déjà l’arrivée des dancings des sixties, les trois cinéastes (dont l’un est amateur et les deux autres critiques de cinéma) nous emmènent à la rencontre d’un homme en fuite, recherché pour un crime dont on ignore la nature. Expressionniste de nuit, flirtant avec le néoréalisme rosselinien de jour, Les Mouettes convoque une esthétique d’un autre temps, entre lumière de l’après-guerre et cicatrices encore béantes du conflit mondial. En résulte un film de personnage en perdition, dont nous ignorons jusqu’au bout le nom, figure d’une masculinité meurtrie et rejetée par la société pour qui elle a récemment tout sacrifié. Et cet homme sans identité de rencontrer, au gré de ces vagabondages, des existences partagées entre le besoin de fuite face à l’enfermement et celui de rester immobiles, car elles n’ont nulle part d’autre où aller.

Dans cette Belgique qui sirote le Bols et s’enjaille au rythme des juke-box, impossible de retrouver ce qui a été perdu pour cet homme qui veut fuir tout en restant coincé dans ce port d’Anvers grouillant d’une vie aliénante, entre humain et machine. L’occasion également pour les cinéastes de rendre hommage à l’avant-garde documentaire européenne, rappelant Ivens, Ruttmann et Storck dans leurs mises en scène industrielles symphoniques. Ici, c’est en mêlant sonorités mécaniques et jazz expérimental que Les Mouettes sculpte une partition d’anthologie signée Jack Sels, A. Casarès, Max Damasse et Jos Van der Smissen. Bande originale dont la ville d’Anvers est partie intégrante, bouillonnant d’une énergie retrouvée qui submerge ce protagoniste en décalage, et dont elle n’a cure.

Si Les Mouettes représente, précisons-le, la fuite au dénouement funeste d’un féminicide que le film peine à condamner sans empathie, le portrait que brosse l’œuvre de la Belgique d’après-guerre est une véritable fenêtre captivante sur une autre époque où le béton des barres d’immeubles semblait sorti du futur et où la liesse de la Libération était encore vibrante dans les cœurs. Des images que le film lui-même convoque, superposant en impressionnantes surimpressions la petite et la grande Histoire. En couchant sur la pellicule les destins plus ou moins tragiques de celles et ceux que la guerre n’a pas épargnés et qui tentent néanmoins de vivre, le film et sa musique envoûtante nous emmènent de souvenir en souvenir, au milieu des grues géantes et des cargos qui parcourent ce port où mouettes et âmes égarées n’ont que peu de chances de survie.

 

Plus d’informations sur les projections à venir, et accès au film sur la plateforme Avila

https://www.avilafilm.be/fr/distribution/film/les-mouettes-meurent-au-port

 

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