Faut qu'on se lâche
Pourquoi le parallèle entre Jean-Jacques Rousseau, cinéaste souvretois et son homonyme douanier, Henri, est-il si rarement fait ? La comparaison est à la fois bateau et osée, j'en conviens. La vision de Jean-Jacques apparaît aussi noire et cynique que celle d'Henri est tendre, et naïve ? Mais à bien y réfléchir, face aux "professionnels", ces marginaux que sont le peintre naïf et le cinéaste de l'absurde ne jouent-ils pas un peu, le même rôle dans leurs formes d'art respectives ? Ne sont-ils pas tous deux des aiguillons, des miroirs ou, comme le disait Jean-Jacques, des arbres penchés dans une forêt d'arbres droits. N'ont-ils pas, avec la réalité, le même rapport brut, transposé sous une forme hautement symbolique ?
Ces questions reviennent à la vision de Karminsky Grad. Un Charleroi où la crise et la désaffection économique ont contraint les autorités à céder les fleurons du patrimoine industriel wallon à des consortiums étrangers. Des usines devenues un univers clos où ces mêmes "autorités" sont impuissantes (ou indifférentes) à empêcher une alliance de staliniens orthodoxes, d’anciens nazis et de néo-capitalistes chinois de faire de leur machine à produire un n'importe quoi social, environnemental et économique. Un monde où nulle trace ne subsiste de l'état tel que nous le connaissons encore, où l'on nourrit, par exemple, les ouvriers de boîtes de pâtée pour chiens. Où les révoltes ouvrières sont réprimées dans le sang avec pour seule consolation, des spectacles truqués où ne gagnent jamais que ceux qui défendent les valeurs patronales. Décalé sans doute l’univers de Jean-Jacques Rousseau, largement métaphorique. Un univers parallèle, une vue de l’esprit sans rapport avec le réel… Vous en êtes bien sûrs ?
Loin de ces digressions politico-philosophiques, Jean-Jacques Rousseau et ses comparses lâchent la bride à leur univers fantasmagorique, pour notre plus grand bonheur. À l’image de cette avant-première quelque peu chahutée et bien digne du BIFFF, où l’ensemble de la galaxie Rousseau s’étaient donné rendez-vous, où JJR lui-même, sur scène, armé d’une tronçonneuse menaçait de découper le présentateur en morceaux et de le remplacer par son présentateur attitré, lequel entamait un interminable discours avant de se faire jeter par l’impitoyable public du Festival. Et puis, la projection du film, certes conforme aux attentes des puristes : bourré d'erreurs, de faux raccords, de scènes ratées, mais aussi une plongée en direct dans les cauchemars éveillés d’un homme qui en a vu d’autres, et qui surtout transpire l'amour du cinéma.