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L'Investissement, de Frédéric Plasman

Publié le 30/04/2024 par Malko Douglas Tolley / Catégorie: Critique

Le court-métrage autofinancé et autoproduit de Frédéric Plasman, L'Investissement, plonge les spectateurs dans une dystopie où la rentabilité et la méritocratie deviennent des idéologies oppressantes. Avec une esthétique moderne et des décors minimalistes, Plasman dépeint un centre de rééducation pour les non productifs, interpellant ainsi sur les valeurs de notre société contemporaine.

L'Investissement, de Frédéric Plasman

Dans un monde dystopique où la rentabilité est érigée en religion, Rachel Boyer, incarnée par la comédienne bruxelloise Géraldine Denis, se voit attribuer une évaluation négative, car elle n'est plus considérée comme suffisamment rentable pour la société. Elle est alors envoyée au centre de revalorisation n°3, également connu sous le nom de Terminus. Dans 1984 d'Orwell, le concept de Terminus représente la limite ultime de la liberté individuelle et de la pensée indépendante, marquant le point où la liberté personnelle est complètement abolie et où le contrôle totalitaire atteint son apogée. Un concept similaire est également développé dans L'Investissement.

Grâce à des effets spéciaux singuliers et à son style graphique distinctif, Frédéric Plasman transporte rapidement le spectateur dans un monde froid et déshumanisé, où les marchés économiques ont supplanté des gouvernements désormais obsolètes. Tout l’attachement à ce type de cinéma et à l’art se retrouve dans son film. S’il aime mentionner Stalker (1979), d’Andreï Tarkovski ou Brazil (1985) de Terry Gilliam parmi ses œuvres de références, c’est essentiellement dans les arts plastiques et le symbolisme belge qu’il puise son inspiration. Il cite également volontiers Jean Delville et Léon Spilliaert à ce propos. L’hologramme que l’on voit dans le film est d’ailleurs imaginé à partir du Portrait du pape Innocent X de Francis Bacon. 

Dans le monde imaginé par Frédéric Plasman, le terme "citoyen" est tombé en désuétude, remplacé par celui d'"actif". Conformément à la logique capitaliste, une cotation détermine si ces "actifs", les humains, sont bénéfiques ou non pour la société, et ce, en fonction de leur rentabilité. Ce concept rappelle aux connaisseurs de genre le célèbre manga Psycho-Pass (2012) ou encore le premier épisode de la saison 3 de Black Mirror intitulé Chute libre/Nosedive, avec son système de notation personnelle basée sur les actions et les pensées des individus. Dans cet univers imaginé par Plasman, les actifs non productifs sont envoyés dans des centres de revalidation pour être "revalorisés" ou, pour dire les choses simplement, être éliminés.

L'intrigue se concentre sur la dynamique conflictuelle entre la protagoniste et son antagoniste, interprétée par l'actrice Bwanga Pilipili. Cette dernière, recrutée par les centres de revalidation, a pour mission de "revaloriser" (tuer) les individus économiquement et socialement peu intéressants. Dépourvue d'humanité, elle exécute ses tâches sans scrupules, agissant tel un mouton de Panurge. Bien que l'héroïne tente d'abord de résister, elle finit par céder à la pression et participe à son tour à cette entreprise macabre, jusqu'à ce qu'elle soit confrontée à une jeune fille différente des autres qui changera le destin de tous à jamais.

Pour l’anecdote, le super ordinateur serveur dont la forme est celle d’une crevette est inspiré de la crevette-mante, un stomatopode. Il s’agit d’une crevette qui dispose de la vue la plus sophistiquée du règne animal avec une vision à 360°. Il s’agit bien entendu d’un clin d’œil à l’hyper surveillance informatique dans la société qu’il dépeint. La véritable horreur du récit réside moins dans le sang versé que dans les valeurs érigées en religion dans son monde.

Parmi les acteurs de la scène francophone présents à l'affiche de L'Investissement, on retrouve des visages familiers tels qu'Antoine Martin-Sauveur, Marcos Adamiantis, Marie-Jeanne Maldague, ainsi que la jeune Mathilde Daffe, peut-être reconnue par certains pour son rôle dans Roméo et Juliette qui s’est joué à l'abbaye de Villers-la-Ville.

La réalisation, l’écriture, le montage, la musique, le sound design et les VFX sont l’œuvre de Frédéric Plasman. Réalisé avec moins de 5000 euros de budget récolté grâce aux fans, ce film “fauché”, comme le réalisateur le dit lui-même, prouve qu’il est possible d’aborder des sujets complexes et de faire de la science-fiction avec peu de moyens. Il faut quand même une sacrée dose de passion ainsi que de la ténacité puisqu’il a fallu près de deux ans de post-production après les sept jours initiaux de tournage du film. 

Son premier court-métrage, L’Auxiliaire (2018), réalisé également avec Géraldine Denis dans le premier rôle, avait fait un beau parcours en festival, dont une sélection à Sitges en Espagne, et totalise plus de 135.000 vues sur Youtube pour un budget de moins de 1000 euros. Cette nouvelle aventure dystopique plus aboutie montre le nouveau cap franchi par ce réalisateur passionné et engagé. 

 

L'Investissement (2024) a été retenu lors de la sélection pour la compétition nationale du BIFFF 2024

https://www.fredericplasman.com/

https://vimeo.com/fredericplasman

L’Auxiliaire (2018) (complet en libre accès) : https://www.youtube.com/watch?v=Zu2uTe_k7uk

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