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Les pros du ciné - Benoît Debie - Chef opérateur

Publié le 15/07/2015 / Catégorie: Métiers du cinéma

C’est l’homme à la caméra qui a deux pépites de lumière dans les yeux tant il est animé de passion en racontant son incroyable métier. Vous ne le connaissez pas ? Jetez un coup d’œil à son showreel, et peut-être reconnaîtrez-vous certains des films que Benoît Debie a filmé et mis en lumière. Avec ce chef opérateur,la lumière devient un personnage à part entière. Reconnaissable par son style bien à lui, Benoît Debie est appelé par le monde entier. Un pro du ciné ! Mais quel est son parcours ?  

Cinergie : Est-ce que tu peux m’expliquer comment tu étais petit garçon et comment tu es arrivé au métier de chef opérateur ?
Benoît Debie : Les métiers du cinéma, étant petit garçon, je ne connaissais pas. J’allais au cinéma comme tout le monde, mais je ne me suis jamais dit : “Tiens, qui est derrière la caméra ? Comment ça fonctionne ?” Mais curieusement, j’adorais tout ce qui était image. Je me souviens un jour, j’avais décoré ma chambre pour Noël avec plein de spots de couleurs qui clignotaient, j’avais mis des guirlandes partout. Je m’amusais toujours à jouer avec la lumière. Un jour, mon père m’a payé un petit appareil photo, et je m’amusais avec. Quand j’ai grandi, il m’a donné un appareil photo plus conséquent, un réflex. Les week-ends, je partais faire des photos et j’adorais ça. Ensuite, je les développais moi-même, mais sans pour autant me dire que je travaillerais un jour dans la photo ou le cinéma. Je n’avais aucune idée de ce que je voulais faire, en fait. Puis, quand est venue l’heure de choisir un métier, je me suis posé beaucoup de questions, parce que je ne voulais pas du tout un métier où on restait dans des bureaux. Je savais qu’il fallait que je sorte, que je bouge. Je suis allé à une journée d’orientation où on fait des tests et on rencontre un psychologue qui essaie de trouver un métier qui correspond. Il m’a sorti cinq métiers. Et c’est marrant parce qu’avec du recul, j’aurais pu faire les cinq, mais ils étaient tous très différents. Il y avait prof d’éducation physique. J’aime bien le sport donc ça aurait pu me convenir. Un métier un peu plus marrant, et pourquoi pas, c’est garde champêtre. J’adore la nature, donc ça ne m’aurait pas dérangé de travailler dans les forêts. Il y avait cuistot et aussi architecte, mais mon père est architecte donc voilà… Et puis, mes parents m’ont dit : “Tiens, il y a une école qui s’appelle l’Institut des Arts de Diffusion (IAD) à Louvain-La-Neuve, et c’est sur les arts du métier de cinéma. Je suis allé à la journée porte ouverte et là, j’ai eu le déclic, c’est exactement ce que je voulais faire ! J’adorais le son et l’image car j’étais batteur, j’ai fait beaucoup de musique. Donc j’hésitais entre le son et l’image. Puis, je me suis dit que je préférais l’image, et je suis parti de là. Ça été le déclic, mais jamais j’y aurais pensé, -c’est marrant - alors que c’est quelque chose, avec le recul, qui était évident. Mais je ne connaissais pas ce milieu-là. Je n’étais pas un cinéphile absolu.

C : Et comment ça s’est passé après tes études ?
BD : J’ai fait l’Institut des Arts de Diffusion, en image, c’était 3 ans à l’époque. Quand je suis sorti de là, j’ai fait très vite deux longs-métrages comme assistant caméra. Je me suis rendu compte que l’assistanat, c’était très technique avec les caméras : les charger, faire le point et tout, c’était un truc qui ne me correspondait pas parce que je voulais plus de l’artistique avec de la lumière, un cadre etc. Je me suis dit que je devais faire mes preuves. À l’époque, il y avait RTL-TVI. C’était une jeune chaîne de TV qui commençait à se développer. Je n’avais pas du tout envie de faire de la TV, mais je suis allé voir car j’avais quand même envie de travailler. On m’a proposé tout de suite des piges comme cadreur. Parfois, je prestais un jour par semaine. Ça me permettait d’avoir un petit revenu régulier par mois. Puis un jour, ils m’ont proposé de devenir directeur de la photographie. C’est ce que je voulais faire, mais plus pour le cinéma. C’est un chef opérateur dans lecinéma à qui j’en avais parlé qui m’avait dit : “Tu vas faire de la lumière tous les jours, chose que nous, en cinéma, nous ne faisons pas. Tu vas apprendre le métier et ton travail super bien, et même si c’est en TV, c’est quand même de la lumière”. Je me suis dit que j’allais essayer. Et pendant plusieurs années, j’ai fait la direction photo à RTL où j’ai expérimenté plein de choses.

