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Entrevue avec Güldem Durmaz : Koro

Publié le 01/05/2003 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Entrevue

Elle est brune. L'oeil pétillant, le sourire espiègle et, avant de passer derrière la caméra, était comédienne et traductrice. Mais après tout, le cinéma est également un langage nous fait remarquer malicieusement Güldem qui a obtenu avec Koro, son second court métrage, le Prix de la Deux/RTBF.

Entrevue avec Güldem Durmaz : Koro

Résidante en Belgique, Güldem Durmaz, est née et a passé de nombreuses années dans le quartier du Marais, à Paris. Güldem avait la chance d'évoluer dans un endroit situé près de salles ou studios de cinéma art et essais. "Le premier film que mon père m'a emmené voir est King Kong de Cooper et Schoedsack, la version de 1933 ! J'avais quatre ans et demi. Ça me paraît, rétrospectivement, incroyable !" (rires).

 

Après cela elle se souvient avoir suivi régulièrement le ciné-club de Claude-Jean Philippe, le vendredi soir, et de Patrick Brion le dimanche soir à la télévision. "Vers mes dix-onze ans j'ai commencé à aller seule au cinéma accompagnée d'amies avec lesquelles on écumait les studios du Quartier Latin, tout proche." Elle va découvrir, outre des classiques comme Hitchcock, Stalker d'Andreï Tarkovski mais aussi des cinéastes comme Abbas Kiarostami et Aki Kaurismaki. Tout cela dessine-t-il une vocation ? En partie. Güldem désire être interprète, tant au niveau de la connaissance des langues étrangères que de celle du métier de comédien.

 

Du coup elle se retrouve amenée à entreprendre des études littéraires et de langues ainsi qu'une école de théâtre. "Le problème du métier de comédien est qu'entre chaque rôle, il se passe du temps et que  je ne supportais pas de n'être que dans le désir de l'autre. Donc parallèlement à mon métier de comédienne j'animais également des ateliers et je me suis dit pourquoi ne pas prendre les choses en main. Il y a des histoires que j'ai envie de raconter. J'ai envie de faire des films tout en continuant à jouer devant la caméra et à être interprête-traductrice. Tout cela ne me paraissant pas incompatible puisque le cinéma aussi est un langage. En tant que comédienne, très vite je me suis mise à bosser sur plein de courts métrages. Mais lorsqu'on est acteur on a beaucoup de temps sur les tournages. Plutôt que de bouquiner j'ai beaucoup observé, rencontré des techniciens, parlé avec eux de leur fonction sur un plateau et puis, mon compagnon est réalisateur. Donc on a eu beaucoup d'échanges sur la manière de faire un film. C'est de là qu'est partie mon envie de réaliser, d'aller voir de l'autre côté de la caméra : comment ça fonctionne ? Au départ, il faut qu'une histoire s'impose à moi. C'est là que je vais puiser l'énergie qui me permettra de la développer."

 

C'est ainsi qu'en 2001, elle réalise son premier court métrage : Soför/Chauffeur. Un film ayant une durée de 18 minutes, entièrement tourné à Istanbul en extérieur, interprété par Denis Lavant, Güldem Durmaz, des acteurs turcs et les gens des rues de la grande cité du bosphore. "L'histoire d'un gars qui se prend pour un chauffeur en ayant qu'un volant et un rétroviseur en sa possession et se balade dans la ville. Lors d'un de ses trajets il embarque une passagère dans son véhicule imaginaire et qui entre de plein pied dans sa folie douce.

 

"Pour Koro, le film suivant, l'histoire est basée sur les souvenirs d'enfance que j'ai condensés. Ma famille et moi allions en Turquie pendant les vacances d'été. Ma tante était incarcérée, victime du coup d'état militaire en Turquie de 1980, pour des raisons politiques, elle était placée avec des prisonnières de droit commun, vivant dans une cellule collective. C'est le récit d'une visite en prison que j'ai voulu transposer dans un pays imaginaire. Lors d'une de ces visites, avant que son procès n'ait lieu, il m'est arrivé une chose assez curieuse que je ne m'explique que parce que les prisons étaient surpeuplées. Les années suivantes, Il y avait des grillages entre visiteurs et prisonniers et puis, une version avec des vitres et des téléphones. Cette première année ce n'était pas le cas. Ma tante qui ne manquait pas d'audace à réussi - avec la complicité d'une gardienne - à me montrer la cellule où elle était enfermée avec ses copines qu'elle m'a présentées. Ça n'a duré pas plus de cinq minutes mais je suis entrée brusquement à l'intérieur de l'univers carcéral. Cela a été un choc ! J'ai compris que la vie continuait à l'intérieur de la prison. Et que l'être humain parvient à s'adapter à des situations dramatiques."

 

"L'idée étant pour Koro de décoller du souvenir d'enfance, de le fictionnaliser, de le styliser en faisant en sorte qu'il se passe dans un pays de la région qu'on ne puisse situer avec précision. D'où l'idée de l'Ourbeshistan. On a même créé une langue imaginaire qui est une sorte de mélange de hongrois et de turc qui n'est pas sous-titré dans le film. Parce qu'il importait que le langage du film se traduise par l'image. La compréhension du film passe par les gestes, le trajet des corps, les visages, les regards. Je voulais que l'intensité entre les gens passe sans que la langue ne soit autre chose qu'une musique. Le cinéma est basé sur les sensations, les images. C'est une langue secrète, comme les gestes inconscients Il y a ce qu'on se dit, les regards qu'on échange, l'espace qu'on occupe avec son corps, comment on bouge. Il se passe plein de choses dans la vie. Il est important de laisser de la place au spectateur pour qu'il puisse appréhender cela. Quand je vois un film j'aime qu'on m'intrigue, qu'on éveille ma curiosité. Un film a plusieurs couches de sens, c'est ce qui fait sa richesse. Je dois préciser que parmi les acteurs professionnels ou non, il y avait des anciens détenus politiques ou de droit commun ayant vécu la prison en Turquie ou ailleurs, ma tante jouant son propre rôle. » Elle conclut en nous confiant : "Je crois qu'on ne parle bien que de ce qu'on connaît. Je n'ai pas choisi d'être turque ou de vivre ces visites en prison pour y voir ma tante mais cette réalité s'est imposée à moi. J'avais envie de garder dans le film le point de vue de la gamine." Güldem Durmaz entend bien continuer à réaliser des films et a des projets mais cela vous l'aviez deviné !

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