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50/50 - Calvaire de Fabrice du Welz

Publié le 07/04/2021 / Catégorie: Dossier

En juin 2017,  la Fédération Wallonie-Bruxelles organisait l'Opération "50/50, Cinquante ans de cinéma belge, Cinquante ans de découvertes" qui mettait à l’honneur 50 films marquants de l’histoire du cinéma belge francophone. Ces films sont ressortis en salle pendant toute une année et de nombreux entretiens ont été réalisés avec leurs auteurs. Le site internet qui se consacrait à cette grande opération n'étant plus en activité, Cinergie.be a la joie de pouvoir aujourd'hui proposer et conserver tous ces entretiens passionnants où une grande partie de la mémoire du cinéma belge se donne à lire.

 

Après avoir été élève dans une école jésuite, Fabrice Du Welz étudie deux ans le métier d'acteur au Conservatoire royal de Liège, puis un an de mise en scène de théâtre à l’INSAS à Bruxelles. Dès 1990, il réalise de nombreux films en Super 8. Il collabore ensuite à l’écriture de séquences humoristiques pour Canal+ (La Grande Famille, Nulle part ailleurs). En 1999, il réalise le court métrage Quand on est amoureux c'est merveilleux qui remporte le grand prix du Festival de Gérardmer. En 2004, il réalise son premier long métrage, Calvaire, avec Laurent Lucas et Jackie Berroyer, sélectionné à la Semaine de la critique du festival de Cannes 2005. En 2007, il tourne Vinyan en Thaïlande avec Emmanuelle Béart et Rufus Sewell en sélection officielle à la Mostra de Venise en 2008. Il tourne ensuite Alléluia, libre adaptation du fait divers immortalisé en 1970 par le film  Les Tueurs de la lune de miel, où il retrouve l'acteur Laurent Lucas et qui, après Calvaire, forme le deuxième volet de sa trilogie ardennaise. Le film est sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes en 2014.

50/50 - Calvaire de Fabrice du Welz

Philippe Manche : Quelle est la genèse de Calvaire ?

Fabrice Du Welz : Après mon court métrage Quand on est amoureux c’est merveilleux (1999), j’ai voulu partir sur un long métrage et le scénario a été écrit très rapidement. Ensuite, la période de financement a duré cinq années. A l’époque - il faut se remettre dans le contexte du début des années 2000 où il y avait une incompréhension du genre, qui était méprisé , personne ne voulait financer le film. J’ai usé deux producteurs en France et, finalement, Michaël Gentile, un autre producteur, a réussi à faire tomber Studio Canal. On l’a fait avec un tout petit budget et à l’arrache avec une envie, un désir et une fougue incroyables. Avec le recul, je pense que ces années ont été bénéfiques parce que je n’aurais pas fait le même film en 2001 ou 2002. J’aurais fait un « slasher » beaucoup plus lambda et carré. Quand le tournage s’est achevé, Calvaire s’est retrouvé à La Semaine de la Critique à Cannes et tout s’est emballé. Le film a été monté très vite.

 

P.M. : Vous aviez conscience de faire quelque chose de singulier tout en rendant hommage à vos « héros » de cinéma ?

F.D-W. : C’est un film sous influence parce qu’avant d’être cinéaste, je suis surtout cinéphile. Donc oui, on retrouve des hommages à La Traque, à Délivrance, à Massacre à la tronçonneuse, à Un soir, un train, … Il y a énormément de films qui sont cités, comme le cinéma de Bunuel aussi. C’est normal, ce sont des socles, mais je ne me suis jamais appesanti sur ces modèles. Des modèles un peu écrasants, certes, mais, je ne sais pas par quel miracle, le film a réussi à avoir sa propre musicalité. Il y a quelque chose qui m’a échappé, mais Calvaire continue à vivre et je suis toujours ravi quand des gamins me rappellent la blague du babyfoot. Cette scène était écrite. Par contre, la scène du bar était de la pure improvisation. C’est un peu comme dans Alleluia, ce sont des expérimentations. C’est vrai qu’à l’époque, j’avais une vraie volonté d’expérimenter les formes, beaucoup plus qu’aujourd’hui où je me concentre plus sur les personnages, par exemple.

 

P.M. : Que souhaitiez-vous raconter avec Calvaire ?

F.D-W. : L’histoire d’un deuil. D’un deuil amoureux. J’étais très intéressé par la figure de Bartel, qu’interprète Jackie Berroyer. Par la figure du psychopathe, de la psychose, de l’aveuglement. Je pense que je n’avais pas de conscience réelle de ce que je racontais. C’est avec le temps que je réalise qu’à travers mes films, j’explore les mêmes thèmes comme le deuil, les tourments amoureux, l’obsession, le fétichisme. Tout ça est fait de manière très ludique, même si les gens sont parfois terrifiés par Calvaire. J’ai toujours pensé que c’était une comédie noire. Une version trash de La vie de Brian. J’aime l’humanité de tous ces personnages. De toute façon, ça n’a pas de sens de faire un film sans humanité. Dans tous leurs travers et tourments, si les personnages ne sont pas incarnés, ce n’est pas intéressant. 

 

P.M. : Un premier long métrage occupe-t-il une place particulière dans la filmographie d’un réalisateur ?

F.D-W. : Il porte vraiment bien son nom, le film. Je pense que c’est Truffaut qui disait que le titre du premier film définit toute une carrière. En ce qui concerne Calvaire, c’est peut-être un peu ça, mais je n’ai pas de nostalgie par rapport à lui. C’est un très bon souvenir de tournage, mais ça n’a pas été facile. C’est même devenu un enjeu existentiel, je devais faire ce film.

 

P.M. : Avec quel réalisateur belge francophone avez-vous un rapport affectif et/ou artistique ? Vous citez André Delvaux et Un soir, un train dans les bonus du DVD de Calvaire. C’est votre maître chez nous ?

F.D-W. : Il reste, pour moi, la grande référence. C’est un cinéma qui n’existe plus aujourd’hui ou qui a presque disparu en France avec Melville ou Cocteau. Ce sont tous des cinéastes qui étaient dans le réalisme magique. Aujourd’hui, il y a un basculement vers le réalisme qui est absolument incroyable. Je pense que les Dardenne ont tué Delvaux. On est revenu à un cinéma qui est très néo-réaliste et qui influence une grande partie du cinéma français. Le cinéma que j’affectionne est toujours à la lisière de l’écran. Donc j’aime les atmosphères, la poésie abstraite de Delvaux. Je pense que la Belgique est profondément une terre étrange et mystérieuse. Je pense que, derrière nous, il y a l’héritage d’un monde fantastique étrange et d’un réalisme foncièrement formidable. C’est ce que, très modestement, parfois de manière excessive et violente, j’essaie de faire. Mais je pense que je suis beaucoup plus proche de Delvaux que du reste du cinéma belge.

 

Philippe Manche

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