Puis, à un moment donné, je me suis rendu compte que j’avais fait le tour. Et une fois que je fais les mêmes choses, je m’ennuie. Donc, j’ai commencé à faire un peu de pub, du court-métrage… J’ai essayé de pousser la chance et d’en sortir, parce que sinon, c’est difficile de passer de la TV au cinéma.

J’ai fait un court-métrage de Fabrice Du Welz (Quand on est amoureux c’est merveilleux, 1999), c’était son premier court-métrage. Pour faire court, Gaspar Noé a vu ce court-métrage là. Il est venu me voir parce qu’il aimait bien la lumière du film. Six mois après, il m’a appelé pour faire Irréversible qui a été mon premier long-métrage. C’est ce film-là qui m’a permis de basculer. Je travaillais toujours en TV, et à un moment donné, je me suis dit : “C’est le moment ou jamais, si je veux faire du cinéma, il faut que je le fasse”. Et j’ai bien fait, parce que c’est exactement ce que j’aime faire. Mais après tu prends un peu de temps à démarrer.

C : Combien de temps ça t’a pris de la sortie de l’école à Irréversible ?
BD : Plus ou moins dix ans. Mais dix ans où j’ai quand même fait beaucoup de choses. Je n’aurais pas été prêt à faire Irréversible en sortant de l’école, ou trois ans après. Parce que c’est un film où il fallait quand même avoir une maturité. Maintenant, ça me paraîtrait facile, mais ce n’était pas un film facile à la base. Gaspar m’avait interdit d’utiliser un seul projecteur de cinéma, donc j’ai fait tout le film sans projecteur. J’utilisais des ampoules domestiques que je mettais dans le champ.

Quand on est amoureux de Fabrice Du Welz
Quand on est amoureux c'est merveilleux
de Fabrice Du Welz (1999)

Et donc quand tu commences, que c’est ton premier long, que tu es encore jeune et que tu n’as pas d’expérience, tu te dis « waw »! C’est lui aussi qui m’a ouvert les yeux sur ce que je savais faire et ce que j’aimais faire. Parce que c’était un peu ce que je faisais sans le savoir. Quand j’ai fait Irréversible, je me suis dit qu’il y avait moyen d’éclairer un film autrement, et aussi d’observer ce qui se passe avant de commencer à éclairer. 

C : Maintenant ça marche bien pour toi mais comment es-tu parvenu à percer ?
BD : Dans mon cas, c’est venu un peu par la force du travail parce que j’ai toujours beaucoup travaillé. Même à RTL, je me souviens qu’indirectement je poussais aussi la chance. J’aurais pu rester paisiblement à RTL, mais parallèlement je faisais des courts-métrages, je faisais une pub, je faisais des petites choses mais qui me demandaient quand même beaucoup d’énergie : je travaillais presque non-stop. A long terme, je crois que c’est tout ce travail qui m’a permis d’arriver où j’en suis maintenant. Et toujours maintenant, je me dis que rien n’est jamais acquis. Si je ne reste pas vigilant, ça peut vite s’arrêter aussi. Je suis sûr que du jour au lendemain, tu peux ne plus avoir de boulot. Je suis toujours étonné de ce qui m’arrive. Quand on me téléphone pour faire un film aux Etats-Unis par exemple, je me demande mais pourquoi m’appellent-ils moi ? Je suis Belge et j’habite à Bruxelles. Mais c’est aussi quand même dû au travail et aux attitudes que tu as sur le plateau. Ce n’est pas qu’un talent ou un style, c’est beaucoup plus que ça, pour ce métier. C’est savoir prendre du recul sur certaines choses. 


