Rencontré à la clôture du dernier BSFF où il remporta le prix d’interprétation (avec Rik Verheye) pour le fantasque Easter Eggs de Nicolas Keppens, le film belge en lice au César du meilleur court d’animation 2022, Victor Polster a mis un bon moment à être associé dans notre imaginaire à Girl de Lukas Dhont. Pour ce premier long magnifique lauréat de la Caméra d’or, du Prix Fipresci et de la Queer Palm à Cannes 2018, Victor Polster avait remporté un premier prix d’interprétation de la section Un certain regard pour son rôle de Lara. Il aura fallu quelques amis, une soirée s’étant terminée tard et un rendez-vous plus formel pour qu’on fasse le point avec lui autour de la danse, de la transformation du corps, du choix et du challenge.
Victor Polster. La balance entre mouvements dansés et moments joués
Cinergie : Vous vous êtes formé à l’école de ballet d’Anvers, maintenant vous travaillez en Allemagne dans une compagnie de danse. Quelle différence faites-vous entre les deux ?
Victor Polster : À l'École d’Anvers, j’ai suivi une formation Sport Études qui consistait en de la danse le matin et des cours l’après-midi. À la compagnie, je suis employé donc je ne fais que danser. On apprend une chorégraphie et on la travaille. La plus grosse différence, c’est le statut d’employé. Aujourd’hui, je suis payé pour faire ce qui me plait.
J’aimerais plus tard pouvoir créer ce que je veux et le danser moi-même ou avec d’autres danseurs. Dans la compagnie où je suis, des chorégraphes viennent et nous apprennent leur chorégraphie. C’est toujours la même chose : on apprend une chorégraphie, on la travaille en amont et on recommence avec une autre. Tous les deux ans, on a l’opportunité de créer quelque chose. La compagnie organise un spectacle avec les danseurs et c’est là qu’on peut développer sa créativité et évoluer en tant que danseur et artiste.
C : Comment construisez-vous votre rapport à votre corps ?
V. P : Mes professeurs nous rappelaient souvent que notre corps est notre outil et qu’on doit en prendre soin. J’ai un rapport un peu spécial avec mon corps. Dans une salle de danse, tu te vois non-stop dans des miroirs, ils sont partout et essentiels pour te corriger. Toute la journée, tu n’arrêtes pas de te voir. Aujourd’hui, ça change un peu. Certaines compagnies de danse contemporaine enlèvent les miroirs : c’est intéressant, tu ressens plus ce que tu fais et tu vérifies moins, tu te demandes moins si c’est beau ou pas. On s’observe constamment en danse classique et je ne connais personne qui adore son corps. Il y a toujours de la confrontation. Pourtant, on doit faire en sorte de l’apprécier, on le voit tout le temps et il faut apprendre à vivre avec. Il faut trouver le moyen de l’aimer pour que ce qu’on fasse soit beau à voir.
C : À quel moment vous dites-vous d’un mouvement qu’il est beau ?
V. P : C’est compliqué de répondre à cette question. En allant travailler, il faut rentrer dans la salle de danse avec un esprit positif. Quand j’étais jeune et que j’étais en cours, il m’arrivait de trouver des mouvements jolis. Je tendais ma jambe de cette manière et dans le miroir, je me disais : “Oh c’est beau à voir, j’aime bien la ligne que ça forme”. Quand il y avait ce moment-là, ça voulait dire que c’était un bon cours. En danse classique, quand tu répètes ces exercices tous les jours, tu vois une évolution et tu essaies de travailler vers une sorte de perfection de ligne et de souplesse.
C : Comment vous êtes-vous retrouvé dans le court-métrage de Nicolas Keppens, Easter Eggs, dans lequel vous n’utilisez ni votre corps ni votre image mais uniquement votre voix ?
V. P : Évidemment, je préfère m’exprimer avec mon corps qu’avec ma voix. J’aime bien les rôles au cinéma où le corps est très présent. En même temps, je trouve ça chouette qu’on ne me reconnaisse pas pour ce projet. Je voulais surtout essayer quelque chose de nouveau. Ça avait l’air intéressant, je ne savais pas si j’allais y arriver parce que je n’avais jamais prêté ma voix à un film d’animation. Ça m'a donné envie parce que c’était nouveau, c’était un challenge. Je ne connaissais pas bien le cinéma d’animation ni Nicolas d’ailleurs. On s’est juste rencontré sur un festival.
