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Kathleen de Béthune, le documentaire vietnamien

Publié le 01/05/2008 par Dimitra Bouras / Catégorie: Entrevue

Invitée par le CGRI et le Studio Documentaire National du Vietnam, Kathleen de Béthune, directrice du Centre de l'Audiovisuel de Bruxelles (C.B.A.), a dirigé deux semaines de séminaire à Hanoï sur la question de la survie du documentaire vietnamien après la restructuration qui va avoir lieu dans deux ans. Le Studio Documentaire, actuellement financé par les instances étatiques, se verra totalement autonome, coupé de tout subside.

Pour survivre, le documentaire vietnamien doit se repositionner, faire face à ce nouveau contexte en recherchant à améliorer la qualité, les sujets et ses traitements.

Cinergie : Comment s'est passée ta rencontre avec le Studio ?
Kathleen de Béthune : J'étais partie en ayant préparé une discussion sur le choix des sujets à traiter, de comment fontionne le Centre de l'Audiovisuel à Bruxelles : notre comité de sélection, notre politique de diffusion et de vente de documentaires, etc.  Mais en arrivant là, je me suis rendu compte que la réalité et leur demande étaient tout autre ! 

extrait documentaire vietnamienC. : Concrètement ?
K. d. B. : La télévision vietnamienne appartient à l'état et le Studio documentaire est lié à elle. Ce studio est une grosse organisation qui fait travailler 94 personnes avec des archives importantes en 35 mm, admirablement bien conservées d’ailleurs. 

Ils ont un matériel très important, mais de moins en moins de moyens, et leurs commandes proviennent presque uniquement de l’état. Dans deux ans, ils devront être autonomes car ils ne recevront plus de subventions. La période de transition est entamée.
Cela je l’ai compris en arrivant sur place.

C. Quelles sont les démarches proposées ?
K. d. B. : Plusieurs pistes; travailler pour une série d’ONG qui sont sur place, ou pour d’autres départements de l’état. De plus, les sujets traités sont contrôlés par le gouvernement vietnamien et certains sujets qui pourraient être intéressants sont parfois plus difficiles politiquement, comme les problèmes sociaux ou culturels qui ne sont pas encore tout à fait acceptés par le gouvernement vietnamien. 

Je prends un exemple qui peut paraître très neutre mais qui ne l’est pas : les problèmes d’environnement qui se posent aujourd’hui au Vietnam, riche par sa biodiversité. Par exemple, la baie de Ha Long, classée patrimoine mondial par l’Unesco, mais qui subit les assauts des touristes d’une part, et de l’industrie des mines proches qui déversent dans la mer une série de produits très polluants qui attaquent toutes les roches calcaires. Problème difficile à régler entre intérêts des pêcheurs, de l’industrie et du développement touristique. C’est un très beau sujet de documentaire, la question de l’environnement se posant partout dans le monde, mais évidemment elle est politique, donc difficile à aborder. Cette baie fait partie de l’imaginaire vietnamien, d’une richesse extraordinaire, et est aussi un sujet d’envergure internationale. Nous avons réfléchi ensemble sur les moyens de le produire, les partenaires possibles, etc.

extrait documentair vietnamienC. : Vous avez plutôt cherché les moyens de coproduction?
K. d. B. : Non, nous avons commencé par explorer les moyens locaux. Comme dans tous les pays, on fait d’abord des films pour son propre pays. En me penchant sur la question de la télévision vietnamienne, j'ai découvert une chaîne d’état qui produit énormément en interne, ce qui est l’inverse de ce que nous connaissons dans les télévisions publiques qui produisent plutôt des reportages que de vrais documentaires. La collaboration entre la télévision et le documentaire est certainement à revoir et à construire puisqu’il y a des moyens financiers et des moyens humains et matériel.

C. : Des coproductions sont déjà envisagées ou envisageables entre le C.B.A. et le Studio du documentaire ?
K. d. B. : C’est envisageable car ils ont beaucoup d’archives, donc ils pourraient être un partenaire important. C’est un pays qui a une histoire internationale lourde et extraordinaire en même temps; l'histoire de l’Indochine et la présence française, la guerre du Vietnam avec les USA : de grands sujets internationaux. Sans oublier des sujets tels que la biodiversité.

extrait documentaire vietnamienC. : Peut-on faire un parallèle avec les pays de l'ex-URSS qui possèdent de très bons techniciens, très bien formés ?
K. d. B. : Oui, mais travailler en 35 mm aujourd’hui pour le documentaire, ce n’est plus d’une grande utilité, surtout sans laboratoires. Le numérique a changé les connaissances mais les formes de langage ne sont pas les mêmes qu'ici : leurs documentaires sont presque toujours couverts d'une voix-off, du début à la fin, chose impensable dans le documentaire occidental contemporain !

C. : As-tu rencontré des gens curieux, avides d’apprendre ?
K. d. B. : Ils n’ont pas le choix, ils sont au pied du mur. Il faut qu’ils apprennent à faire des films différemment, il faut qu’ils touchent à des sujets qui puissent intéresser d’abord les Vietnamiens et exploiter leur environnement et leur savoir-faire pour inviter des tournages étrangers. C’est un pays extraordinaire pour tourner, la nature est splendide, il y a un certain nombre de techniciens, le matériel ne manque pas, mais ils doivent résoudre certain problème au préalable. Par exemple, il faut se rendre compte que la notion de droits d’auteur n’existe pas sur tout le continent asiatique ! Tout le monde utilise tout et n’importe comment sans respecter quoi que ce soit. L’auteur n’a pas de droit sur ses images, que ce soit en pays communiste ou non !

Il m'a d'abord fallu comprendre cette réalité, m’adapter le mieux possible aux circonstances et rectifier la manière de présenter les choses !

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