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Herbes Folles

Publié le 03/04/2022 par Kevin Giraud / Catégorie: Critique

Entre les herbes hautes et les plages de la Bretagne, Dounia Wolteche-Bovet filme sa mère au crépuscule de son existence, lorsque les langues se délient. L’occasion le temps d’une grossesse pour parler de mort mais surtout de vie, et d’une destinée parcourue de traumatismes autant que d’espoir, de décisions difficiles et de choix conscients.

Herbes Folles

Face à la caméra, Axelle, cette mère aux traits burinés, raconte à sa fille son histoire, et par là-même, prépare cette dernière à son devenir maternel. Deux récits et deux époques bien différentes, mais liées par l'intimité de la confession. Portée par le désir d'en apprendre plus sur la jeunesse et les expériences de sa mère, la réalisatrice questionne mais sans forcer, touchant à l'intime avec délicatesse par un dispositif simple qu’elle installe sur la durée. Axelle, d'abord farouche et laconique, apprivoise ainsi la caméra au fur et à mesure du film jusqu'à lui confier ses plus profonds secrets. Une redécouverte pour elle, un apprentissage pour Dounia, sur ce qu'a été la vie de sa mère. Hors des sentiers battus serait un terme trop galvaudé pour décrire ce parcours, car en fin de compte il est principalement celui d'une battante comme il en existe tant d'autres, chacune luttant à sa manière à contre courant d'un système, quelle que soit l'époque, quel que soit le pays. Au fur et à mesure, on découvre qu'Axelle a toute sa vie refusé de se laisser enfermer dans les carcans d'une société où la maternité est sacrée et la vie n'a pas de prix. Dans ces univers et ces mondes entre France et Algérie, elle nous raconte les tabous, les jugements, les secrets mais aussi les rencontres et les entrechoquements d'un mode de vie différent de la norme. Le récit d'une existence entre deux continents dans une époque à la fois si proche et pourtant déjà si étrangère. Une histoire de libertés, mais aussi de choix. L'avortement, l'euthanasie, le rejet de la médicalisation, autant de thèmes qui s'invitent dans ce témoignage fort qui frappe d'autant plus qu'elle l'adresse à sa fille avec une honnêteté désarmante. Qu'a-t-elle encore à perdre, si ce n'est justement l'occasion de partager son histoire

En mettant en écho à ce récit les images de sa propre jeunesse, filmée par sa mère, la cinéaste offre quelques plans volés au passé qui prennent un autre sens à l'écoute du témoignage. Pour dire ce que ces images silencieuses ne peuvent exprimer, tout en montrant cette insouciance de sa propre enfance, et le regard posé par sa mère par le biais de cette caméra.

Et en final de cette recherche, la réalisatrice choisit elle-même de prendre en images son propre accouchement, suivant les pas de sa mère et choisissant le coin du foyer familial pour mettre son enfant au monde. Un film qui prend dès lors un tout autre sens, celui d'un message de la cinéaste à sa propre descendance. Pour lui proposer d'ores et déjà une alternative, une vision autre. Et pour l’intégrer pleinement dans cette narration différente, construite sur deux générations, et transmise au futur par la magie préservatrice du documentaire.

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