J’ai pu accepter ce projet en partie parce que c’était un court-métrage. Je savais qu’il allait me prendre moins de temps qu’un long. Je n’y ai pas vraiment pensé en fait, je suis juste allé, curieux, au studio pour enregistrer. On a travaillé sur le moment, on a essayé différentes choses. J’ai toujours l'impression que quand je prépare trop, je me fais une idée du personnage qui n’est peut-être pas ce que le réalisateur veut.
C : Sur le projet de Girl, vous êtes aussi arrivé sans savoir grand chose. Comment vous êtes-vous retrouvé sur ce plateau ? Et comment percevez-vous les années qui se sont écoulées depuis ?
V. P : La façon dont je vois le film a beaucoup changé. J’ai plus de recul maintenant que quand il est sorti. C’est très basique, la façon dont je suis arrivé sur le plateau. J’ai participé à une audition qui m’en a amené à une autre, jusqu’à celle pour le personnage principal. Au début, c'était le fait de danser avec le chorégraphe Sidi Larbi Cherkaoui qui m’intéressait. Et puis, dans la préparation du film, tout était une question de physique : on faisait des essais avec des extensions de cheveux, j’avais des cours de pointe, je travaillais sur ma voix avec une coach. Que des changements que je pouvais observer physiquement sur mon corps ! Je me voyais en tant que fille. C'était crucial que je puisse rentrer dans le personnage. Si j’avais été seul à réfléchir sur ma façon de jouer ce personnage, le résultat aurait été complètement différent parce que je n’avais aucune idée de comment jouer. Le premier jour, je ne savais vraiment pas quoi faire.
C : Le moteur au départ, ce n’était donc pas d’aller jouer dans un film, mais d’aller travailler avec Sidi Larbi Cherkaoui et de se nourrir de ce qu’il pouvait t’apporter ?
V. P : Oui, au départ, c’était ça. Mais ce n’est pas ça qui est le plus ressorti à la fin. On a appris une chorégraphie de son répertoire et on a surtout travaillé avec ses danseurs et lui, il était moins présent sur le plateau. Le fait de travailler sur la danse était assez naturel pour moi, c’est quelque chose que je fais tout le temps. L’exigence du tournage m’est resté en revanche. Parfois, Lukas devait me pousser à bout pour voir ce qui en ressortait. C’est ce que j’ai surtout appris : quand je joue, j’essaie de pleinement ressentir mes émotions.
C : Cette expérience a-t-elle influencé ta manière de travailler ?
V. P : Ce que ce film m’a beaucoup apporté, c'est la maturité. J’étais entouré de gens plus âgés sur le tournage, je me suis adapté à eux. Cette maturité-là, je l’ai gardée avec moi plus tard quand j’ai cherché du travail dans la danse. Je trouvais le fait de se filmer pendant la danse assez horrible. C’est comme regarder un film dans lequel tu as joué : tu te critiques tout le temps. Le film m’a appris à gérer ça, à avoir un avis objectif sur ce que je fais, sur ce que je dois travailler.
Une difficulté qui est survenue après le film concernait ma façon de danser. Elle était très féminine. C’était compliqué à l’école pendant longtemps parce qu’on me reprochait d’être trop féminin. Aujourd’hui, je trouve ça très intéressant et ça me sert maintenant dans la danse contemporaine.
J’utilise cette expérience, bien sûr. Il y a eu une période après le film où j’étais un peu sollicité évidemment pour des rôles. Mais, pour l’instant, ce que je fais c’est de la danse. Je fais un film seulement si la période est libre, si j’ai du temps. Je reste un employé, donc je ne peux pas être libre comme ça. Ce serait incroyable de trouver plus tard cette balance entre les deux : créer ce que je veux dans la danse, avoir la liberté de travailler quand je veux et à côté, pouvoir travailler pour le cinéma.