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Entrevue avec Joël Godfroid

Publié le 01/03/2004 par Matthieu Reynaert / Catégorie: Entrevue

Joël Godfroid

 

Avec Ergon son film de fin d'étude à l'IAD - un surprenant documentaire présenté comme une œuvre symboliste à la mode du Koyaanisqatsi de Godfrey Reggio qui nous emmène à travers une aciérie comme à travers un corps humain et que Cinergie qualifiait en décembre dernier d'impressionnant, efficace, magnifiquement filmé et sonorisé" - Joël Godfroid s'est, à 26 ans, fait remarquer de Raoul Servais, ce qui lui a valu de remporter le prix média 10-10 du court-métrage. Le voici à l'aube d'une carrière: Cinergie fait le point avec lui. "J'ai eu le déclic quand une amie m'a montré le documentaire Nuit et brouillard d'Alain Resnais, je devais avoir 18 ans et j'ai été sidéré de tout ce que pouvais véhiculer une image. Bien sûr j'avais vu beaucoup de films auparavant, on en regardait beaucoup à la maison, mais je m'intéressais plus aux documentaires scientifiques, sans volonté de raconter une histoire". De fait, Joël s'intéresse plutôt aux sciences, il adore "bricoler" et jouer avec des éprouvettes, résoudre des problèmes, à tel point qu'il entame des études de physique à l'ULB. "J'ai vite compris que ça n'était pas pour moi. J'étais décalé, je ne passais pas mes pauses à jouer au "Compte est bon" comme les autres!" Pour ne pas reprendre le risque d'investir l'argent de ses parents dans des études qui ne lui plairont peut-être pas, il fait une année préparatoire en audiovisuel à l'ARA, l'Athénée Royal d'Auderghem. "Je ne dirais pas que j'y ai appris beaucoup de choses, mais j'ai commencé à y ouvrir ma culture cinéma. Surtout on avait la possibilité de réaliser un film de 6 ou 8 minutes. Comme beaucoup avaient déjà jeté l'éponge, j'ai pu faire un film de 26 minutes. Il était incompréhensible pour les autres, et pour moi-même!, mais il m'a donné le goût d'écrire un scénario, de préparer les plans, d'en discuter avec d'autres, …"

 

On pourrait croire, voyant Ergon et en l'écoutant parler de l'aube de sa cinéphilie que Joël Godfroid est un passionné du documentaire. Ce n'est pas tout à fait vrai. Il s'intéresse très vite à la fiction, mais toujours matinée d'abstrait, est marqué par des films comme Bagdad Café de Percy Adlon, le premier film qu'il revisionne assidûment pour l'analyser ("J'y voyais une analogie très comique avec Mary Poppins"), Kids de Larry Clark (Ken Park) ou Sailor et Lulla de Lynch ("Un des films "simples" de Lynch mais avec beaucoup de force dans la relation qui unit ces deux êtres"),"Brazil de Terry Gilliam dont l' Armée des 12 singe"inspiré de La jetée le guide vers les travaux de Chris Marker. Alors quand, entré à l'IAD, la maison essaye de le diriger vers le documentaire, il rechigne et ses films d'études seront tous de fiction ( dont ZTD 121 inspiré du THX 1138 de George Lucas, "le type d'univers que j'aimerais défendre dans mon travail futur"). Ce n'est qu'en quatrième qu'il se réconcilie avec le genre documentaire. Pour Ergon, une influence qui saute aux yeux mais qu'il n'évoque pas spontanément est bien celle de Koyaanisqatsi et Powaqqatsi, les deux documentaires de Godfrey Reggio qui mènent une réflexion sur l'industrialisation de la vie par l'homme. "Je les ai vus, je pense, en première année, mais ce n'est qu'après avoir fait Ergon qu'on m'a fait remarqué les ressemblances. Oui, ça m'a sûrement influencé, même inconsciemment".

 

Même si avec ce genre de film, beaucoup de choses se décident sur place ou au montage, "Ergon" était déjà très scénarisé à la base. C'est en allant filmer quelques images d'usine pour son film de troisième année que Joël Godfroid eu la révélation de ce monde suffoquant et puissant, qu'il ne soupçonnait pas et qu'il devait bientôt retrouver. "L'intérêt du film fut aussi de m'éloigner de l'école et de la présence parfois conflictuelle des professeurs et de pouvoir tourner tout seul, sans équipe (il n'y a pas de sons directs dans le film, on est revenu enregistrer des sons en une journée avec Johan Delforge)". Le tournage à Charleroi prit tout de même une bonne vingtaine de jours après quinze de repérages, le tout étalé sur le temps. "Cet univers est tellement impressionnant que les idées fusent, mais on obtient alors des plans incomplets et décousus. Il faut s'imposer des plans strictement préparés". Le film obtient la meilleure cote l'année dernière à l'IAD, Joël Godfroid l'envoie à plusieurs festivals, mais, occupé par son mémoire, ne se déplace pas. Il répond tout de même à l'invitation de Média 10-10, bien lui en pris ! 

 

"Bien sûr j'étais ravi, ça ouvre des portes, permet des rencontres, notamment avec Raoul Servais, un homme adorable qui m'a tout de même appris qu'il ne suffit pas de gagner des prix pour réussir, le travail continue, il faut se battre constamment. On aimerait toujours avoir commencé plus tôt pour être plus loin, mais je suis tout de même bien content là où je suis. Quant à ma carrière, oui j'ai un plan: sur dix ans j'aimerais alterner des documentaires avec des courts-métrages de fiction pour garder la main. Ensuite viendront des longs de fiction, mais je ne me sens pas encore prêt. Dans le DVD de No man's land, le réalisateur Danis Tanovic dit qu'il faut plus de maturité pour faire un documentaire qu'une fiction. Je pense l'inverse. Pour une fiction, il ne suffit pas d'avoir des idées, il faut les assembler dans la forme en créant un fond, alors qu'en documentaire, la matière est à disposition". Cette divergence serait-elle le fruit des politiques respectives de l'INSAS et l'IAD ?!

 

Il n'hésite pas à faire son auto-critique, disant que son penchant pour la matière à l'écran l'empêche encore de filmer des sentiments humains plus simples. Il attend "de mûrir" pour raconter la relation de deux êtres, peut-être en se dirigeant vers ce qu'Alain Resnais, encore, avait mis en place dans Hiroshima mon amour. Son prochain défi, c'est aussi de filmer la nature, dont la structuration est bien plus chaotique que celle de l'industrie. Mais même s'il rappelle sa déception de n'avoir pas pu tourner en pellicule, il est fier d'"Ergon", son film le plus abouti. Le premier d'une longue série lui souhaite-t-on. "Un thème récurrent dans tous mes travaux est le monde souterrain, noir, mâtiné de science-fiction. J'aimerais bien raconter des histoires drôles, mais je ne sais. Alors je n'essaie pas!". En ce moment, il où il aimerait réaliser un film autour de sculptures métalliques. Il écrit encore simultanément un long-métrage et un court (avec Julie Declerq). Un projet qui prendra place… dans les souterrains !

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