Cinergie.be

Au nom du fils de Vincent Lannoo

Publié le 01/04/2013 par Marceau Verhaeghe / Catégorie: Critique

Le silence tue 

« Je suis réalisateur et mon métier, c’est de faire des films. J’en ai un besoin viscéral ». Vincent Lannoo est un boulimique d’images. Le dernier arrivé, sort le 3 avril en salles. Au nom du fils aborde frontalement le thème sensible de la pédophilie au sein de l’Eglise, et frappe fort. Prêtres pédophiles, milices paramilitaires d’extrême-droite à l’intégrisme haineux, rejet par un certain clergé de l’homosexualité considérée comme une maladie honteuse, hypocrisie à tous les étages d’une hiérarchie catholique plus familière de l’omerta que de la glasnost :on ne peut pas direque la maison catho en sort à son avantage. Le film traite au fond de questions graves et profondes, mais il est servi sur un ton résolument rentre-dedans, provocateur, aux antipodes du consensualisme frileux de notre époque. Faut-il s’en offusquer ou se réjouir au contraire du retour d’un genre aujourd’hui un peu oublié : le pamphlet?

Au nom du fils de Vincent Lannoo

Il fut un temps pas si lointain où, en Belgique, les cinéastes savaient s'y prendre pour étriller l'ordre établi. Parlez-en à Thierry Zeno, à Roland Lethem, à Noël Godin, à Philippe Simon : leur cinéma, ce n’était pas de la gnognotte. Puis, à part quelques notables exceptions plus ou moins réussies, le cinéma belge a peu à peu perdu cette verve féroce et polémique qui secouait la mesquinerie frileuse du « pays petit » cher à Claude Semal. On y évoque toujours, souvent très bien, les problèmes du monde, on s'y doit d'être vrai, on peut être mordant, mais de préférence sans un mot plus haut que l’autre. Il faut faire attention à ce que l’on dit, rester dans la nuance, cacher ses emportements, ne pas jurer, ne pas blasphémer, au risque de passer pour un hurluberlu. 

Ce ton pamphlétaire perdu, on le retrouve avec un immense plaisir dans Au nom du fils. Iconoclaste assurément, excessif sans doute, le film de Vincent Lannoo, pourtant soigneusement écrit avec le Canadien Philippe Falardeau, ne s’embarrasse pas à peser son propos pour noyer la colère dans une nuance de bon ton. Il se lâche et tant pis pour les bien-pensants. "Faire ce film a répondu pour moi à un besoin", a expliqué sur scène Vincent Lannoo à son public, "celui de répondre au silence que je continuais à sentir : le silence de l’Eglise, le silence de la justice. Et comme toujours quand je suis indigné par quelque chose, j’essaye d’en faire un film". "Populiste" diront certains, "potache, provocateur pour le plaisir". Faites-vous votre opinion, mais au moins, personne ne pourra dire qu’il ronronne.

Ce drame sombre est aussi une satire charpentée de références. Etienne Chatilliez, bien sûr, dont on ne peut manquer d’évoquer les Le Quesnoy de La vie est un long fleuve tranquille, ou Tarantino (la quête vengeresse d’Elisabeth et notamment une scène - d’anthologie - de combat dans une église en réfection). Le film accumule les clins d’œil au cinéma de genre (le camp de guerre de la milice intégriste) et garde de ce fait une réjouissante bonne santé. 

On passe lentement de l'observation d'une famille BCBG, catholique bien pensante et sûre de ses valeurs à la traque sanglante d'une femme meurtrie, déboussolée et trahie par ceux en qui elle avait mis toute sa foi. Le ton oscille entre l'ironie acerbe d'une comédie sociale et la parodie jubilatoire. On y voit la transformation d’une bourgeoise confite de certitudes en furie vengeresse à la Kill Bill. Déboussolée, trahie par ceux en qui elle avait mis toute sa foi, la dame d’œuvre se transforme en Black Mamba. On y sent la colère et le dégoût face à des comportements abjects dont l'impunité est couverte par le silence, et une question lancinante. On peut s’imaginer faire justice en traquant et tuant des monstres que d’autres laissent impunis, mais cette justice expéditive ne finit-elle pas par faire de nous des monstres aussi terribles que ceux que nous traquons ? Et le "pardon" est-il oubli et remise des fautes, ou plus prosaïquement, la nécessité d’arrêter cette spirale de vengeance pour que la vie puisse continuer ? Des questions que la fin inattendue du film laisse ouvertes. 
Si le travail cinématographique est relativement classique, variant les plans et le rythme du montage en fonction de la tension et du message émotionnel à faire passer, on apprécie le côté jouissif et référence de la mise en images. De plus Au nom du fils est superbement interprété, et la mise en scène est excellente. Astrid Whettnall, toujours juste, réalise un délicat exercice entre le drame et le second degré.
Philippe Nahon est délicieux en chanoine patelin aux colères solidement burnées, Zacharie Chasseriaud, que l’on voit décidément beaucoup en Belgique pour l’instant confirme dans un style introverti toutes les promesses qu’il laisse apparaître depuis Les Géants, et Achille Ridolfi dans le rôle difficile du prêtre abuseur, restitue au personnage toute son humanité.

Dans le genre poil à gratter, Au nom du fils fera certainement couler beaucoup d’encre et de salive. Se trouvera-t-il un distributeur courageux pour l’amener sur les écrans au risque de s’attirer les foudres de foules bien pensantes ? Les paris sont ouverts. Nous, en tous cas, on est pour !

Tout à propos de: