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Higgi, Inspiring Voices de Loïc Porcher et Philippe Reypens

Publié le 04/10/2018 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

La musique du cœur

De 1976 à 2014, Edward Higginbottom a dirigé le chœur du renommé New College Choir d’Oxford. Dans le documentaire que lui consacrent Loïc Porcher et Philippe Reypens, « Higgi », c’est son surnom, nous dévoile sa pédagogie et son art à un moment particulièrement émouvant de sa vie, alors qu’il s’apprête à prendre sa retraite et que ses anciens élèves se réunissent pour un concert d’adieu en son honneur. Se déroulant dans le décor prestigieux du collège, le film décrit les bienfaits d’une sensibilisation à la beauté, d’un enseignement musical de qualité prodigué à de jeunes choristes par un pédagogue d’exception, dont la méthode a fait école un peu partout dans le monde.

Higgi, Inspiring Voices de Loïc Porcher et Philippe Reypens

Le titre officiel de Higgi est « organiste et professeur de musique au New College Choir d’Oxford et Maître de Conférences à l’Université d’Oxford ». Mais pour ses élèves, il est leur maître de chœur, celui qui attend d’eux des miracles quotidiens. Chaque jour, inlassablement, ils répètent des morceaux du répertoire classique : Haendel, Elgar, Mozart, Pergolèse, Bach, Rachmaninov, bien d’autres encore. Depuis 600 ans, la chorale est composée exclusivement de jeunes garçons. Comme le laisse entendre Higgi, la voix chantante masculine a moins de chances de pouvoir s’exprimer dans le monde contemporain. Pour l’oreille humaine, il parait plus naturel d’entendre chanter des voix féminines, du moins dans un chœur ! Higgi justifie aussi l’absence de mixité par une question de spécificités de timbres entre les voix féminines et masculines. Quoi qu’il en soit, il conteste toute accusation de sexisme et se plie volontiers aux traditions du College. Grâce à lui, l’institution accueille aujourd’hui, par un système de bourses scolaires, des élèves moins aisés qui autrefois n’auraient jamais eu accès à un tel enseignement. La classe de Higgi accueille 16 élèves par an, âgés de 8 à 13 ans, qui sous sa tutelle, donnent cinq concerts de 45 minutes par semaine.
Sous ses dehors affables de gentleman distingué et extrêmement british, Higgi exige néanmoins de ses choristes discipline, concentration, motivation, attention, flexibilité et intelligence. Des éléments indispensables afin de partager le plaisir de chanter en groupe. Comme Higgi le déclare, le New College Choir est une institution, tout autant que les élèves qui la composent. Son enseignement ne se limite pas aux locaux et à la chapelle du College, il inclut également excursions et visites de musée (afin d’illustrer les histoires des compositeurs dont ils étudient les œuvres), souvent sous l’œil attendri de Caroline, son épouse, qui lui a donné sept enfants. On le constate lors de ces moments de détente, Higgi privilégie la conversation, l’échange. Sa méthode pédagogique est vivante et, si le travail est exténuant, il se fait toujours dans la bonne humeur, avec cet irrésistible humour anglais dont jamais il ne se départ. Tout au long du film, l’admiration et l’affection des jeunes garçons envers leur maître est une évidence.
La vie d’un artiste peut aussi être cruelle : c’est au moment-même où Higgi atteint le sommet de son art que le rideau se referme. À 72 ans (mais toujours 13 ans dans l’âme), le professeur est forcé de tirer sa révérence après 38 ans de bons et loyaux services. Dans le même esprit d’injustice, être choriste, c’est se préparer à un problème inévitable : la voix masculine se caractérise par son côté éphémère. L’ennemie jurée des choristes a un nom : la mue ! Le rôle de Higgi consiste donc à livrer une véritable course contre la montre pour atteindre la perfection. Lorsqu’il décèle un talent spécifique, il lui faut très vite le façonner et encourager l’enfant à l’exercer. Après des années à donner des instructions, Higgi prend maintenant lui aussi des cours de chant. Pour se perfectionner, mais aussi afin de mieux appréhender les gestes qu’un chef d’orchestre doit communiquer à ses chanteurs. Higgi remarque en effet que la plupart des conducteurs communiquent à merveille avec les musiciens, mais rares sont ceux qui savent se faire comprendre des chanteurs. C’est le genre de défi que le professeur aime se lancer et qui participe à son admirable recherche de la perfection. Cette perfection éphémère qui permet aux voix angéliques qu’il entraîne, de tutoyer Dieu.
Higgi sait que le succès mondial du chœur est le résultat de sa pédagogie, de sa patience, de sa détermination, de sa capacité à motiver ses jeunes chanteurs. Sa mission est de convaincre les enfants du pouvoir divin de la musique, de les encourager à chanter avec une joie capable d’élever l’esprit humain. Pas comme des marionnettes ou des singes savants, mais comme des collègues musiciens dignes de son respect, avec leurs aptitudes et difficultés spécifiques, avec leur compréhension intuitive propre de la musique. Higgi les écoute, discerne et façonne leurs voix tout en laissant à chacun un espace de liberté pour que leur singularité puisse éclore.
Avec émotion, Higgi se rappelle d’un élève qui, un jour, s’est mis à pleurer de joie en écoutant pour la première fois une partition de Bach. Il n’est pas exclu que les spectateurs qui iront voir ce merveilleux documentaire, version réelle made in UK de l’émouvant Mr. Holland (avec Richard Dreyfuss), ressentent la même chose à la sortie de la salle.

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