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Rencontre avec Steven De Beul, réalisateur de Coppelia

Publié le 22/08/2022 par Kevin Giraud et Harald Duplouis / Catégorie: Entrevue

Côté néerlandophone, ils sont le duo rock’n’roll de l’animation. Mais c’est autour d’un projet atypique que nous rencontrons aujourd’hui Steven De Beul, cofondateur avec son compère Ben Tesseur du studio Beast Animation, tous deux co-réalisateurs de Coppelia. Une œuvre où le langage de l’animation se mêle à celui du ballet et de la musique pour un cocktail envoûtant, fruit d’un travail de longue haleine. Rencontre avec le cinéaste, entre deux plateaux de stop motion.

Cinergie : Pourquoi faites-vous du cinéma ?

Steven De Beul : Raconter des histoires, jouer avec des personnages. Tester de nouvelles choses, et expérimenter aussi. Mais c’est une bonne question.

 

C. : Pouvez-vous nous parler de votre formation ?

S.D.B. : J’ai commencé à Sint-Lukas à Gand, mais cela n’a pas fonctionné pour moi. J’ai commencé à travailler, fait mon service militaire, mais je n’étais pas satisfait. À l’époque, je jouais beaucoup de musique, je dansais dans une troupe amateure, et je m’intéressais aussi au dessin. C’est à cette époque que j’ai découvert les formations proposées par le RITCS à Bruxelles, qui combinaient tous ces aspects. Il m’a fallu à peine une semaine pour être conquis, c’était cela que je voulais faire de ma vie.

 

C. : Comment êtes-vous arrivé de cette formation, à devenir aujourd’hui co-directeur d’un studio comme Beast Animation.

S.D.B. : Dès le premier jour, j’ai rencontré Ben [Tesseur, ndlr], mon ami et associé chez Beast. Nous avons matché directement. Il est batteur, j’étais bassiste, nous nous sommes directement entendus et nous nous sommes pris à rêver d’un studio d’animation stop motion ensemble. Déjà durant notre formation, nous utilisions systématiquement cette technique pour nos exercices. On jouait avec des matériaux, du papier, de la pâte à modeler. Mais il nous a tout de même fallu encore dix ans après la fin de nos études avant de lancer Beast. Le tout premier projet commun, La femme papillon, nous a permis de nous retrouver, avant que Panique au village ne nous rassemble, et que notre rêve d’avoir notre studio puisse devenir réalité.

 

C. : Qu’est-ce qui fait l’ADN de Beast Animation?

S.D.B. : Beast, c’est un studio Rock’n’Roll. Mais un rock’n’roll structuré. On aime bien les trucs qui ne sont pas 100% parfaits, pas trop lisses, avec des petites erreurs mais qui rendent notre travail plus humain. Et la stop motion. De vrais décors, de vraies textures, des éclairages et des bonhommes de pâte à modeler ou de bric à brac. C’est ce qu’on aime, et c’est ce que nous avons construit jusqu'à il y a deux trois ans.

 

C. : Aujourd’hui, nous nous rencontrons justement autour d’un projet où la stop motion est absente, Coppelia. Comment êtes-vous arrivés à ce film?

S.D.B. : À l’origine, Ben et moi avons rencontré le producteur de ce qui était une série. Une animation sur la danse, ça m’intriguait. Mais en voyant Coppelia, on a senti que ce n’était pas un réalisateur d’animation qui avait travaillé sur le projet. Il manquait quelque chose. Nous en avons fait part au producteur, et un mois et demi après, il nous a proposé de coréaliser le film. Il a fallu réécrire le scénario, car nous voulions absolument que l’histoire se raconte par la danse, sans dialogues. Cinq ou six ans, donc une longue période d’écriture, pour arriver à ce résultat.

 

C. : Pour aboutir à un très beau mariage entre le ballet et l’animation, où les deux se complètent pour devenir un vrai langage.

