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Victor Polster. La balance entre mouvements dansés et moments joués

Publié le 11/01/2022 par Katia Bayer / Catégorie: Entrevue

Rencontré à la clôture du dernier BSFF où il remporta le prix dinterprétation (avec Rik Verheye) pour le fantasque Easter Eggs de Nicolas Keppens, le film belge en lice au César du meilleur court danimation 2022, Victor Polster a mis un bon moment à être associé dans notre imaginaire à Girl de Lukas Dhont. Pour ce premier long magnifique lauréat de la Caméra dor, du Prix Fipresci et de la Queer Palm à Cannes 2018, Victor Polster avait remporté un premier prix dinterprétation de la section Un certain regard pour son rôle de Lara. Il aura fallu quelques amis, une soirée s’étant terminée tard et un rendez-vous plus formel pour quon fasse le point avec lui autour de la danse, de la transformation du corps, du choix et du challenge.

Victor Polster © Cinergie

 

Cinergie : Vous vous êtes formé à l’école de ballet dAnvers, maintenant vous travaillez en Allemagne dans une compagnie de danse. Quelle différence faites-vous entre les deux ?

Victor Polster : À l'École dAnvers, jai suivi une formation Sport Études qui consistait en de la danse le matin et des cours laprès-midi. À la compagnie, je suis employé donc je ne fais que danser. On apprend une chorégraphie et on la travaille. La plus grosse différence, cest le statut demployé. Aujourdhui, je suis payé pour faire ce qui me plait.

Jaimerais plus tard pouvoir créer ce que je veux et le danser moi-même ou avec dautres danseurs. Dans la compagnie où je suis, des chorégraphes viennent et nous apprennent leur chorégraphie. Cest toujours la même chose : on apprend une chorégraphie, on la travaille en amont et on recommence avec une autre. Tous les deux ans, on a lopportunité de créer quelque chose. La compagnie organise un spectacle avec les danseurs et cest là quon peut développer sa créativité et évoluer en tant que danseur et artiste.

 

C : Comment construisez-vous votre rapport à votre corps ?

V. P : Mes professeurs nous rappelaient souvent que notre corps est notre outil et quon doit en prendre soin. Jai un rapport un peu spécial avec mon corps. Dans une salle de danse, tu te vois non-stop dans des miroirs, ils sont partout et essentiels pour te corriger. Toute la journée, tu narrêtes pas de te voir. Aujourdhui, ça change un peu. Certaines compagnies de danse contemporaine enlèvent les miroirs : cest intéressant, tu ressens plus ce que tu fais et tu vérifies moins, tu te demandes moins si cest beau ou pas. On sobserve constamment en danse classique et je ne connais personne qui adore son corps. Il y a toujours de la confrontation. Pourtant, on doit faire en sorte de lapprécier, on le voit tout le temps et il faut apprendre à vivre avec. Il faut trouver le moyen de laimer pour que ce quon fasse soit beau à voir.

 

C : À quel moment vous dites-vous dun mouvement quil est beau ?

V. P : Cest compliqué de répondre à cette question. En allant travailler, il faut rentrer dans la salle de danse avec un esprit positif. Quand j’étais jeune et que j’étais en cours, il marrivait de trouver des mouvements jolis. Je tendais ma jambe de cette manière et dans le miroir, je me disais : Oh cest beau à voir, jaime bien la ligne que ça forme. Quand il y avait ce moment-là, ça voulait dire que c’était un bon cours. En danse classique, quand tu répètes ces exercices tous les jours, tu vois une évolution et tu essaies de travailler vers une sorte de perfection de ligne et de souplesse.

 

C : Comment vous êtes-vous retrouvé dans le court-métrage de Nicolas Keppens, Easter Eggs, dans lequel vous nutilisez ni votre corps ni votre image mais uniquement votre voix ?

