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LEZARTS URBAINS, une assoc pour la culture urbaine

Publié le 13/04/2016 par Dimitra Bouras / Catégorie: Entrevue

I said a hip hop, the hippie, the hippie, to the hip, hip hop, and you don't stop, a rock it

Du 16 au 29 avril 2016 aura lieu la troisième édition du Festival Lezarts Urbains. Cette année, le festival sera organisé autour de l'écriture urbaine sous toutes ses formes. Au programme : concerts rap & slam, cinéma & rencontres hip hop. LEZARTS URBAINS, c'est une association active dans le champ socio-artistique des cultures urbaines, surtout le hip hop, en Fédération Wallonie-Bruxelles.

LEZARTS URBAINS, c'est un FESTIVAL mais c'est aussi :

- un ACCOMPAGNEMENT d'artistes, des résidences, des ateliers d'initiation et d'expression, des productions,

- un CENTRE DE DOC'

Rencontre avec le coeur de l'association : Alain Lapiower, Arnaud Deleu, Catherine Wielant et Maud De Craeye

L'ACCOMPAGNEMENT

Cinergie : Quelle est l'origine de Lezarts Urbains ?
Alain Lapiower : Je suis le directeur de l'association depuis 15 ans, après y avoir travaillé. Auparavant, l'association s'appelait la "Fondation Jacques Gueux" qui a été créée dans les années 1970 par des militants culturels. C'était une association centrée sur les cultures populaires qui faisait surtout un travail en milieu ouvrier. Dans les années 1980, 1990, une nouvelle cristallisation des cultures s'est opérée, principalement dans les grandes villes et à Bruxelles où la nouvelle question sociale a redessiné le paysage en matière de culture populaire et où beaucoup de choses se sont centrées autour des quartiers de relégation et de l'immigration. C'est à cette époque qu'on a assisté à l'émergence de la culture hip hop, qui est devenue une des cultures populaires les plus dynamiques et les plus intéressantes. À ce moment-là, l'association s'est centrée en grande partie sur ce courant culturel. C'est moi qui ai ouvert ce chantier à l'époque, cela fait plus de 25 ans.

Cinergie : Que fait concrètement cette association ?
A. L. : Pendant de longues années, elle a milité pour la reconnaissance et l'accès de cette culture urbaine. Concrètement, cela signifiait de pouvoir donner accès à des scènes, à l'expression culturelle sous toutes ses formes avec les possibilités techniques et les moyens les plus aboutis et les plus professionnels possibles. C'était un courant très jeune qui a gagné petit à petit sa maturité. Notre travail consistait à la fois à aider ce courant et à gagner en maturité et en crédibilité, à augmenter toutes ses capacités à être reconnu. On a fait beaucoup de formations.
Il y avait peu d'événements, peu de possibilités pour le mouvement de s'exprimer. L'autre partie du travail, et non la moindre, a été d'essayer de faire prendre conscience à la scène culturelle de la nécessité de s'ouvrir. Pendant de longues années, c'est toujours un peu vrai, il y a eu une grande méfiance, une résistance de la part des institutions pour reconnaître, comprendre et ouvrir les yeux et les portes à ce courant culturel. Maintenant, c'est heureusement différent, mais il a fallu se battre avec les organisateurs, les responsables de lieux pour qu'ils se rendent compte de ce que cette culture pouvait apporter à la culture générale.

Cinergie : Hip Hop, ça vient d'où ?
A. L.: À l'origine, cela fait partie du jargon des Noirs américains. Hip, qui existait déjà dans le milieu du jazz des années 1950, veut dire branché, à la pointe. Mot qui a été repris dans le rock, dans le funk, dans le rap. Le hop, c'est la danse qui accompagnait le jazz. Donc, hip hop c'est une espèce de résurgence de ce courant qui existait depuis plusieurs décennies qui avaient ses racines dans la culture noire. Hip hop c'est un peu plus sautillant que simplement hip car la danse était très importante dès les débuts du hip hop. Dans le premier rap qui a eu un premier succès commercial, Rapper's Delight de The Sugarhill Gang, en 1979, ils emploient le mot pour la première fois.

