De Delphine Lehericey, on avait gardé en tête son premier film, Comme à Ostende, une histoire d’amour entre deux êtres fragiles, en proie aux souffrances d’une séparation difficile, un moyen-métrage audacieux, fragile et juste, risqué et réussi, produit avec des clopinettes et réalisé comme une aventure. Son premier long-métrage de fiction Puppy Love était lui aussi sous le signe des corps, des désirs et de l’amour et racontait les errances et les joies d’une jeune adolescente à la découverte d’elle-même. Entre-temps, et depuis, elle était allée vivre d’autres aventures cinématographiques, des documentaires, des films de commande... Le Milieu de l’horizon marque son retour au cinéma. Avec un joli casting (dont les deux superbes comédiennes Laetitia Casta et Clémence Poésy) et pas mal de délicatesse, Delphine Lehericey signe à nouveau un film sur l’éveil du désir et le passage de l’enfance à l’âge adulte. Un beau portrait d’un jeune garçon, sensible et juste.
Le Milieu de l'horizon de Delphine Lehericey
Adapté du roman de Roland Buti, Le Milieu de l’horizon plonge dans la vie d’une famille à la campagne, une ferme au bord de l’effondrement pendant cet été caniculaire et dévastateur de 1976. Tandis que Gus pédale à fond sur son vélo, dans le paysage désolé qui l’entoure, les bêtes tombent les unes après les autres. Son père se débat, fulmine, court ici pour sauver ses poulets que la chaleur assomme, là pour constater que son maïs se dessèche sur place. Toujours en mouvement, toujours à gueuler, il semble un Don Quichotte que le ciel bleu nargue sans cesse. Mais sa douleur et son impuissance sont profondes. Elles le déborderont. Sa mère (qu’interprète avec beaucoup de grâce Laetitia Casta) se démène, calmement, sans rien perdre ni de sa beauté ni de sa joie, entre les factures, les repas, les lessives, les vaches et puis un boulot qu’il faut bien prendre puisque tout va mal. Gus, lui, râle. Normal. Il a 13 ans, il est en vacances et il n’a aucune envie d’aider ses parents, seulement « tout le temps l’envie d’être ailleurs ». Il rechigne perpétuellement, rêve aux jeunes femmes nues dont il caresse l’image dans un magazine chipé à l’épicerie du coin et enfourche sa bicyclette pour filer, dès qu’il le peut, dans sa cabane, la nuit…
Quelques regards ciselés, quelques répliques parfaitement justes, quelques gestes saisis à la va-vite comme la complicité entre la mère et le fils dans un éclat de rire, donnent, dès le départ, beaucoup de justesse au film qui prend le temps d’installer ses enjeux. Sur un fil narratif assez simple, et dans un paysage très épuré, presque désertique où jour et nuit alternent entre lumière aveuglante et clair-obscur mystérieux, le Milieu de l’horizon déroule la profondeur de ses personnages dans des regards échangés, des saillies violentes, dans le silence parfois pesant de ce gosse qui voit tout, à qui rien n’échappe et qui scrute le monde des adultes. Car quand débarque dans le quotidien de la ferme une jeune femme, une amie de sa mère, qui sort un peu de nulle part, plus émancipée que d’autres, plus autonome, la famille va éclater et Gus va, d’un seul coup, devoir s’assumer, prendre la ferme en main, relayer ses parents. Plus d’espace pour râler, rechigner. Mais dans le même temps, c’est le chemin de son propre désir qu’il trouve, en quittant l’enfance.
Difficile de ne pas trop en dire sur le Milieu de l’horizon. Tout se noue autour d’un point de bascule bien précis qu’il ne faut pourtant pas trop dévoiler. Mais tout y est affaire de relations, de rencontres, de désirs mais aussi de mort. La mort des bêtes dont ce cheval qui se laisse mourir sous un arbre, un cheval blanc qui semble avoir toujours été là, et qui se meurt doucement à l’ombre, comme l’enfance même du personnage cet été là. La mort aussi d’un couple, car l’arrivée de Cécile dans cette famille va en provoquer la fin. Et l’entrée dans l’âge adulte de Gus.
Quelque chose de ce monde désolé et vide filmé souvent en plan large, des notes de musiques aiguës et langoureuses entraînent le film un peu ailleurs. Et il trouve, par instant, comme des accents de western. Peut-être aussi parce qu’il est un peu éthéré : ses personnages flottent dans ce paysage aride, il se rythme autour de scènes qui se rejouent sans tout à fait se répéter, faisant avancer la narration dans des boucles de plus en plus prononcées, alternant jour et nuit, enfermements à la ferme et échappées dans les vastes horizons, sur une musique électronique un peu désincarnée. Peut-être aussi parce qu’il semble suivre le point de vue de ce jeune garçon, mais que ce point de vue se diffracte parfois, et bascule dans celui de sa mère. Enfin et t que, surtout, parce que tout le film se déplie dans un face à face à l’aube, entre chien et loup, entre cette mère et son fils. Comme dans les plus beaux duels… Au-delà d’un beau portrait d’une femme qui s’émancipe et qui se retrouve isolée de tous parce que ses choix la conduisent loin de ce qui fait la « normalité » de son milieu, en plus, d’un récit juste et délicat sur l’entrée dans l’âge adule, le Milieu de l’horizon est surtout un très beau film sur la relation complexe, mêlée d’attirance, de complicité charnelle, de colères, de rejets et puis de pardons, entre une mère et son fils.