Les films belges trouvent un public à l'étranger, en France ou en Italie, pas chez nous. Pourquoi ? Manque de promotion ? De salles ? Le cinéma de genre qui peut être un cinéma d'auteur est-il une solution ? Le numérique en est-il une autre en baissant les coûts de production, à terme ? Pourquoi l'Europe, qui a un potentiel de 600 millions de spectateurs, ne fait-elle pas circuler davantage ses films ? Le système des quotas qui a boosté le cinéma coréen est-il une solution ? Ces questions nous les avons posées à Henry Ingberg, Directeur du Centre du Cinéma et Secrétaire Général de la Communauté française de Belgique. Entretien.
Henry Ingberg : Bilan du Centre du cinéma et de l'audiovisuel 2004
Cinergie : Récemment vous avez fait diffuser le Top 20 des meilleurs films belges, chez nous et en France. On s'aperçoit qu'en France les films belges marchent mieux qu'en Belgique. Ne pensez-vous pas que le tissu des salles " art et essais " en Wallonie doivent subir la concurrence des multiplexes qui s'installent un peu partout ?
Henry Ingberg : Oui, il y a moins de salles indépendantes. Mais la question que l'on peut se poser est de savoir si toutes les salles indépendantes étaient des lieux pour la diffusion du cinéma belge francophone. Certaines salles avaient une vocation commerciale, comme on a des petits commerces et des grandes surfaces, et d'autres gardent une vocation qu'on qualifie "d'art et d'essai", plus ouvertes aux auteurs? Par rapport à cela, il faut signaler que nos aides sont un des critères d'appréciation pour les salles " art et essais " - je pense notamment au cinéma Le Parc à Liège-- nos aides sont passées de 340.000 euros en 2003 à 654.000 euros en 2004. Soit quasiment, 300.000 euros de différence. Cela signifie qu'on a aidé des salles à se sauver de situations inextricables -je pense particulièrement à la crise qu'a vécue un moment donné L'Arenberg Galeries. Donc, on peut dire que le tissu "art et essai" s'est plutôt renforcé. Le Vendôme, qui fait un travail très intéressant, n'avait pas d'aide antérieurement. Je suis sceptique quant à l'idée qu'on manquerait de débouchés à travers les salles.
Un autre indicateur nous est fourni par les aides à la promotion que nous attribuons aux films de courts et de longs métrages sélectionnés dans les festivals internationaux. On a une présence remarquable, inversement proportionnelle par rapport aux spectateurs que nous avons en Belgique. Ces aides sont passées de 200.000 euros à 275.000 euros. Ce qui veut dire davantage d'affichages, de présence dans les revues publiées à l'occasion des festivals. Une meilleure information et promotion auprès des professionnels, des distributeurs, des acheteurs étrangers. Enfin dernier point, puisqu'on sait que la diffusion est un point crucial par rapport à des films dont la qualité est tout à fait évidente, pour les aides à la diffusion, lorsque les longs métrages sortent dans les salles en Belgique, nous sommes passés de 161.000 euros en 2003 à 250.000 euros en 2004. En 1995, on en était à 45.000. Ce qui ne signifie pas que ces aides accomplissent des miracles. Mais on a renforcé, partout, les aides concernant la promotion et la diffusion.
Cela était indispensable mais ne suffit pas à renverser la tendance de ce manque d'intérêt spontané de la part de notre public belge francophone vers les films de notre communauté.
Il est vrai que les films belges font beaucoup plus d'audience en France. Evidemment, on a le Top avec Podium où même s'il s'agit d'une coproduction minoritaire, l'audience est néanmoins significative pour nous. Le nombre d'entrées est à la fois très important en France : 3.560.000 d'après les derniers chiffres dont on dispose. Et, en Belgique il fait, tout de même, 650.000 entrées. Il s'agit donc du premier film belge en terme de spectateurs en Belgique, pour les co-productions majoritaires et minoritaires. On commence à voir, assez vite, les résultats du premier film de Yolande Moreau. En France ils sont déjà à 220.000 entrées et je pense que les premiers résultats qu'on a en Belgique sont intéressants également.
