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Entretien avec Luc Boland, fondateur et programmateur du 6è TEFF (The Extraordinary Film Festival) à Namur, du 10 au 14 novembre

Publié le 09/11/2021 par David Hainaut et Josué Lejeune / Catégorie: Événement

« Le handicap est un puits sans fond pour des sujets de cinéma ! »

Organisé tous les deux ans à Namur depuis une décennie, The Extraordinary Film Festival (TEFF) revient pour une sixième édition, qui démarre par une avant-première nationale et la diffusion du film français Presque, avec Bernard Campan. Une œuvre qui en précédera une cinquantaine d'autres (documentaires, courts, moyens et long métrages...), avec un jury présidé par le comédien bruxellois Bernard Yerlès.
Seul festival belge consacré au handicap, l'événement est aujourd'hui considéré comme le plus important du genre dans le monde, en marge d'une fréquentation passée de 2100 à 7300 spectateurs depuis ses débuts. Rencontre avec son fondateur, Luc Boland.

 

Cinergie: Comment se présente cette 6è édition?

Luc Boland: Au niveau de la programmation, plutôt bien, puisqu'on a reçu près de 400 films pour n'en sélectionner que 51, soit un ratio de un sur huit! On aurait certainement pu en mettre 20 ou 25 de plus. Mais voilà, cela fait déjà quelques années qu'on doit refuser des films qui auraient leur place au festival. C'est un signe que celui-ci évolue bien, d'autant que depuis deux éditions, on bénéficie de trois salles (NDLR: au Delta, l'espace culturel namurois) pour faire tourner les séances, ce qui permet aux gens de voir tout en deux jours et demi s'ils le souhaitent. Après, ce Covid Save Ticket constitue pour nous une grande inconnue et complique solidement la vie d'organisateurs. Mais d'un autre côté, cela garantit plus de sécurité...

 

C: Comme lors de la dernière édition avec Intouchables, vous avez donc mis le grappin sur un film français pour lancer l'événement...

L.B.: Oui, et qui est une exclusivité sur le territoire, puisqu'il s'agit de Presque (NDLR: annoncé en février 2022), avec Bernard Campan et le philosophe Alexandre Jollien. On est franchement enchantés par cette avant-première rendue possible grâce à un distributeur de renom comme Cinéart, car c'est un long-métrage génial, dans le style road-movie avec le principe du duo, avec un humour fin qui amène plein de réflexions sur la personne handicapée. Cela dit, paradoxalement, nous n'avons retenu en compétition que des documentaires, qui restent majoritaires dans le registre. Les fictions reçues ne nous semblaient pas suffisamment intéressantes. Soit parce qu'elles dressaient des portraits trop grossiers sur le handicap, soit parce qu'elles véhiculaient trop de clichés...

 

C: Quelles sont les thématiques qui émergent?

L.B.: Cette année, on aborde pour la première fois la Maladie d'Alzheimer, avec un court-métrage remarquable Mémorable, qui a remporté le Grand Prix du Festival d'Annecy d'animation, où le héros est un peintre. Puis, certains thèmes emblématiques reviennent toujours, comme la vie affective et sexuelle des personnes handicapées. Il y a bien sûr l'autisme, la trisomie, la surdité, la cécité, le vécu des familles aussi...

 

C: Vous avez récemment déclaré, et plusieurs fois même, qu'au niveau de la production belge, il y avait encore pas mal de choses à faire. C'est-à-dire?

