Cinergie.be

I was still there when you left me, un court métrage de Marie McCourt

Publié le 17/03/2021 par Anne Feuillère et Constance Pasquier / Catégorie: Entrevue

Film de fin d'études tourné à l'IAD, I was still there when you left me impressionne durablement la rétine et creuse ses traces profondes, entre rêve halluciné et cauchemar trouble. Filmé presque entièrement depuis le point de vue d'une petite fille de 7 ans, dans le feu de l'action et les mouvements des corps, porté par une énergie vive et violente qui secoue et remue, il raconte un incendie ravageur dans l'une de ces grandes tours de banlieues laissées à l'abandon par les pouvoirs publics. Quand on la rencontre pour cet entretien, Marie McCourt a remporté de nombreux prix dans les festivals et l’Oscar du film étudiant (bronze, dans la catégorie “Narrative International Film School") qui lui a valu d’être éligible pour l’Oscar des courts-métrages. Elle ne sait pas encore que son film ne fera pas partie finalement des dix derniers shortlistés pour les nominations. Mais elle s'en fichait déjà un peu. Son court chemin de cinéaste est déjà long et riche. Elle est contente, pleine d'énergie et de projets autour des questions qui l'habitent et qu'elle travaille à coup de lectures, de rencontres, de découvertes. Elle arrive avec un sweat à capuche noir sur lequel sont imprimés devant le générique de son film et derrière l'affiche. Dans ce sens, parce que "cela nous a semblé plus juste", d'habitude, on ne voit pas le nom de l'équipe écrit en tout petit en bas de l'affiche. Honneur aux gens, donc, aux braves, qui ne connaissent pas de repos.

Cinergie : Comment t’es venue le désir de faire du cinéma ? 

Marie McCourt : Plein de choses, je crois. Mais le déclic a été un voyage. Je suis partie pendant 6 mois. J’étais seule et j’ai eu envie de faire des rencontres. J’ai acheté une caméra et je l’ai utilisée comme une excuse pour parler aux gens. Ce qui ressemble à ma manière de faire du cinéma aujourd'hui. Pour mon prochain court, j'ai commencé à faire des castings avant même d'avoir une vision très claire de ce que j'allais faire. J'ai trouvé les acteurs, je suis en train d'écrire avec eux. 

 

C.: Tu t'inspires de la vie de tes comédiens pour écrire ?

M.MC. : J’ai une histoire de base et je m'inspire des gens que je rencontre pour l'écrire. Je pars d'un événement ou d'un lieu, d'une trame narrative que je nourris de ces rencontres. Mais ces castings ne sont pas faits à l'aveugle. Je rencontre les gens, on discute longuement et puis s'ils m'évoquent les personnages que je m'étais imaginée, je continue, je creuse avec eux et on développe l'histoire.

 

C. : C'est ainsi que tu as travaillé sur ton film de fin d'études ? 

M.MC. : Disons que j'ai plutôt découvert cette méthode en faisant ce court parce que j'ai réécrit une partie du scénario après avoir rencontré les comédiens. Et notamment cette scène où la petite fille danse au milieu des garçons au début du film, qui n'était pas du tout dans le scénario. Mais Anaë, l'actrice principale, est danseuse. Elle danse depuis qu'elle a trois ans. Dans le film, elle a 9 ans mais son personnage a 7 ans. Cela faisait 6 ans qu'elle dansait et ça aurait été trop dommage de ne pas l'utiliser. Du coup, on l'a ajouté. 

 

C. : Et comment t'est venue cette histoire ?

M.MC.: Je cherchais le sujet de mon film de fin d'études quand un immeuble s'est effondré à Marseille en 2018, rue d'Aubagne. Et cela m'a rappelé ce qui s'était passé en 2017, à la Grenfell Tower où un incendie a fait 72 morts. J'ai eu le sentiment qu'il fallait que j'écrive autour de ça sans avoir tout de suite une idée précise de l'agencement de l’histoire. J'ai commencé à faire des recherches, lire les minutes du procès qui s’en est suivi et de nombreux témoignages, notamment ceux des responsables des travaux qui ont installé ces panneaux montés à l'extérieur du bâtiment pour rendre la tour plus esthétique. Un frigo a pris feu au quatrième étage et, en moins d'une demi-heure, la tour s'est embrasée parce que ces panneaux sont ultra-inflammables. Quand ces travaux ont été faits, il s'agissait d'économiser 6000 livres d'un revêtement de meilleure qualité. 

