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Entretien avec Vincent Lannoo et Astrid Whettnall

Publié le 15/04/2013 par Lucie_Laffineur et Marceau Verhaeghe / Catégorie: Entrevue

Vincent Lannoo n'est pas un réalisateur consensuel. Il aime secouer le cocotier, quitte à prendre, de temps en temps, une noix sur la tête. Sur un sujet grave et sensible, la pédophilie des bons pasteurs et le silence au sein de l’église, là où a priori on aurait attendu de la nuance, Au nom du fils est résolument "rentre dedans". Cela dans un pays qui reste quand même assez catholique BCBG, consensuel et frileux. C'est aussi une comédie féroce, à l'humour noircissime, truffée de références cinématographiques réjouissantes. Au cœur du film, un diamant brille de tous ses feux : Astrid Wettnall, la comédienne belge qui monte. On l'a vue entre autres dans La vie d'une Autre, Le Capital et plus récemment dans Le monde nous appartient. Actuellement, elle tourne le prochain film de Benoît Mariage avec l'autre Ben. Ici, elle part dans tous les sens avec Elisabeth, une mère de famille ultra catho qui entame un parcours vengeur à la Tarantino contre des prêtres suborneurs. Ce qu'on appelle une performance. Dans le salon vieille-France d'un palace du centre de Bruxelles, Vincent et Astrid sont là, prêts à défendre becs et ongles leur "bébé". Car on sent une grande complicité autour du film entre le réalisateur et son actrice. Et on commence par désamorcer toute polémique sur son éventuel anticléricalisme. Car c'est vrai, le film mérite bien mieux que ce débat au ras des pâquerettes.

Vincent Lannoo : Au nom du fils n’est pas une agression frontale contre la religion, la foi et les gens pieux. On est dans un pamphlet, bien sûr, mais aussi dans une réflexion, et surtout dans une critique d’un certain fonctionnement de l’Eglise. Le tout étant d’approcher un sujet sérieux, grave, en le rendant amusant, agréable à regarder. J'aime aussi passer d’un genre à l’autre et le faire accepter au public. Lui rappeler que c’est du cinéma, et qu’on est là pour prendre du plaisir, et réfléchir.
Astrid Wettnall : Ce que je trouve très bien dans le scénario de Vincent, c’est qu'avec sa façon à lui de parler de quelque chose de très profond et de très douloureux, comme le silence de l’Eglise sur la pédophilie, le débat est ouvert de manière très saine, grâce justement à l’humour et au ton pamphlétaire. Il n’y a pas de pathos, pas de complaisance, du coup c’est beaucoup plus franc, plus ouvert. Moi, je suis fan de ce style-là.
V.L. : En tous cas, on a essayé de ne pas être manichéen. La plupart des phrases qui sont dans le film, la plupart des situations, tout est issu d'écrits, de publications, de déclarations…Rien ne vient de moi, tout existe.
A.W. : On a fait plusieurs projections en festivals et partout, le film est perçu de la bonne manière, c'est-à-dire absolument pas un film contre la religion catholique. Juste un film contre les déviances et les extrémismes.

C. : Mais les curés que vous montrez ne sont pas très sympathiques. Pas un pour rattraper l’autre.
A.W. : Mais aucun des personnages n’est unicolore, comme dans la vie. Le personnage de Philippe Nahon a été écrit pour Philippe Nahon, celui du père Achille pour Achille Ridolfi, et ils le jouent avec toute leur humanité, en bien comme en mal. Quelque part, ces prêtres sont pris au piège. Quand, au sein de l’Eglise, on aborde des questions comme la pédophilie ou l’homosexualité, si on ouvre le débat, est-ce qu’on est encore dans la religion ? Et si on en sort, c’est pour aller où ? C’est aussi tout le dilemme de ces hommes, et le fondement du silence de l’Eglise, qui cause tant de dégâts.
V.L. : Il y a énormément de catholiques, même des prêtres, avec qui je m’entends très bien. Ils vont croire que je m’attaque à eux, que je les agresse. Ce qui n’est absolument pas mon propos, loin de là. Cela ne me dérangerait pas d’aller boire un coup avec Mgr Léonard et de discuter de tout cela avec lui. Quand j’ai fait mes études à l’IAD, on avait un cours de religion, le prof nous a appris à boire de la Chimay. Un type formidable, tout-à-fait normal.