Cela indique que nous avons toujours une meilleure réputation en France que nous n'avons auprès de notre public. Autre remarque : jusqu'à présent ce sont nos réalisateurs qui ont créé des poussées extraordinaires grâce aux festivals, aux ventes à l'étranger et cela continue. Mais sur les entrées on constate qu'il y a de plus en plus de comédiens belges qui deviennent attirants pour les spectateurs sur l'affiche. C'est nouveau. Evidemment Benoît Poelvoorde est la locomotive de tout cela. Mais c'est un mouvement plus général avec Cécile De France, Olivier Gourmet, Bouli Lanners, acteur mais aussi réalisateur remarquable. Peut-être pourrait-on mieux faire valoir ces acteurs dans la recherche de notre contact avec le public belge.
Une des actions sur lesquelles nous devons mettre la priorité est une activité en relais avec les écoles, particulièrement l'enseignement secondaire. La jeunesse est spontanément intéressée par le cinéma. La nôtre est peu intéressée par le cinéma belge et, on peut remarquer, c'est le cas en littérature, que lorsqu'un contact direct entre les auteurs et les jeunes a lieu, il provoque un véritable engouement. Le fait pour les jeunes de s'intéresser aux films, de donner leurs avis, de faire un classement du meilleur film belge ayant été diffusé dans l'année, d'opérer des rencontres avec des réalisateurs et des acteurs peut briser cette sorte de mur qu'on ne parvient pas à franchir entre le spectateur, le film et les auteurs.
C : Ne pensez-vous pas que le film de genre n'est pas une façon de conquérir un public plus large. Les meilleurs films de genre étant souvent des films d'auteurs?
H. I. : C'est vrai mais le film de genre permet de donner une orientation qui s'appuie sur des thèmes comme une histoire fantastique, un policier, etc. Dans les films de genre j'en citerais deux qui relèvent de cette catégorie. Il s'agit de La Femme de Gilles de Frédéric Fonteyne, c'est un film d'auteur mais aussi un film d'époque, avec costumes, un gros travail sur le décor et l'éclairage et également Madame Edouard de Nadine Monfils qui est à la fois auteur de romans fantastico-érotiques mais aussi d'une série policière avec le commissaire Léon. Faut-il encourager les auteurs à faire des films de genre ? Du point de vue de l'autorité publique : non. Parce que chaque fois qu'une institution prétend définir le cadre ou l'orientation du cinéma cela aboutit très vite à des dérives. Mais, à contrario, il serait aberrant et inacceptable qu'on considère qu'un projet déposé devant la Commission qui serait un film policier ou un film dont l'essentiel repose sur le comique soit considéré comme étant de deuxième zone. On peut réaliser des films à prétention d'auteur qui sont désastreux. Tout comme on peut en faire qui soient des météores extraordinaires. Même chose pour les films de genre dont certains peuvent être remarquables et transcendés par la qualité. On ne peut pas dire d'un film de genre qu'il ne puisse pas être d'auteur. Là, nous devons être vigilants. Actuellement, il y a dans le milieu professionnel, une crainte que la Commission du Film -étant donné l'enveloppe budgétaire - ne privilégie les films d'auteur au sens étroit du terme et refuse les films de genre. Ce n'est pas acceptable, mais pour le vérifier nous allons avoir un débat avec les membres de la Commission sur ce thème. Tout en sachant que dans la composition de la Commission on a veillé a y mettre des personnes ayant des approches différentes du cinéma. Il n'en reste pas moins qu'il y a là un risque de compenser nos problèmes financiers par une forme - je m'excuse pour le terme qui peut être péjoratif - d'aristocratie intellectuelle. Le cinéma, comme la littérature se nourrit de l'ensemble des genres.
C. : Est-ce que vous pensez que le numérique est une solution d'avenir permettant de résoudre, en partie, les problèmes économiques que notre cinéma affronte?
