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Jean-Jacques Rousseau, cinéaste de l’absurde

Publié le 06/11/2008 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Livre & Publication
Jean-Jacques Rousseau, cinéaste de l’absurde

« Moi, j’étais en train d’halluciner en écoutant Jean-Jacques Rousseau parler de cinéma, de le découvrir. Chaque fois qu’il y a une question qui lui est posée, je ne pouvais même pas imaginer l’once du début de sa réponse. Il m’embarquait dans un univers surréel et joyeux », nous explique médusé Jan Kounen, le réalisateur de 99 francs, qui vient de rencontrer Jean-Jacques Rousseau dans un amphithéâtre de la Sorbonne, lors d’un débat sur les stars du cinéma animé par Frédéric Sojcher. 
La crise de 1929 a lancé, dans le monde du cinéma, le screewball comedies (les comédies loufoques) dont Midnight (La Baronne de minuit) de Mitchell Leisen reste un archétype, ou encore l’époustouflant The Palm beach story (Madame et ses flirts) de Preston Sturges (réalisateur favori des frères Coen). Pourquoi vous parle t-on des screewball comédies qui sortent en rafales via les DVD en 2008  ? Rien à voir, comme vous vous en doutez, avec la crise de 2008 ! Et bien parce que les films de Jean-Jacques Rousseau ne sont pas seulement absurdes, ils sont drôles. Drôles comme leur réalisateur déclarant devant des étudiants stupéfaits, et même hallucinés, dans l’amphithéâtre de la Sorbonne qu’il n’aimait pas les publicités pour le dentifrice parce qu’elles étaient diffusées, dans les tranchées, pendant la seconde guerre mondiale, comme ceci « : le dentifrice Legrand, qui défend victorieusement vos dents ! »


Frédéric Sojcher, à qui l’on doit Cinéastes à tout prix, a rencontré JJR dans un café près de la Bourse à Bruxelles en 1996. Il est en train d’écrire sa thèse de doctorat sur le cinéma belge (La Kermesse heroïque du cinéma belge) lorsqu’il découvre un certain nombre de cinéastes semi-professionnels travaillant en 16 mm dont Jean-Jacques Rousseau. Une rencontre qui démarre bizarrement, puisque JJR méfiant, lui envoie son jeune assistant pour savoir s’il dégage de « bonnes ondes ». L’examen de cet exercice télépathique réussi, « il vint nous rejoindre et, depuis lors, Jean-Jacques Rousseau n’a plus quitté ma vie. Plus un mois sans qu’il me fasse signe. »
 
Le livre possède un Abécédaire de JJR. On vous file un extrait sur l’image de lui-même qu’il entend protéger.
 
Pourquoi porte-t-il une cagoule ? Par goût pour la télépathie ? Pas du tout. Parce que sa maman, qui avait peur de vieillir, se regardait sans cesse dans une glace. « Pour cacher la laideur, ma maman disait qu’il valait mieux porter un masque. Quand je me regarde, je me déteste, je déteste mon image. »
 
Les seins. « Ma mère avait des mamelles très développées. La première chose dont je me souviens, c’est quand je lui prenais le sein, d’où cette envie de voir des femmes avec des seins très développés. Je n’aime pas les femmes qui n’ont pas de seins, surtout celles qui ont des seins plats ou des seins siliconés. »
 
 
Steven. « Si j’avais les moyens de Spielberg, j’aurais fait mieux. S’il avait eu mes moyens, jamais il n’aurait fait du cinéma. Il se serait reconverti comme chasseur de papillons à Hollywood. »
Jean-Pierre Bouyxou pense que JJR est un cinéaste expérimental. « Qui, à part lui, songerait à faire commencer un film par un carton annonçant « Vingt ans plus tard » alors qu’il ne s’est encore strictement rien passé sur l’écran ? » En effet. Cela a fait mourir de rire Benoît Poelvoorde (voire Cinéastes à tout prix).

Comme nous l’explique Frédéric Sojcher, la montée des marches au Festival de Cannes, de toute l’équipe de Cinéastes à tout prix fut épique car soumise à une véritable négociation avec le service du protocole, pour JJR. Fidèle à lui-même, il refusait de monter les marches à visage découvert. Après trois heures de discussion, on lui permit de s’affubler d’une perruque, d’une fausse moustache, et d’un chat (le masque des bals costumés).
 
Mieux encore, des coproducteurs de documentaires lui proposent un contrat pour la réalisation d’un long métrage. JJR leur demande s’ils sont prêts à se mouiller pour lui. « Oui, dirent-ils. "Alors, il faudrait signer le contrat dans l’eau !" Et Jean-Jacques Rousseau d’entraîner avec lui les producteurs, tout habillés, dans la mer Méditerranée, de l’eau jusqu’à la taille, pour signer ensemble ce protocole. »
 
La plupart, sinon la totalité des films de Jean-Jacques Rousseau, sont des films sans budgets, même si Rock Mendés, un film dans lequel un maître d’école se fait agresser par ses anciens élèves, a reçu un soutien de la Communauté française.
Les films de Jean-Jacques Rousseau nous font penser à la notion de cinéma impur défendu par André Bazin, c'est-à-dire, au-delà du clacissisme, du message conventionnel ou de la cinématisation l'art du mélodrame, du music-hall et du feuilleton. Rousseau nous restitue un art du feuilleton que les séries américaines n'ont jamais réussi à dépasser. 

Jean-Jacques Rousseau, cinéaste de l’absurde, sous la directions de Frédéric Sojcher, Editions Archimbaud/Klincksieck, 238pp.

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