Irréversible de Gaspar Noé (2002)

C’est aussi très dur de gérer une équipe, surtout quand tu commences à faire des films plus gros avec des Américains qui sont quand même de vrais bosseurs, très carrés et précis. Il faut avoir l’attitude qui va avec. Il ne faut pas seulement faire de la lumière. Souvent, ce que je dis aux étudiants, c’est que ce n’est pas tant de faire de la lumière qui est difficile, mais de gérer les gens : le metteur en scène, qui n’est pas toujours simple, les producteurs, et l’équipe. C’est souvent ce qui fait aussi que certaines personnes marchent mieux que d’autres. C’est qu’ils ont aussi la capacité de gérer tout ça, et de toujours rester calme. Par exemple, si un producteur vient me trouver et me dit : “Benoît, tu n’auras pas ton projecteur”, si tu rentres en guerre avec le producteur parce que tu veux ton projecteur, et il y en a qui le font, alors ça fonctionne, tu auras peut-être ton projecteur mais ça veut dire que le film suivant, tu ne le feras peut-être pas. 

C : Et parmi toutes tes expériences qu’elle a été la plus difficile à ce niveau-là ?
BD : C’était difficile sur Enter the Void de Gaspar Noé, au Japon. C’est un film qui était très complexe techniquement. On était au Japon avec Gaspar, seuls tous les deux parce qu’on ne travaillait qu’avec des Japonais. Et le problème des Japonais, c’est qu’ils sont beaucoup plus carrés que nous, avec une précision que Gaspar n’a pas, ou qui est différente, donc ça a été difficile. Je me suis retrouvé tout seul finalement à gérer une équipe de Japonais qui était une armée ! C’était fatiguant. On travaillait six jours par semaine, 18h par jour, et souvent le dimanche, on allait en repérage pour la semaine suivante. Donc, pendant cinq mois, j’ai travaillé jour et nuit. Et à un moment donné, tu n’en peux plus. Après ce film-là, je suis resté pratiquement six mois sans travailler, parce que je n’en avais plus envie. Ça m’avait presque dégouté. C’était trop dur et ça demandait trop d’effort intellectuel. Ça m’a pris une énergie de fou. C’était le film le plus difficile à tous les niveaux : moral, expérience, culture, artistique. Après, tu te dis que des films comme ça, tu n’en feras plus. Puis, après un an, tu te rends compte que ce sont des films incroyables, le genre que tu ne fais qu’une fois dans ta carrière, parce que ce sont des films très rares. Alors, tu te dis que c’était génial d’être là. 

C : Tu pars souvent à l’étranger, comment ça se passe au niveau de l’équipe ?
BD : Je pars toujours tout seul. En général, ce que je fais quand j’arrive dans un pays comme le Mexique, la Thaïlande, le Japon, c’est que je travaille avec des Japonais, des Thaïlandais, des Mexicains, ce qui est parfois très compliqué. Mais moi j’adore, et c’est peut-être ce que j’aime le plus dans mon métier : la rencontre des cultures. Parce que la lumière maintenant, je commence à la connaître, même si j’apprends toujours beaucoup. J’ai appris des trucs incroyables quand je voyageais, donc je préfère partir seul. J’essaye toujours de trouver des équipes, de bons techniciens forcément, mais qui aussi des gens positifs parce que si tu as une équipe qui râle toute la journée et qui tire la gueule, à un moment donné tu deviens comme ça. Si tu es avec des mecs qui ont la pêche, qui sont sympas, avec qui tu iras même boire un verre le soir, c’est sympa, parce que tu travailles dans la bonne humeur, tu rigoles, tu essayes des choses. C’est pas toujours facile de détecter ça tout de suite, mais je fais attention, parce que c’est une énergie positive dont j’ai besoin. 