H. I. : Le numérique apporte de nouvelles dimensions à la fois en terme de productions et de diffusion. Il rapproche encore davantage l'exploitation salle public du réseau d'exploitation DVD. Il faut rappeler qu'actuellement les recettes venant de l'exploitation par le support DVD sont supérieures globalement à l'exploitation en salles. Donc le numérique facilite et permet un certain nombre d'initiatives nouvelles mais le numérique ne changera pas les défis et les interrogations auxquels nous sommes confrontés. Il leur donnera un nouveau support mais ne changera pas fondamentalement la donne. Lorsque j'ai vu, pour donner un avis personnel, la projection numérique Saraband de Bergman sur grand écran, je dois dire que c'était bouleversant. Le fait que ce soit une personnalité comme Bergman qui revendique le support numérique qui a fait partie de l'écriture de ce film alors qu'il n'a pas attendu le numérique pour s'exprimer montre qu'une telle technique va être intégrée et aura des effets sur les réseaux de distribution et les modes d'exploitation. Je pense que pour les auteurs ce sera un instrument supplémentaire comme le traitement de texte qui n'a pas modifié l'écriture de nos écrivains ou leur processus imaginaire.
C. : L'Europe à un potentiel de 600 millions de spectateurs qui demeure en friche pour un cinéma européen. Les films circulant mal d'un état de l'union à l'autre. Voyez-vous des perspectives de changement à cette situation ?
H. I. : Des initiatives comme le programme MEDIA à l' Union européenne ont déjà donné des résultats puisqu'elles ont permis d'accroître la distribution des films non nationaux dans les différents pays. Toutefois je voudrais rappeler une fois de plus que par rapport à ce problème général vécu par tous les films européens nous présentons - la Communauté française de Belgique - la situation paradoxale que nous sommes les seuls en Europe où le film national est moins vu à l'intérieur des frontières qu'il n'est vu à l'extérieur. On ne prétend pas que notre " modèle " soit caractéristique du modèle européen. Nous sommes, chez nous, devant une situation particulière. Ce qui nous rend solidaires de l'ensemble du cinéma européen puisque nous ne sommes pas enfermés dans le carcan de nos films et des films des autres. Tout au contraire, nous sommes dans la situation où nous devons aller à la rencontre de nos propres spectateurs. Par ailleurs, nous avons besoin de ce cinéma européen parce que le volume de notre production n'est pas suffisant pour alimenter une propension à aller au cinéma. D'où notre soutien aux réseaux permettant la circulation des films dans l'espace européen. Il faut souligner que je vois un avantage tout à fait remarquable dans la coproduction. Nous sommes dans la majorité des cas soit en coproduction majoritaire soit minoritaire. Certains disent qu'on arrive à ce qu'on appelle caricaturalement l' " europudding. " Je pense, tout au contraire, que les co-productions créent des réseaux d'affinités professionnelles entre des producteurs, des réalisateurs, des équipes techniques, des comédiens. Ce qui permet à l'un de ceux-ci d'entrer dans un film scandinave en respectant son écriture et vice versa. Ce qui est en cours et qu'il faut encourager sont ces co-productions qu'on a trop tendance à considérer comme un pis-aller. Il faut bien au contraire le revendiquer, le valoriser et créer justement un espace de circulation européen entre les créateurs et les producteurs.
C. : Que pensez-vous de l'adoption par la Corée des quotas de diffusion? Qui a permis à ce pays de se doter d'une industrie cinématographique et de booster l'ensemble du cinéma asiatique au niveau mondial ?
H. I. : Pour les quotas de diffusion, il faut rappeler que la directive européenne "Télévision sans frontières" dit que tous les programmes européens doivent circuler dans tous les pays de l'Union. Cinquante pour cent des œuvres diffusées par les télévisions doivent être d'origine européenne. On a constaté les effets positifs de cette mesure modérée par le fait que les grands pays producteurs parviennent à remplir leurs quotas de diffusion quasiment avec leur propre production nationale. Mais pour beaucoup de pays, et c'est le cas pour la Belgique, les chaînes privées et publiques n'atteignent pas ce quota de films avec leurs seules productions nationales. On comprend aisément que ce n'est pas avec une majorité de films, de téléfilms, de télé suites belges ne fût-ce qu'en volume qu'on y parvient. Donc je crois que la formule des quotas peut être un levier intéressant pour se mettre à niveau et sortir d'une position de faiblesse rédhibitoire. D'ailleurs pour l'instant il y a des travaux en cours à l'Union européenne sur la remise à jour du régime des quotas, vous pouvez imaginer aussi qu'il y a une grosse pression du côté des Etats-Unis pour faire sauter ces quotas. L'Espagne a pratiqué ce régime très longtemps et au bénéfice du cinéma espagnol avec un jeu de vases communicants qui mettaient en évidence la production nationale. Imaginons qu'on ait demain un quota sur les films belges, je ne suis pas sur qu'il soit applicable. Où alors il faudrait définir le niveau par rapport au volume de ce que nous produisons.