L.B.: Oui, chez nous, il y a encore un travail colossal à faire sur le sujet, c'est même terrible! Alors qu'Intouchables a été un déclic dans le secteur - bien au-delà de la France, même -, les producteurs mondiaux s'étant rendus compte qu'un tel sujet pouvait être traité et même devenir "bankable"! Je m'étonne donc que la prise de conscience n'ait pas encore eu lieu ici. Nous n'avons retenu que deux courts-métrages belges néerlandophones et un seul moyen métrage belge francophone, Aito harmonia (d'Alice Declercq & Pauline Robert) très drôle et tourné en Laponie, qui raconte une belle expérience humaine.
Ce retard est regrettable, car le handicap est un puits sans fond en terme de sujets de cinéma! Mais voilà, le thème fait encore peur à beaucoup, certains préférant ne pas associer leur marque au handicap. C'est d'ailleurs valable pour beaucoup de vos confrères! Mais les chiffres officiels l'indiquent: le handicap n'est représenté que par moins d'un pour cent dans nos médias, alors que dans les faits, il touche 15% des gens. Et même bientôt 25 à 30 % à l'horizon 2030, vu le vieillissement de la population. Certains ne préfèrent pas le voir, alors que beaucoup d'entre nous vont être amenés à devenir handicapés (mobilité, vue, ouïe...). Mais bon, on garde espoir pour les années à venir...

 

C: Cela dit, un comédien belge préside votre jury...

L.B.: Oui, c'est vrai. Bernard Yerlès va découvrir l'événement, après Hélène Vincent ou Sam Karmann qui étaient à sa place auparavant. Pour eux, ce genre d'immersion dans un univers qu'ils ne connaissent pas, c'est systématiquement une belle claque dans la figure. Ils nous le disent chaque fois! On a aussi dans le jury Adda Abdelli, scénariste et comédien de la série Vestiaires, qui attaque sa onzième saison sur France 2. Puis, celui qui est le « pilier de comptoir» depuis trois éditions, Josef Schovanec, incontournable dans le monde de l'autisme, qui donnera une conférence, qui s'intitule « Handicap et Covid: manuel de survie en période de confinement».
Aussi, Valentin Reinehr, un humoriste de one-man show qui a fait de son bégaiement une arme, en atteignant en France la finale de l'émission Un Incroyable talent. Et puis Sarah Talbi, une youtubeuse et instagrameuse née sans bras, qui démontre qu'on peut s'en sortir dans la vie. Elle élève même un enfant...

 

C.: D'autres activités à mentionner?

L.B.: Comme on essaie d'attirer plus de professionnels au festival, on organise un atelier autour de l'audiodescription, avec les associations des producteurs (UPFF), des scénaristes (ASA), des réalisateurs (ARRF) et la SACD-Scam. On aimerait susciter une attention sur l'utilité de ce processus, si indispensable aux aveugles et malvoyants. En incluant les délocalisations, on a 83 séances au total, en plus de spectacles, d'un concert de Lou B. - à la demande générale!-, des conférences ou des rencontres avec nos jurés, des ateliers, un nouveau concours de court-métrages par Smartphone... On fonctionne avec un budget autour de 180-190 000 euros, ce qui n'est pas grand chose, quand on sait qu'il faut déjà 65 000 rien que pour rendre les films accessibles (audiodescription, sous-titres, traductions...) à tout le monde... Mais j'espère à terme rendre ce festival davantage belge, et donc plus flamand. Et doucement songer à ma succession (sourire), car je n'ai plus vingt ans (NDLR: mais 60) et encore d'autres aspirations de vie...

 

C.: Votre événement reste paraît-il néanmoins bien coté...

L.B.: Tout à fait, c'est même le plus coté, quand on regarde la quinzaine d'autres qui existent dans le monde. Ce qui a permis de construire notre réputation, ce sont les choix de films qu'on retient, car on reste intransigeants sur un mix entre le fond et la forme. Mais l'autre grande différence, c'est qu'on ne ressemble pas à une grande messe entre gentilles personnes handicapées: 95% des cinéphiles qui viennent au Festival sont issus du grand public, au-delà donc, des personnes concernées. Preuve aussi qu'il y a chez les gens une envie de culture, et même un désir de découvrir le monde du handicap, si méconnu et encore à démystifier, donc...

Site du festival: www.teff.be

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