 

C. : Pourquoi as-tu construit ton film autour d'une enfant ? C'est un défi pour un tout premier film de diriger une petite fille ainsi qu'un groupe de jeunes hommes, non ?

M.MC. : À vrai dire, je ne me suis pas vraiment posée la question de la difficulté. C'est l'histoire qui m'a poussée à travailler comme ça. On me disait souvent : "Comment tu vas faire pour diriger cette petite fille ? Ce groupe ? Filmer le feu ? Il faut que ça soit crédible..." Et en plus, qu’avec des acteurs non professionnels. Mais je croyais vraiment à mon histoire qui me paraissait tellement importante. J'ai été bouleversée par ce qui s'est passé à la Grenfell, je l'ai tellement ressentie au plus profond de moi que je n'avais même pas peur de ne pas y arriver. C'était trop présent en moi, j'allais réussir à les transmettre d'une manière ou d'une autre. Pour moi, le plus important, quand j'écris un film, c’est d'être habitée émotionnellement par l'histoire. Sinon, je sais que je n'arriverais pas à le réaliser. J'ai besoin d'un lien fort avec les personnages, même s’il n’est pas direct, je n'ai pas grandi par exemple dans une cité HLM. Mais cette histoire terrible et ultra violente est symptomatique du phénomène de gentrification. J'étais guidée par l'envie de raconter tout ça et si j'ai choisi de le raconter du point de vue d'une enfant, c'est parce que cela permettait, je crois, d'écarter la question de la responsabilité pour ouvrir des questions plus larges. On sait très bien que ce n'est pas elle qui a mis le feu à l'immeuble.

 

C. : C'est pourtant la question qu'elle se fait subir.

M.MC.: Oui, mais j'avais l'impression qu'en mettant au centre du film une enfant qui se croit responsable de cet incendie, le spectateur allait écarter tout de suite la question de sa responsabilité pour se poser les vraies questions : est-ce que ce sont ses parents qui sont responsables de cet incendie parce qu'ils l'ont laissée toute seule ? Est-ce que ce sont ceux qui ont laissé les habitants dans cette tour complètement insalubre ? L’État qui a laissé cette tour se construire ? J'avais l'impression que des questions beaucoup plus larges pouvaient se poser, qu’on ne resterait pas focalisé sur la manière dont ce feu est parti, mais sur ce qui l'a rendu possible.

 

C. : Parce qu'elle est une enfant, elle est forcément innocente et du même coup, la responsabilité se diffuse à d'autres endroits ? 

M.MC. : Oui, voilà. En découvrant ce qui s'était passé à la Grenfell Tower en 2017, je me suis demandé comment on est encore dans une situation où des gens ne se sentent pas en sécurité même chez eux. Car depuis, on a découvert que beaucoup d'autres bâtiments en Angleterre ont utilisé ces panneaux en question. Les gens vivent là aujourd’hui et ont peur chez eux. Car, le feu peut se déclarer à tout moment.

 

C. : En somme, ce sont toujours les mêmes qui trinquent ?

M.MC. : Ce que j'avais envie de dénoncer avec ce film, c'est ce système dans lequel on vit. Mais c'est un personnage compliqué à mettre en scène, le système ! Faire émerger ces questions-là à travers le regard d'une enfant était plus simple. Parce qu'elle est innocente, parce qu'elle est une enfant et que dès lors, on cherche les véritables responsables.

 

C. : Le lien que cette petite fille a, avec ces jeunes garçons, qui la prennent en charge est très beau et va à l'encontre de nombreux clichés sur les jeunes gars de banlieue.