Il faut rappeler que les quotas n'auraient plus à jouer de manière intra-communautaire européenne. Donc entre les pays européens -et cela c'est très bien -- pas question de dire qu'on pourrait avoir un quota de films belges par rapport aux films français, anglais ou allemands. Théoriquement, nous avons la capacité de fixer un quota de diffusion par rapport aux films américains en mettant dans ce quota tous les films européens pas seulement les films belges. Je crois que c'est historiquement dépassé et que le fait d'instaurer un tel quota pourrait entraîner une série de conflits frontaux avec les Etats-Unis. Ce n'est pas une raison pour y renoncer, me direz-vous, mais à présent je pense qu'il faut développer la promotion positive tant au niveau européen qu'à l'intérieur des pays. Il faut savoir rappeler que les différents pays ont tous des Centre Nationaux du Cinéma qui attribuent des aides et que ceux-ci se réunissent régulièrement et ont des positions solidaires les uns par rapport aux autres. Cela veut dire : maintenir un soutien aux cinémas nationaux, aux coproductions, développer le soutien à la promotion. Développons tout ce qui permet de mieux produire et faire connaître le cinéma européen. Y compris aux Etats-Unis on connaît toutes les formules de quotas informels pratiqués par les exploitants et les distributeurs américains…
C. : Moins de 2%…
H. I. : Voilà. Ce ne sont pas des quotas légaux mais il y a une résistance systématique. Si notre réplique se situait uniquement sur le plan réglementaire elle ferait l'objet de critiques majeures sur le plan international. Si nous n'obtenons pas, à l'initiative conjointe des européens, des démarches de promotion, d'entrée, de pénétration, au sens positif du terme on continuera a être confronté à ce quota de fait. Inversons, l'Europe peut-elle établir un quota de fait, à l'initiative des exploitants et des distributeurs limitant la diffusion des films américains ? Pensez-vous, et je vous pose la question, que cette initiative est spontanément pensable dans la profession ?
C. : Je ne le pense pas. Mais peut-être serait-il intéressant de booster la diffusion en accordant une aide ou une défiscalisation aux salles qui passent des films européens.
H. I. : Oui. C'est déjà le cas. Au travers des aides européennes puisqu'on a des programmes européens à travers les programmes Europa-Cinéma et Europa-Salles qui aident les salles qui ont un programme de diffusion européen. Plusieurs de nos salles qui font un effort dans ce domaine sont aidées. J'ajouterais volontiers qu'il faut développer cette aide parce qu'elle reste volontiers marginale. Mais là on est confronté à la limite des ressources publiques d'autant que nous devons intervenir à tous égards. Je rappelle que la Communauté intervient - pas assez par rapport au minerai que nous avons en matière de création mais elle intervient au stade de l'écriture jusque dans tout le processus y compris l'aide à la promotion dans les festivals pour la diffusion dans les salles et nous étendons cette aide à la diffusion via le DVD en numérique. Cette intervention sur toute la chaîne du cinéma est logique. On soutient un film depuis la conception jusqu'à la confrontation avec le public qu'une œuvre exige mais en même temps cela nous amène à segmenter et à répartir les moyens que nous avons qui sont limités et cela diminue l'impact à chacun de ces nivaux. On a eu récemment une réunion d'information avec les Ateliers de production qui sont l'un des éléments originaux par rapport aux autres pays, ces ateliers de production qui font un boulot extraordinaire voient leur aide limitée. Si on regarde chaque secteur séparément il mériterait - et ce n'est pas une formule de style - d'être renforcés et démultipliés pratiquement dans chaque segment de la chaîne cinéma. Ce qui repose aussi globalement la question du financement général de l'aide au cinéma ou à la création audiovisuelle.
Bilan du Centre du cinéma et de l'audiovisuel :
http://www.cfwb.be/av/ACTUAL/act181.html