C. : Heureusement, il y a l’humour, la satire, la parodie pour mettre de la distance.
V.L. : Quand mon père a vu le film pour la première fois, il n’a pas ri. Il est resté très premier degré. Il trouvait cela juste, grave, il a vraiment passé un bon moment, mais il était dans une salle de vision, tout seul, pas trop dans l'humeur à rigoler. On peut apprécier le film autrement aussi. Je pense que chacun doit être libre de la manière dont il voit et reçoit un film. Avec mon film précédent, Little Glory, j’ai pris une grande leçon d’une dame qui trouvait que l’acteur principal ressemblait à Elvis. Elle a adoré le film, non pas parce qu’elle adhérait à l’histoire, mais parce qu’elle avait l’impression de voir enfin un nouveau film avec Elvis. Elle a donc regardé ce film avec un émerveillement extrême, et elle est venue me dire après "Merci d’avoir refait un film avec Elvis". Elle avait le droit de dire ça. Je lui ai juste répondu "Je suis très heureux pour vous".

C. : Tu parles de pamphlet, cette forme de cinéma était très à la mode en Belgique dans les années 70 et 80, puis s’est un peu perdue. Tu y reviens avec ce ton iconoclaste.
V.L. : J'adore discuter, polémiquer, m'engueuler sur des idées ! C'est l’une des choses les plus saines qui soit. Arrêtons d’être dans des rails politiquement corrects parce que la confrontation des idées n’est plus à la mode. Moi, j’ai besoin de secouer le cocotier et d’interroger les choses. Et puis, en tant que spectateur, je n’aime pas m’ennuyer au cinéma, et c’est pourquoi le film est fait de cette manière-là. Je n’en suis pas à mon premier film un peu polémique. Vampires par exemple, est aussi un film qui traite de côtés très humains avec de l’humour et certains aspects très trash. Par contre, dans Au nom du fils, on a essayé de faire un film qui soit beau et intéressant du point de vue cinématographique. On est allé chercher chez de grands maîtres des sortes de tableaux qui vont aussi marquer les esprits au niveau des sens, du visuel, du son. Le côté cru, on a essayé de l’embellir un peu.

C. : Elisabeth, la mère de famille, est le pivot du film et dans ce personnage, Astrid fait une composition époustouflante. À tel point qu’on a l’impression que le film a été écrit pour elle.
V.L. : Quand on a commencé à écrire, Philippe Falardeau et moi, il était clair qu’Elisabeth, c’était pour Astrid. J’avais déjà travaillé avec elle dans Little Glory. Elle avait un second rôle, mais important, et dans lequel elle m’avait surpris. Le personnage d’Elisabeth, je savais qu’elle allait bien le faire, mais je ne savais pas qu’elle allait porter le film à ce point.

C. : Astrid, quand on vous propose un rôle aussi "rentre dedans", sulfureux, on accepte d’emblée en criant « C’est formidable! » ou on se dit : « Ouille, je vais me casser la figure » ?
AW : Quel cadeau ! C’est un personnage de rêve pour une comédienne ! C’est rare d’avoir des rôles où il y a tellement de choses à défendre. Elisabeth est un personnage intelligent, qui fait une volte-face complète… Par procuration, on passe avec elle à travers tant de questions fondamentales. Tous les acteurs au monde devraient avoir la chance de jouer des personnages aussi intéressants. Donc bien sûr qu’on dit « C'est formidable ! » Et puis on dit : « Merci ! »
Mais dans ce film, tous les rôles sont intéressants. Ils ont une profondeur. C’est ce qu’il y a de bien avec la manière dont Vincent écrit et réalise. C’est un cadeau pour tous les comédiens.

C. : C’est un rôle très intense, vis-à-vis duquel il faut garder une certaine distance, non ? Et puis le personnage change énormément au cours du film. Vous devez adapter votre jeu en fonction des scènes et des situations. Ce n’est pas évident à préparer.
AW : En tous cas, c’est un rôle qui nous apprend, et c’est pour cela qu’on choisit de faire ce métier : pour que nos rôles nous apprennent des choses. On était tous très conscients tout au long du tournage que la ligne rouge entre la comédie noire et le drame était tellement fine et délicate que cela pouvait déraper à tout moment. Mais j’avais confiance en Vincent. Je savais que c’était un super capitaine. Il nous a tous très bien dirigés tout au long de cette ligne rouge et je pense que c’est réussi.
V.L. : Ce n’est pas un rôle facile à prendre en mains, mais Astrid a pris ce personnage à bras le corps. Pendant le tournage, il y a eu des moments difficiles où, pour vivre et construire l’émotion, Astrid allait chercher très loin, tellement loin qu’elle m’a fait peur plus d’une fois. En fait, elle s’en remettait très bien, mais je trouve qu’elle a pris des risques, et elle l’a extrêmement bien fait, c’est un métier. Moi, je serais incapable de le faire. Elle dit que le rôle est un cadeau, d’accord, mais quand on s’en empare et qu’on en fait ça, c’est, en retour, le plus beau cadeau du monde.