C : Dès le moment où tu as commencé à faire du cinéma, tu as commencé à avoir une relation de proximité avec le réalisateur que tu n’as pas spécialement en TV. Peux-tu m’expliquer cette relation avec le réalisateur ?
BD : 
C’est sûr. En cinéma, c’est primordial. En général, le réalisateur et le chef opérateur c’est une symbiose, où t’es un peu le bras droit du réalisateur. Tu mets aussi en image son mental, son idée, son script. Et oui c’est important. J’essaie toujours de servir le film d’un réalisateur avant toute chose. Je n’essaie pas juste de faire ma petite lumière, de me dire c’est joli. J’essaye surtout d’analyser le script, de voir aussi ce que recherche le metteur en scène, et de l’écouter, parce que parfois il te donne des pistes, des indices. Il y en a qui ne dise rien, tu te débrouilles, et y en a d’autres qui te disent ce qu’ils aiment. Alors j’écoute ça et je fais des recherches, je réfléchis à comment je pourrais amener le film visuellement, et je construis ça comme ça. 

C : Comment ça se passe en général ? Tu reçois d’abord un scénario puis… ?
BD : Le truc classique c’est que je reçois un scénario qui m’est soit envoyé par un producteur, soit par le réalisateur lui-même. Puis je lis. Après si j’aime bien le scénario je rencontre le réalisateur, et tu vois déjà s’il y a une affinité humaine. Puis il y a des réalisateurs qui soit savent qu’ils veulent faire le film avec toi, ou soit hésitent entre deux-trois chef opérateurs et ils font passer un genre de casting de chef op !


Photo prise par Benoît Debie à Mumbai.

Mais ce qui se passe aussi actuellement c’est que je reçois dix scénarios en même temps qui viennent du monde entier. Il y a des scénarios que je ne lis pas, parce que je sais que ça ne me conviendra pas, donc déjà je fais un tri. Si j’ai un tas de dix, il y en a déjà 5 ou 6 que je ne vais pas lire, parce que je sais que ça ne sera pas pour moi. C’est pas que ce sont de mauvais scénarios, mais ils ne me correspondent pas. Puis il y en a deux-trois que je lis. Il y en a certains où je me dis que visuellement je n’arriverai pas à apporter quelque chose au film, et puis il y en a d’autres qui me parlent tout de suite.

C : Souvent j’ai l’impression que tu travailles avec des personnes qui ont vraiment un univers à eux.
BD :Oui, ça c’est la chance que j’ai. J’en suis super content car c’est vraiment le cinéma que j’aime. Et puis ce qu’il y a de génial pour un chef op c’est que ce sont des metteurs en scène qui ont un visuel très précis et qui eux-mêmes me poussent à aller plus loin que ce que je pourrais peut être faire sur un film plus conventionnel. Et comme ces metteurs en scène me poussent à aller à un visuel très fort, alors finalement les films où il n’y a pas vraiment de visuel, ne me parlent plus, parce que je sais que je vais m’embêter. C’est pour ça que sur les dix scénarios que je reçois je deviens plus sélectif. C’est dur, parce que ça veut dire que des fois je décide de ne pas tourner parce qu’il n’y a rien qui me plaît. Je deviens difficile ! Mais c’est bien parce qu’à la limite ça me permet de garder ma ligne de savoir et d’apprentissage. Et j’ai la chance de pouvoir le faire. 

C : Quand tu travailles sur la lumière, est-ce que tu penses à un rendu humain, à rendre compte d’un sentiment, d’une émotion ?
BD : Ce que j’essaye de faire en général sur le script, maintenant ce n’est pas radical à tous les coups, mais j’essaye que la lumière et le cadre raconte le côté émotionnel du personnage. Aussi, en fonction des scripts, je vais veiller à une évolution visuelle. Je vais dire n’importe quoi, admettons je fais une lumière plus douce et si ça commence à monter dans une dramaturgie plus forte alors je vais augmenter les contrastes ou les couleurs, ou changer peut-être des couleurs en fonction de … parce que chaque couleur à une connotation. Le rouge peut-être un peu plus violent que le vert ou le bleu. Et donc j’essaie de travailler avec ça. Je réfléchis à comment l’image peut servir l’histoire et amener les personnages du film à être encore plus intense. 