M.MC : C’est aussi un film sur l'abandon, je crois. Cette petite fille est toute seule, son papa n’est pas là parce qu'il travaille, elle est un peu abandonnée. Du coup, ces garçons viennent la recueillir. Avant l'incendie déjà mais aussi après l'incendie. Et eux aussi sont aussi abandonnés par la société, tout comme les habitants de cette tour, tout comme les gens de ce quartier. Tous les personnages sont touchés par l'abandon.

 

C.: D'où le titre de ton film ?

M.MC.: J'ai trouvé le titre avant même d'avoir ma trame narrative. J'ai écouté une chanson qui s'ouvre sur cette phrase, Leaving de Spooky Black. En l'entendant, je me suis dit que c'était ça, mon film. Cette chanson m'a servi de guideline pour toute l'écriture. 

 

C. : Ton film est très adroit et impressionnant. Il tisse tout un travail d'impressions autour des allers et retours dans le temps, de la désynchronisation des sons, des accélérations et ralentissements de rythme. Et puis, il nous plonge au plus près de ces corps en danger, dans leur effroi avec beaucoup d'adresse.

M.MC.: Nous avions tout mis en place pour que les comédiens soient le plus libres possibles pendant le tournage, sur le plateau, que ce soit au niveau du décor, de la lumière ou de la caméra. On avait placé toute la lumière en hauteur pour qu'on puisse presque tourner à 360 degrés. Et de la même manière, on voulait que les décors soient vivants : on laissait des objets pour que les comédiens puissent s'en emparer, pour voir ce qu'ils allaient en faire. Ils n'étaient pas du tout enfermés dans des positions. Nous voulions vraiment aller chercher l'essence de leurs émotions, de ce qu'ils avaient à proposer. Ensuite, au montage, nous avons travaillé tout le hors champ qui est venu prendre une place énorme. C'était déjà là au tournage puisqu'on est presque tout le temps en 70 mm, ce qui nous a fait vivre le hors champ. Et c’est cela aussi qui nous a permis d'être très proches des comédiens et d’avoir accès à leurs émotions. On les faisait répéter une ou deux fois, au maximum. On regardait comment ils bougeaient dans l'espace, ce qu'ils nous proposaient. On faisait aussi des longues prises parfois de 20 minutes où on allait chercher des choses, je les dirigeais en direct, je parlais beaucoup pendant les prises. J'ai fait les choses assez intuitivement, mais j'ai réalisé beaucoup de choses après avoir fait le film. J’ai coécrit avec quelqu’un qui n’est pas du tout dans ce milieu du cinéma. Lui ou les comédiens non professionnels m’ont questionné à beaucoup d’endroits sur les raisons d’écrire ou de faire telle ou telle chose. Et cela m’a permis de me détacher d’un certain nombre d’automatismes que j’avais peut-être déjà sur ce qu’est un scénario, comment il doit être écrit, ou comment diriger des comédiens. On nous apprend comment faire un film et il faut mettre cette méthode à l’épreuve pour voir si elle est bien la nôtre, pour ne pas se perdre. Il faut commencer quelque part, apprendre et puis ensuite déconstruire. Ensuite, pour revenir au film, on l’a beaucoup réécrit au montage. 

 

C. : C'est-à-dire ? Tu parles de ce travail de désynchronisation ? De ces mouvements dans la chronologie du film qui nous plongent dans leur intériorité ?

M.MC.: Il s'agissait de faire éprouver ce que les personnages ressentent. J'avais aussi l'impression que pour être avec le personnage principal, il fallait être dans sa tête. Or, quand tu penses, tu n'es pas toujours dans le présent, tu vas et viens entre le présent, le passé, le futur, tu es dans ce que tu imagines, ce que tu crois, ce que tu projettes des autres. 