V. P : Évidemment, je préfère mexprimer avec mon corps quavec ma voix. Jaime bien les rôles au cinéma où le corps est très présent. En même temps, je trouve ça chouette quon ne me reconnaisse pas pour ce projet. Je voulais surtout essayer quelque chose de nouveau. Ça avait lair intéressant, je ne savais pas si jallais y arriver parce que je navais jamais prêté ma voix à un film danimation. Ça m'a donné envie parce que c’était nouveau, c’était un challenge. Je ne connaissais pas bien le cinéma danimation ni Nicolas dailleurs. On sest juste rencontré sur un festival.

Jai pu accepter ce projet en partie parce que c’était un court-métrage. Je savais quil allait me prendre moins de temps quun long. Je ny ai pas vraiment pensé en fait, je suis juste allé, curieux, au studio pour enregistrer. On a travaillé sur le moment, on a essayé différentes choses. Jai toujours l'impression que quand je prépare trop, je me fais une idée du personnage qui nest peut-être pas ce que le réalisateur veut.

 

Victor Polster © Cinergie

 

C : Sur le projet de Girl, vous êtes aussi arrivé sans savoir grand chose. Comment vous êtes-vous retrouvé sur ce plateau ? Et comment percevez-vous les années qui se sont écoulées depuis ?

V. P : La façon dont je vois le film a beaucoup changé. Jai plus de recul maintenant que quand il est sorti. Cest très basique, la façon dont je suis arrivé sur le plateau. Jai participé à une audition qui men a amené à une autre, jusqu’à celle pour le personnage principal. Au début, c'était le fait de danser avec le chorégraphe Sidi Larbi Cherkaoui qui mintéressait. Et puis, dans la préparation du film, tout était une question de physique : on faisait des essais avec des extensions de cheveux, javais des cours de pointe, je travaillais sur ma voix avec une coach. Que des changements que je pouvais observer physiquement sur mon corps ! Je me voyais en tant que fille. C'était crucial que je puisse rentrer dans le personnage. Si javais été seul à réfléchir sur ma façon de jouer ce personnage, le résultat aurait été complètement différent parce que je navais aucune idée de comment jouer. Le premier jour, je ne savais vraiment pas quoi faire.

 

C : Le moteur au départ, ce n’était donc pas daller jouer dans un film, mais daller travailler avec Sidi Larbi Cherkaoui et de se nourrir de ce quil pouvait tapporter ?

V. P : Oui, au départ, c’était ça. Mais ce nest pas ça qui est le plus ressorti à la fin. On a appris une chorégraphie de son répertoire et on a surtout travaillé avec ses danseurs et lui, il était moins présent sur le plateau. Le fait de travailler sur la danse était assez naturel pour moi, cest quelque chose que je fais tout le temps. Lexigence du tournage mest resté en revanche. Parfois, Lukas devait me pousser à bout pour voir ce qui en ressortait. Cest ce que jai surtout appris : quand je joue, jessaie de pleinement ressentir mes émotions.

 

C : Cette expérience a-t-elle influencé ta manière de travailler ?

V. P : Ce que ce film ma beaucoup apporté, c'est la maturité. J’étais entouré de gens plus âgés sur le tournage, je me suis adapté à eux. Cette maturité-là, je lai gardée avec moi plus tard quand jai cherché du travail dans la danse. Je trouvais le fait de se filmer pendant la danse assez horrible. Cest comme regarder un film dans lequel tu as joué : tu te critiques tout le temps. Le film ma appris à gérer ça, à avoir un avis objectif sur ce que je fais, sur ce que je dois travailler.

Une difficulté qui est survenue après le film concernait ma façon de danser. Elle était très féminine. C’était compliqué à l’école pendant longtemps parce quon me reprochait d’être trop féminin. Aujourdhui, je trouve ça très intéressant et ça me sert maintenant dans la danse contemporaine.

Jutilise cette expérience, bien sûr. Il y a eu une période après le film où j’étais un peu sollicité évidemment pour des rôles. Mais, pour linstant, ce que je fais cest de la danse. Je fais un film seulement si la période est libre, si jai du temps. Je reste un employé, donc je ne peux pas être libre comme ça. Ce serait incroyable de trouver plus tard cette balance entre les deux : créer ce que je veux dans la danse, avoir la liberté de travailler quand je veux et à côté, pouvoir travailler pour le cinéma. 

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