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Girl de Lukas Dhont

Publié le 17/10/2018 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

La plus belle pour aller danser

Lara est une jolie adolescente de 15 ans, aux longs cheveux blonds, au regard bleu azur et au visage d’ange. Elle rêve de devenir ballerine et pour y arriver, s’impose une discipline très stricte, travaillant ses pointes à longueur de journée jusqu’à ce que ses pieds ne ressentent plus la douleur. Un détail : Lara est née Victor, dans le corps d’un garçon. « L’oiseau privé d’ailes » est au début d’un long processus médical à base d’hormones (dans un premier temps) et de reconstruction chirurgicale (dans un second) qui lui permettra de changer de sexe et d’être enfin femme à 100%. Entre temps, avant que les hormones ne fassent leur effet, il lui faut cacher ce pénis encombrant avec du sparadrap. La famille de Lara, son père Mathias et son petit frère de six ans Alain, la soutiennent. Pour eux, aucune ambiguïté possible : Lara est une fille. Pour eux, Victor a définitivement laissé la place à Lara, une fille un peu timide… mais douce et lumineuse ! À ce tableau familial manque une figure maternelle mais Mathias et Lara elle-même se partagent le rôle.

En ces jours où le politiquement correct et les associations de défense de minorités diverses règnent en maîtres sur le cinéma, il était permis de se méfier de ce Girl qui pouvait sembler opportuniste. D’autant plus qu’un unanime plébiscite cannois se transforme souvent, de nos jours, en pétard mouillé. Pas de crainte, tous ces soupçons s’évaporent immédiatement ! Girl n’est pas un de ces films pamphlétaires qui revendiquent de manière agressive pour les droits de quiconque afin de profiter de manière cynique de l’air du temps et de rendre sexy une problématique à la mode. Tout le contraire ! Lukas Dhont, 25 ans, dont c’est le premier long-métrage après quelques courts remarqués (dont L’Infini, nommé aux Oscars en 2015), nous cueille complètement grâce à l’infinie douceur qui se dégage de ses personnages, par son honnêteté et son refus d’un quelconque moralisme. Le jeune réalisateur ne prêche pour aucune paroisse. Il aime profondément son héroïne et narre son histoire à la manière d’un drame intime bouleversant, pas comme une énième leçon de morale. Cette approche rend son film et son héroïne irrésistibles.

Girl n’est pas le récit d’une jeune fille différente, brimée et rejetée par la communauté. Le monde qui entoure Lara (sa famille, ses camarades de classe et de danse, ses médecins…) accepte volontiers sa différence. Lara n’est jamais décrite comme une « freak » solitaire et en colère, mais comme une jeune fille normale, avec des amis et des hobbys. Ce qui importe au cinéaste n’est pas tant de savoir ce que pensent les autres, que la façon dont Lara vit sa (trop) lente métamorphose, à cet âge où, paradoxalement, tout va très vite. Le seul véritable antagoniste du film, c’est Lara elle-même. Ou plutôt la pression incroyable qu’elle se met pour réussir et cette attente insupportable qui la ronge au quotidien. Chaque regard dans le miroir pour ne constater aucun changement est un nouveau déchirement.

Le réalisateur, passionné de danse, opte pour un certain réalisme (avec des dialogues parfois improvisés mais toujours très justes). Malgré quelques défauts inhérents à l’exercice du premier film (scènes de danse trop nombreuses et vite répétitives), Girl s’avère fascinant de bout en bout. La caméra (à l’épaule) colle de près à l’héroïne, explore son mystère, son mal-être grandissant, accompagne chacun de ses gestes avec une sensibilité, une pudeur et une retenue qui forcent le respect.

Victor Polster, lauréat du Prix d’interprétation dans la section « Un Certain Regard » à Cannes, est une révélation sidérante. Danseur professionnel formé à l’École Royale de Ballet d’Anvers, il livre une performance toute en intériorité, Lara cachant son mal-être du mieux qu’elle peut parce qu’elle refuse d’imposer sa douleur à ceux qu’elle aime. Les traits délicats de l’acteur, sa beauté subtilement androgyne, sa voix légèrement éraillée (entre deux âges et entre deux sexes), sans oublier une aura de mystère et une grâce naturelle irradient l’écran. Victor Polster est indéniablement LA star du film mais les seconds rôles ne sont pas en reste, en particulier Arieh Worthalter qui incarne un véritable père-poule de conte de fée, compréhensif et investi, entre amour pur et inquiétude quotidienne.

Plus que l’histoire d’un jeune transsexuel confronté aux limites de la médecine, Girl met l’accent sur le courage d’une héroïne qui n’a pas peur de mettre son corps et sa santé en danger pour obtenir ce qu’elle veut. Comme dans tous ces films sportifs où le héros doit se battre contre des chances infimes, nous nous identifions à la rage de vaincre de l’héroïne. C’est sans doute pour cette raison que, malgré une poignée de scènes très douloureuses à regarder, on sort de Girl ému et complètement sous le charme.

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