C. :Au nom du fils est coécrit avec Philippe Falardeau, le réalisateur québécois de Congorama et de Monsieur Lazhar. D’où vient cette collaboration ?
V.L. : Je l’ai rencontré alors que je venais présenter mon premier long, Strass, au festival de Montréal. Il y présentait aussi son premier film : La moitié gauche du frigo, et il a tellement aimé Strass qu’au bout de deux jours, il s’est retrouvé à distribuer des tracts avec nous dans la rue pour que les gens aillent le voir. Puis on s’est beaucoup fréquenté, on a vécu des drames et des moments formidables ensemble. Bref, c’est un grand ami et quelqu’un qui a énormément de talent, avec un humour très proche du mien. Sauf qu’il ne se lâche pas vraiment. Je crois qu’il aime le fait que j’ose y aller à fond et il était ravi d’y aller avec moi.
Au départ, j’avais une espèce de schéma structurel de ce qu’allait être le film. On est parti s’isoler dans une maison. On a beaucoup lu, on a beaucoup cherché dans des magazines, dans des bouquins et puis on a écrit, assez rapidement finalement. La structure de base, la forme du film et son évolution sont arrivées en une quinzaine de jours de travail assidu. On savait qu’on tenait un bon film.

C. : Astrid, comment était l’ambiance sur le tournage ?
A.W. : C’était très familial dans la mesure où on se connaissait tous : acteurs, producteurs techniciens... Un tournage ultra-concentré aussi, parce qu’on a beaucoup donné. Ce qu’il y a de chouette avec Vincent sur un plateau, c’est qu’il permet à tout le monde d’avoir sa vraie valeur ajoutée. Il ne brime personne, et donc que ce soit à la déco, au son, … tout le monde a l’opportunité de bien faire son travail, et apporte vraiment quelque chose. Cela crée une très bonne ambiance de tournage évidemment.
V.L. : Quand on parle d’une ambiance familiale, c’est plutôt l’ambiance "communion" quand même. Le soir, on fête ça un petit peu. On n’est pas seulement sérieux.

C. : C’est un film où on vous fait faire quelques cascades assez dangereuses. La bagarre dans l’église, il fallait y aller ! D’autant qu'avec le budget du film, pas question de doublure. Ça c’est passé comment ?
A.W. : C’était d'autant plus génial que, cerise sur le gâteau, le comédien qui joue le prêtre (Albert Goldberg) contre lequel je me bats est un des plus grands cascadeurs de France ! Lui et Vincent ont déterminé ce qu’il fallait faire, et puis on s’est entraîné. Il m’a vraiment aidée. J’avais non seulement un comédien devant moi, mais un cascadeur : tout était bien réglé, j’étais bien protégée. Heureusement d’ailleurs, parce que dans la dernière scène qu’on a tournée, je me suis pété la pommette, je crois.
V.L. : Pour être franc, ce n’est pas la dernière scène qu’elle ait tournée. Il y en a encore eu une après mais où elle est de profil, parce qu’elle avait un énorme coquard. Ceci dit, cette scène, j’ai adoré la faire, et je pense que je remettrai ça dans d’autres films.

C. : Ce doit être effectivement assez amusant à tourner, et à monter aussi, un montage très haché, très rapide…
V.L. : Je ne participe pas au montage, j’arrive à la fin du travail. En fait, j’ai un vrai problème à découvrir le film trop tôt. Cela me déstabilise parce que le rythme ne s’est pas encore installé. Je suis totalement paumé à cause de ce manque de rythme, et je ne peux pas aider. Heureusement, j’ai une monteuse exceptionnelle. J'ai totalement confiance. Même quand je tourne de la merde elle en fait des chefs-d’œuvre, et quand je tourne de belles choses, elle en fait des choses encore plus belles. C’est Frédérique Broos et c’est mon épouse, mais ici, c'est une monteuse. Il y a donc toute une période où je la laisse travailler seule. Par contre, une fois que le rythme est là, on peut commencer à s'occuper de la structure et je reprends mon costume de réalisateur. Je ne suis pas le seul, on est nombreux à aimer garder cette fraîcheur. On bosse pour le spectateur, donc il y a un moment où on doit se mettre un tout petit peu dans sa peau. Et pour cela, on ne doit pas être tout le temps dans le détail du film. On doit garder cette distance de découverte.

C. : On sait que tu aimes changer de genre. Alors prêt à recommencer dans le même style ou te diriges-tu vers quelque chose de différent ?
V.L. : J'ai besoin de changer de style, je ne peux pas faire autrement. Alors oui, il y aura d’autres films comme Au nom du fils, certainement, peut-être avec Astrid. Mais il y aura aussi des thrillers plus classiques, ou une comédie romantique. Un road movie sur les Hell's Angels aux Etats-Unis, c’est dans le collimateur aussi. Avant de mourir, plein de projets. Après ce sera plus compliqué (rires).

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