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La Passion selon Béatrice de Fabrice du Welz, 2024

Publié le 05/12/2024 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

Looking for Pasolini

Scandaleuse, anticonformiste, écorchée vive, indomptable, violente… Ce ne sont là qu’une poignée de termes régulièrement utilisés depuis 1986 pour désigner Béatrice Dalle, que toute une génération a découverte et aimée (et aime encore) pour son rôle ô combien mémorable de ‘Betty’ dans 37°2 le Matin, le chef-d’œuvre sulfureux de Jean-Jacques Beineix. À ces qualifications faciles et forcément réductrices, on peut aujourd’hui ajouter, avec un peu plus de nuances, « libre », « joyeuse » et « passionnée ». 

La Passion selon Béatrice de Fabrice du Welz, 2024

Septembre 2022, l’actrice de 58 ans arrive en Italie, accompagnée par le comédien Clément Roussier (qui lui sert d’interprète) et filmée par son ami Fabrice Du Welz, qui l’a récemment dirigée dans Maldoror (dans nos salles le 22 janvier prochain), pour un documentaire sous forme de road movie. À l’origine de ce voyage, il y a le désir de marcher sur les traces de Pier Paolo Pasolini (1922-1975), « l’homme de sa vie », celui pour qui Béatrice brûle encore et depuis toujours d’une passion ardente. L’homme, le poète, le cinéaste, ses positions politiques, sa philosophie, ses amours turbulentes, son œuvre, son esthétique, son aura (restée intacte)… Béatrice connaît tout ça par cœur ! Fabrice la filme dans un cinéma lors d’une projection de L’Évangile selon Saint Matthieu, émue aux larmes… D’est en ouest et du nord au sud du pays, en train et en voiture, Béatrice parcourt les décors de la vie et des tournages de Pasolini, afin qu’advienne enfin la rencontre entre ces deux artistes, au-delà de la mort. Le film relate les différentes étapes de cette quête, notamment les conversations (passionnantes, souvent émouvantes, parfois drôles) de l’actrice avec ceux qui ont connu le cinéaste assassiné. 

Filmé dans un splendide noir et blanc, ce documentaire nous présente un personnage entier, au bagout inimitable, animé d’une curiosité sans bornes. Incapable de rester deux minutes en place, Béatrice Dalle fait montre d’un enthousiasme de petite fille. Pasolini est toute sa vie, mais au gré des nombreuses conversations qui émaillent le film (dont une, à Rome, avec le légendaire Abel Ferrara – autre grand admirateur de Pasolini, qui a dirigé Béatrice dans The Blackout et qui, en 2014, a réalisé le biopic Pasolini avec Willem Dafoe), l’actrice accumule les digressions et fait part de son admiration tout aussi dévorante pour d’autres grands artistes dont l’œuvre la bouleverse : Mozart, Céline, Godard, mais aussi pour son père, à qui elle n’a pas su suffisamment montrer son amour avant qu’il s’en aille. 

Il n’y a aucune sorte de sophistication chez Dalle (c’est elle qui le dit), mais une capacité particulièrement émouvante à admirer, un appétit « ogresque » d’aimer à la folie, même par procuration, à travers l’art, à travers les mots. Semblant enfin heureuse, Béatrice a néanmoins toujours la médiocrité et le quotidien en horreur, ce qui peut parfois encore lui causer des ennuis. Constamment à fleur de peau, elle pleure des torrents de larmes à chaque nouvelle rencontre - ce qui deviendrait presque un gag récurrent. Si au cours de sa carrière inégale, la presse, agacée ou fascinée par ses frasques passées, l’a souvent résumée à une emmerdeuse ingérable (ce qu’elle est sans doute aussi), Fabrice Du Welz, préfère filmer « sa » Béatrice Dalle. Il nous livre le « portrait d’une vieille fille en feu », immédiatement attachante, dont la capacité d’admiration, l’appétit de vie insatiable et la joyeuse folie s’avèrent communicatifs.

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