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Langue étrangère de Claire Burger, 2024 – Sortie le 18 septembre

Publié le 13/09/2024 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

Faire l'amour ensemble et l'Europe de demain 

Fanny (Lilith Grasmug), une lycéenne française de 17 ans qui sort d’une tentative de suicide, victime de harcèlement scolaire, part en Allemagne dans le cadre d'un échange linguistique. À Leipzig, elle rencontre sa correspondante, Lena (Josefa Heinsius), qui a le même âge qu'elle et qui souhaite s'engager dans l'activisme politique. Cette dernière parle un français impeccable alors que Fanny a encore du mal à s’exprimer en allemand. Lena est une jeune femme pleine de vitalité, parfois arrogante, alors que Fanny, complexée et immature, est encore une enfant, sans grandes convictions. Après des débuts difficiles (l’arrivée de Fanny a été imposée à Lena), elles s’attachent peu à peu l’une à l’autre. Pour impressionner son amie, Fanny s'invente une vie différente en accumulant les petits mensonges (elle aurait notamment une grande sœur formidable). Plus tard, Lena viendra passer quelques semaines à Strasbourg dans la famille de Fanny…

Langue étrangère de Claire Burger, 2024 – Sortie le 18 septembre

Troisième long métrage de Claire Burger après Party Girl (2014) et C’est ça l’amour (2018), Langue étrangère est le récit initiatique de deux jeunes femmes aux caractères opposés qui s’ouvrent en même temps à l’amour et à l’engagement politique par le prisme de la fameuse « amitié franco-allemande ». D’abord totalement ‘lost in translation’, elles s’apprivoisent via une envie d’« améliorer le monde », sans encore trop savoir par quel bout prendre ce vaste combat. Changement climatique, guerres, racisme ordinaire, montée de l’extrême droite en Europe… le choix est large ! Si Lena, libertaire, antifasciste et anticapitaliste convaincue, craint d’être lâche, Fanny, quant à elle, a plutôt peur d’être courageuse.

Ayant grandi près de la frontière franco-allemande, Claire Burger souhaitait mettre en scène le récit d’un échange entre deux pays amis, mais que beaucoup de choses séparent encore (la langue, l’histoire, les mentalités), notamment en situant la première partie de son film à Leipzig, ville de l’ancienne Allemagne de l’Est peu représentée au cinéma, avec des archives de la chute du mur de Berlin en toile de fond. La réalisatrice y filme une jeune génération toujours troublée vis-à-vis de l’histoire de son pays, mais avide de discussion. Un contraste démesuré avec la classe française de Fanny, beaucoup plus dissipée et cynique, notamment cette collégienne qui, sous couvert d’humour, fait le salut hitlérien à l’arrivée de Lena... Les rapports de force entre les deux héroïnes sont aussi inversés dans leur situation familiale respective : la mère de Lena (Nina Hoss), séparée de son compagnon, vit aux crochets d’un père raciste et s’avère, à bien des égards, plus immature que sa fille, tandis que celle de Fanny (Chiara Mastroianni), dont le mari est infidèle, se fait un sang d’encre pour l’avenir et la santé mentale de sa fille tout en se moquant de ses convictions.

Si le film explore plusieurs sujets passionnants (la problématique de la désobéissance civile chez des jeunes gens encore peu construits, le fossé générationnel insondable entre une vieille génération insouciante et une nouvelle trop stressée) et nous propose une poignée de scènes très réussies (un éprouvant dîner familial à Leipzig, une conversation déchirante entre Lena et le père de Fanny…), le cœur du film est son histoire d’amour inattendue. Claire Burger filme la naissance du désir entre ces deux jeunes femmes qui tentent de faire de leur différence une force. Un équilibre fragile que la mythomanie de Fanny et divers remous familiaux ou linguistiques mettent constamment en danger. Entre les heures passées ensemble dans un jacuzzi et une séance de baisers à trois (sous champignons) avec un garçon de la classe de Lena, la réalisatrice filme leur éveil à la sensualité avec pudeur, tendresse et humour, signant un drame adolescent souvent poignant sur deux âmes en construction que l’on trouvera, selon nos convictions, trop naïves pour être résignées ou trop lucides pour ne pas se battre.

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