C : J’ai vu que tu avais travaillé avec Wim Wenders, comment avez-vous été amené à vous rencontrer ?
BD : Je faisais le film de Ryan Gosling à Détroit (Lost River NDLR) et j’ai eu un coup de fil de la production de Wim Wenders en me disant “Wim Wenders voudrait vous rencontrer, est-ce que ça vous ennuie si Monsieur Wenders vient vous retrouver pendant le week-end?”. Tu sais, t’as Wim Wenders qui vient te retrouver à Détroit ! Je lui dis “il n’y a pas de problème, mais c’est un peu gênant”. Et il me dit “Vous inquiétez pas, ça lui fait plaisir”. Le week-end suivant t’as Wim qui vient à Détroit. On a passé le samedi et dimanche ensemble, mais sans qu’il ne me parle une seule fois de son film. Il voulait savoir qui j’étais. Il connaissait mon parcours mais il voulait savoir humainement quel genre de personne j’étais. Une semaine après il m’a appelé lui-même :” Benoît j’aimerais bien que tu fasses mon film”.

J’ai eu un plaisir fou. Ce qu’il y a de génial c’est que j’ai appris le cinéma avec lui comme jamais aucun metteur en scène ne me l’avait appris. La manière d’analyser un plan, ou de le découper, pourquoi mettre la caméra là plutôt que là. On faisait beaucoup le découpage ensemble. Tous les soirs on faisait ça, on était nous deux et on faisait des petits dessins, on mettait les caméras comme à l’école. On était souvent nous deux et il m’a parlé beaucoup d’expérience qu’il avait eu avec Robby Muller, ou avec Henri Alekan, qui sont des chefs opérateurs incroyables. Donc moi je fais un film après eux! C’est une expérience incroyable que je ne regretterai jamais. Puis c’était en 3D et ça m’a plu parce que je n’en avais jamais fait de ma vie. 

C : Et c’est quoi maintenant les prochains projets ? 
BD : Je pars au mois de janvier faire le prochain film d’Harmony Korine, à Miami. C’est bien parce qu’on a fait Spring Breakers qui a très bien marché, et il a eu un bon budget pour celui-ci. C’est avec Benicio del Toro et Jamie Foxx. C’est un très beau script, peut-être même un de ces plus beaux, je pense. Le tournage est en mars-avril. Je pars mi-janvier faire la préparation. Il aimerait bien que je travaille avec lui en amont pour trouver les décors, pour faire un design de lumière. Parce qu’ici il veut vraiment que ce soit un film totalement hors du commun, et le plus beau film de sa carrière. Déjà sur Spring Breakers j’avais pu utiliser des couleurs improbables. Des trucs que tu n’utilises pas nécessairement sur tous les films. C’est très fluos. Celui-ci aussi, on a envie de travailler sur les couleurs et de pousser les choses plus loin. Il y a tous des bâtiments qu’on a envie d’éclairer comme s’il y avait un glow (lueur NDLR). C’est tous des trucs où il faut faire un concept de lumière, on doit réfléchir sur comment on va le faire. Peut-être construire les bâtiments. C’est tout un visuel que j’ai envie d’explorer. On va tourner le film toujours en pellicule parce que j’adore la pellicule. Mais j’ai envie d’exposer certaines scènes pour le ciel de nuit et que le ciel ne soit pas noir, et ça c’est très compliqué. Ce sont des choses que j’ai toujours voulu faire, et Harmony a vraiment envie qu’on innove.