S.D.B. : C’est aussi la langue de la danse qui raconte l’histoire. Coppelia est basé sur un très vieux ballet, joué pour la première fois en 1870. Nous nous sommes inspirés d’une reprise par le ballet national d’Amsterdam, réalisée par Ted Brandsen. Il a collaboré au film, et nous avons également travaillé avec son décorateur Sieb Posthuma, lui-même le créateur de Rintje, que Beast a adapté en série. Nous connaissions donc déjà son univers, et c’est de là que nous avons créé l’atmosphère de Coppelia. Nous avions donc deux langages, celui de l’animation et celui de la danse, et nous voulions que la musique s’ajoute pour consolider le récit. Et c’est ce que nous avons réussi à faire grâce à notre compositeur Maurizio Malagnini, qui a retravaillé les morceaux pour aboutir à ce résultat dont nous sommes ravis.

 

C. : Un récit fantastique, mais qui parle de notre société contemporaine ?

S.D.B : Tout à fait. Cela était déjà présent dans la version de 2008, mais nous avons ajouté encore une couche sur les réseaux sociaux, la chirurgie esthétique, et les problématiques de l’apparence dans notre monde d’aujourd’hui. Et, des retours que nous avons, c’est cela qui marquent les jeunes qui voient le film. Le message, c’est vraiment : tu peux être la personne que tu veux, et c’est ce que le public comprend en découvrant Coppelia.

 

C. : Comment s’est passé le casting ?

S.D.B. : Jeff Tudor, le réalisateur à l’origine du film, et sa femme Adrienne Liron, sont tous deux d’anciens danseurs spécialisés dans la captation du ballet. Ils avaient déjà travaillé avec Michaela De Prince, et cette dernière avait déjà joué Le lac des cygnes sur scène. C’est une danseuse superbe, tout comme Daniel Camargo, Franz dans le film.

 

C. : Comment tourne-t-on un film comme Coppelia ?

S.D.B. : Dans une grande boîte verte ou bleue (rires). Nous avions un grand studio à Amsterdam, trente mètres de large, quinze mètres de profondeur, huit de hauteur, avec des fonds jaunes et verts pour les scènes de jour et des fonds bleus pour les scènes de nuit. Personne, à part les trois réalisateurs, ne savaient où ils se trouvaient. C’était donc à nous d’expliquer aux acteurs : vous êtes dans une clinique, avec un grand couloir au fond, une machine à droite, un scanner ici… Pas évident, car les danseurs ont l’habitude de faire une longue prestation, tandis qu’il fallait pour le film jouer et rejouer de très courtes scènes, de très courtes chorégraphies. Mais cela s’est bien déroulé. Avec en parallèle un gros travail de l’équipe VFX qui devait filmer des clean plates, des balles, des objets à texturiser par la suite.

 

C. : Et une longue phase de post-production…

S.D.B. : Nous avons terminé le tournage en studio début 2020. Ensuite, vous savez ce qui s’est passé. Donc cette post-production a été difficile à démarrer, d’autant que nous avons l’habitude de travailler de vive voix, et pas par écran interposé. Des animateurs allemands sont venus deux-trois semaines en Belgique pour que l’on puisse s’accorder sur la langue que nous allions utiliser pour construire l’animation. Comment discuter des détails, quels sont les points d’attention, pour ensuite briefer leurs animateurs en Allemagne. Mais malgré tout, ça a été très difficile à gérer pour nous de devoir échanger par mail, plutôt que de pouvoir travailler comme nous le faisions avant, en one-to-one, ou bien directement avec les gens dans un même bâtiment. Vu le temps que nous avons eu, et les circonstances, nous sommes en tout cas fiers du résultat, et très heureux des retours que nous avons eu en festival et dans les sorties internationales.

 

C. Quels projets pour la suite chez Beast ?

S.D.B. : On discute avec Jeff pour deux autres projets de long-métrage, ainsi qu’une série, sur le même modèle. À savoir un ballet existant, que l’on adapte en animation. En parallèle, Ben et moi sommes dans l’écriture d’une série en stop motion, Fluffy Four, et sur un projet de long métrage. Bref, nous avons de quoi faire !

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