 

C. : Cela permet aussi de revenir à la fin du film à la danse du groupe qui est très belle et très vivante.

M.MC. : On a essayé de terminer le film autrement, avec la petite fille toute seule dans le salon. Mais c’était une fin très sombre qui ne laissait pas beaucoup de place à l'espoir. En terminant sur cette scène, on avait le sentiment de remettre l'humain et le lien au centre de l'histoire. Peut être qu'ensemble, on peut s'en sortir, si on se soutient ? 

 

C.: Comment vis-tu cette tempête de prix et de nominations autour de ton court-métrage ? 

M.MC: C'est totalement surréaliste ! Tu finis tes études et tu gagnes un oscar étudiant, on dirait presque une blague. Que mon film de fin d'études soit ensuite éligible aux Oscars, ça paraît énorme ! Cela me donne de la force pour continuer et puis cela ouvre mes ambitions. Je sais qu'il y a encore beaucoup de chemin à parcourir mais tout le travail que nous avons investi dans ce film a pris un peu plus de sens. J'ai vraiment beaucoup travaillé, je me suis documentée, j'ai plongé là-dedans et je n'ai pas fait grand-chose d'autre. Et je me suis rendu compte, avec tout ce chemin et l'attention que le film a reçus, que je ne m'étais même pas projeté dans la possibilité de réaliser des films plus ambitieux financièrement. J'ai peut-être le droit de rêver à quelque chose de grand ! Cela m'a donné un peu plus d'espace et je me suis sentie plus légitime.

 

C.: Sur quoi travailles-tu en ce moment ? 

M.MC : Je suis en train d'écrire mon premier long et mon prochain court. Et à côté de ça, je monte un documentaire que j'ai tourné il y a trois ans. En mars, je vais tourner trois clips. Et je fais des castings. 

 

C. : Toi qui a besoin d'être habitée par tes histoires, comment vas-tu t'emparer de ces clips ? 

M.MC : Ce n'est pas facile. J'ai besoin de partir de mes émotions et du réel pour écrire. Je vais passer du temps avec ces artistes pour m'imprégner de leur univers d'abord.

 

C.: Et cette question rebondit sur ton documentaire du même coup ? Comment arrives-tu à construire ton  histoire dans ce documentaire ? 

M.MC. : C'est une grande question ! C'est ce que nous sommes en train d'essayer de faire avec ma monteuse qui a aussi travaillé longuement avec moi sur le court. On tente d'écrire des petites histoires dans chaque séquence puis de les mélanger. Mais on a repris un peu le même système que sur monfilm de fin d'études où nous avons écouté beaucoup de musiques pour chercher le rythme et les émotions qu'on voulait donner au film. Sachant que nous avons tout de même une problématique qui nous est apparue en regardant les rushes que j'ai tournés il y a trois ans au Burkina Faso.

 

C. : Et qu'en est-il du long-métrage que tu es en train d'écrire ?

M.MC. : Il est très inspiré par mon parcours. J'ai grandi à Paris, dans le 18e arrondissement. Ma famille faisait partie d’une des premières vagues de gentrification. C’est justement de ce sujet dont traite mon film. La question du malaise social m'intéresse et toutes les violences qu'elle entraîne, notamment pour les enfants qui tentent de trouver des réponses quand ils sont confrontés à des différences, des inégalités, des injustices, des réponses que leurs parents n'ont pas. Ou que ces adultes sont trop bien pensants pour les énoncer ou mettre carte sur table.

 

C.: C'est ce trouble moral qui habite les films de Ruben Östlund, le réalisateur de The Square, que tu revendiques comme une référence.

M.MC. : Oui. Ma mère est danoise et mon père franco-américain. Dans ma famille au Danemark, plus ça va mal, moins on en parle. Cela traverse le cinéma scandinave, de manière générale, la violence sourde, beaucoup de non-dits, il ne faut pas faire de vagues, de bruits, ne pas être différents. Et plus on camoufle, plus on prend le risque d'imploser. C'est ce que j'éprouve quand je regarde les films d'Östlund où il y a une sorte de décalage qui va grandissant : moins les choses sont dites, plus elles sont exposées. 

Tout à propos de: