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Les âmes de papiers de Vincent Lannoo

Publié le 15/01/2014 par Anne Feuillère / Catégorie: Critique

Conte de noël un peu désenchanté

On n'attendait pas vraiment Vincent Lannoo dans le registre de la comédie sentimentale doucement hallucinée. Ou alors, sur un registre totalement loufoque et déjanté, voire un brin trashy-grinçant. Mais Lannoo s'essaie à différentes formes de cinéma, expérimente, s'amuse. Alors pourquoi pas un petit conte de noël fantasque  - et peut-être totalement barré ? Finalement, comédie douce-amère sur le deuil, drôle, bon enfant et tendrement nostalgique, Les âmes de papier se déguste avec pas mal de plaisir. Mais il laisse un profond regret : en privilégiant un doux mélange de ton et une mise en scène discrète, voire plan-plan, le film perd du tonus et ne se permet pas la fantaisie qui présidait à son sujet. Comme s'il n'arrivait pas tout à fait à croire à la magie enchantée qu'il raconte pourtant. 

Les âmes de papiers de Vincent Lannoo

Signé par François Uzan, le scénario des Âmes de papiers est un petit bonheur de comédie truculente, tendre et joyeusement grave qui multiplie les bons mots et les situations abracadabrantes. Paul, interprété par Stéphane Guillon, est un écrivain qui, miné par le deuil, s'est recyclé dans les chroniques mortuaires, pleurant sa femme avec tous les morts. Mais il s'éprend d'une belle veuve et se retrouve empêtré dans de multiples mensonges quand réapparaît magiquement un rival tout droit revenu d'entre les morts. Film sur le deuil, les fantômes qui nous habitent, et la douleur de les quitter, Les âmes de papiers réussit avec brio à tenir un ton de comédie tout en soufflant tranquillement un vent de nostalgie délicate, que souligne encore la musique aux accents de lointaines fancy fair, tout en vent ou en cuivre, de Gast Waltzing. De rebondissement surréalistes en situations extravagantes, avec ses dialogues rapidement taclés, ses personnages secondaires cocasses et doux, cette histoire se cisèle en une vraie petite merveille de comédie à l'américaine, flirte avec Woody Allen, va chercher plus loin chez Capra, ces contes où tout se joue à partir d'un désir naïf et absolu d'«y croire ». Derrière ces multiples histoires de morts qu'il s'agit de quitter, Les âmes de papiers prend, au pied de la lettre, le « il était une fois » tout droit sorti de l'enfance, et raconte une histoire de foi dans nos morts par la grâce de l'amour qu'on leur porte, une histoire de croyance dans le pouvoir magique des mots à faire de nos désirs parce qu'ils se disent, des réalités.

Mais le film de Vincent Lannoo, parce qu'il déroule son fil sans grande surprise cinématographique, semble avoir lui-même du mal à y croire. Il rebondit de péripéties en péripéties un peu mollement. Fait d'allers-retours entre la maison de la belle à conquérir et l'immeuble de Paul, il a du mal à trouver son ampleur lyrique et Paris s'y retrouve un peu à l'étroit. L'image, qui balance entre les teintes fades d'un hiver crayeux ou les couleurs souvent sombres d'intérieurs vieillots, peine à enchanter le réel. La comédie des mots est bien là, avec des dialogues pleins d'esprit, drôles et souvent percutants, mais le rythme du film, plutôt pépère, ne fait pas toujours honneur à leur éclat. Et si Jonathan Zaccai et Julie Gayet s'en sortent haut la main, Pierre Richard qu'on sait extraordinaire, est un peu trop souvent confiné à l'hystérie et au trépignement tandis que Stéphane Guillon, sur qui tout repose, traîne, lui, la patte, peinant à donner à son personnage toute la vivacité hargneuse qui l'habite. Alors, on se dit finalement que Les âmes de papiers n'a pas tout à fait réussi ou voulu réenchanter l'histoire qu'il raconte. Et si on rit beaucoup et qu'on s'émeut parfois, on est un peu déçu quand même, finalement, qu'on n'ait pas pris tout à fait notre désir d'y croire au sérieux, à nous spectateurs, qui n'allons au cinéma que pour ça, croire, comme les enfants, aux histoires qu'on nous raconte, et sortir émerveillés.

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