C : Est-ce que parfois tu penses à arrêter ou faire autre chose ?
BD : Il y a pleins d’autres choses qui me fascine mais dans un autre sens c’est quand même un métier qui me permet de voir des choses que je ne pourrais pas voir dans un autre métier, et ça me permet de voyager. C’est assez enrichissant je trouve, même au niveau humain. C’est ce qui me fascine vraiment dans mon métier, mais c’est vrai que c’est un métier difficile. C’est beaucoup d’heure de travail, c’est beaucoup d’énergie, beaucoup de voyage, mais arrêter … je ne sais pas. Ce que je pense que j’aimerais faire un jour, c’est réaliser mon propre film. Et j’ai un film que j’aimerais faire en Ethiopie. J’ai déjà une bonne trame et une note d’intention. Comme je disais avec Harmony, j’ai envie que ce soit peut-être le plus beau film que j’ai mis en image. Parce que je pense que si je le fais, je le filmerai moi-même. Je prendrai le temps, mais je filmerai moi-même. J’ai envie que ce soit les plus belles images que je n’ai jamais fait de ma carrière. Donc ça veut dire que c’est compliqué. Je le ferai peut-être jamais, je n’en sais rien. Pour faire un film et pour bien le faire, je pense qu’il faut prendre le temps de le faire. Il faut l’écrire, lancer la production, les budgets, le tourner, le monter. C’est bien deux-trois ans. Donc à l’heure actuelle, je suis tellement à gauche à droite qu’il faudrait que pendant deux ans je m’arrête. Et ce n’est pas évident parce que j’adore faire l’image. Je pense que la mise en scène me convient aussi mais c’est une autre orientation je pense. C’est difficile d’allier les deux, ou alors il faudrait que j’arrive à mixer les deux sur une année. Donc ce n’est pas si facile que ça. Je remarque aussi dans les longs-métrages que je fais, que c’est toujours le temps qui pose problème. Comme ça coûte cher, on n’a pas beaucoup de temps. Et en général pour bien faire les choses t’as besoin de temps. Alors c’est ce que je voudrais, avoir le temps de bien le faire. 

C : As-tu un conseil pour ceux qui débute dans le cinéma ?
BD : Je pense qu’il ne faut pas avoir peur au début de prendre tout et n’importe quoi. C’est aussi à toi de pousser la chance. Il faut apprendre aussi le métier. Faire des petites choses, faire des stages, aller peut-être interviewer les gens, parler avec eux, regarder ce qu’ils font, et observer. C’est ce que j’ai fait au début, j’ai observé pleins de trucs et j’ai fait des choses que je n’avais pas spécialement envie de faire. Au début pour gagner ma vie j’allais filmer des mariages. Alors pour moi c’était la dépression totale! Mais je me disais que je le faisais pour l’argent. Je me souviens même bien parce que, quand j’étais jeune, j’avais fait un mémoire sur Bruno Nuytten, celui qui a fait Tchao Pantin, un chef opérateur français qui a fait des gros films à l’époque dont j’admirais beaucoup son travail. J’avais été à Paris l’interviewer. On a passé 4-5 heures comme ça dans un resto. Il m’a raconté toute sa carrière. Et il m’a dit “Tu sais, moi Benoît, au début j’ai fait du porno parce que je n’avais pas de boulot”. Pas en tant qu’acteur, mais il filmait du porno. Ça m’a toujours fait marré, moi j’ai fait des mariages, lui des pornos! C’est une manière de gagner ta vie. Il faut être patient. Ne pas tout vouloir tout tout de suite.

Aussi il y a ceux qui se la jouent. Et selon moi, ça ne peut pas marcher, ou peut-être au début. Par exemple j’ai fait une pub en France avec un jeune gars. Qui est très talentueux mais son ego est tellement important que je n’aime pas ça. Et bien je ne le prendrai plus. Parce que je n’aime pas cette attitude-là. C’est du divertissement ce qu’on fait, on ne sauve pas des vies.

C : Je suis contente de t’avoir rencontré, ça donne pas mal d’idée sur le parcours qu’il est possible d’avoir.
BD : Oui, et de savoir que c’est possible. Parce que moi, je ne m’en rends plus trop compte, mais il y a souvent des gens qui viennent me voir et me disent “mais comment avez-vous fait pour y arriver ?”. Et ce n’est pas que je n’ai rien fait, j’ai poussé ma chance aussi, parfois ça vient aussi petit à petit. C’est à dire que les choses se construisent comme ça, de fil en aiguille. Et tu essayes aussi de ne pas être impatient. Les choses viennent souvent au bon moment. Tu vois, j’ai pas fait un Wim Wenders quand j’avais 22 ans et que je n’y connaissais rien. Et d’ailleurs il ne m’aurait jamais appelé non plus. Les choses se font quand elles doivent arriver. 

Aurore Wouters
À Bruxelles le 26 décembre 2014.

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