Cinergie : Qu'entends-tu par culture hip hop ?
Arnaud Deleu : On emploie ce mot surtout pour le caractère pluridisciplinaire de cette culture qui est d'abord artistique, mais qui est tout à fait liée à un certain style de société, à une certaine époque. Elle est née au USA dans les années 1970-1980, on en parle encore maintenant car c'est une culture qui concerne certaines générations et certaines classes sociales. Ce qui était vrai aux USA à cette époque peut encore être vrai dans certains pays mais ici, à Lezarts Urbains, on parle de culture hip hop pour tout ce qui est culture urbaine centrée sur les disciplines de la danse : la danse hip hop, les chorégraphies, les battles ; la musique : le rap, le slam ; le graffiti au sens large (on parle du tag, la simple signature qui était sur les métros, dans la rue qui s'est converti en graffiti et aujourd'hui en street art), des animations car qui dit cultures urbaines dit visée pédagogique et tout ce qui est djing (les platines, les ambianceurs). La culture hip hop renferme tout ça.

Cinergie : Qui dit cultures urbaines dit expression artistique d'une partie de la population qui n'a pas accès aux lieux d'exposition, de représentation de l'expression ?
Catherine Wielant : L'idée que les artistes ne trouvent des lieux d'expression qu'en dehors des circuits culturels est ancienne. Maintenant, c'est une culture qui s'est propagée fortement. Le rap est écouté dans le monde entier. Il fait partie du circuit culturel aussi. C'est important de préciser que ce n'est pas toute la culture hip hop qu'on défend ici.
A. L.: Maintenant, la culture hip hop et surtout à travers le rap, est devenue une culture de premier plan pour les gens qui ont moins de 35 ans, c'est presque la musique la plus écoutée et peut-être la plus vendue. On peut s'interroger sur le décalage entre la vraie audience de ces productions et les possibilités qu'elle a de s'exprimer car il y a peu de concerts de rap dans notre pays. C'est une culture qui est devenue importante et nos objectifs et nos combats se sont déplacés. Nos enjeux sont de faire en sorte que toutes les composantes du rap, surtout sa composante la plus populaire, soient préservées. Il y a un engouement de la part des programmateurs, mais on constate que c'est souvent les artistes et les productions de la classe moyenne qui ont toujours les faveurs. Il y a toujours une espèce d'ostracisme, de méfiance pour les artistes qui sont un peu corrosifs, plus engagés socialement. Il ne s'agit plus de faire reconnaître l'ensemble de la culture hip hop, mais on revient à la question classique de l'accès des milieux populaires à la sphère culturelle.

Cinergie : Comment définir cet accès à la sphère culturelle ?
A. L. : Il faut faire accepter l'attitude, l'aspect extérieur de certains artistes qui rebutent. Ce n'est pas qu'on refuse l'accès de certains artistes, c'est juste que beaucoup de programmateurs sont attirés par certains profils d'artistes plus convenables et plus seyants.
A. D. : Avant, les gens qui rapaient étaient des gens des milieux populaires, souvent d'origine étrangère, qui écrivaient des textes forts, engagés. Aujourd'hui, il s'agit d'artistes blancs qui ont eu accès aux études supérieures, qui sont bien habillés et c'est plus facile d'aller rencontrer le directeur d'une structure. C'est plus simple de collaborer "entre nous". Ces gens connaissent les codes, ils savent qui appeler, comment s'y prendre, ils ont confiance en eux contrairement à d'autres moins privilégiés.

Arnaud Deleu, responsable chantier rapCinergie : C'est donc le but de Lezarts Urbains ? Aider ceux qui sont plus marginalisés dans le système commercial et culturel ?
A. D. : On est là pour les deux. On a une mission d'éducation permanente et une mission de culture. Pour cette dernière, on travaille avec tout le monde et surtout avec les meilleurs, car on tente de pousser les gens vers un certain professionnalisme. Avec la mission d'éducation permanente, on préfère travailler avec des gens qui ont moins accès à une culture de masse ou globale, moins accès à la télé, mais qui ont, par contre, plus de choses à dire, à revendiquer. On s'en rend compte avec un jeune d'Anneessens, qui a beaucoup plus de choses à dire qu'un gars de Boitsfort et on le ressent dans les textes. Il y a des textes qui parlent encore de l'immigration, des différences sociales alors que de l'autre côté, c'est plutôt expliquer la soirée de la veille. Je pense qu'en travaillant pour Lezarts Urbains, on doit plutôt défendre quelqu'un qui a quelque chose à dire plutôt que ceux qui racontent simplement (même si musicalement c'est peut-être plus fort) leur soirée.

Cinergie : En quoi consiste cette aide ?
A. D.: Elle est multiple. Généralement, on fait des réunions et on voit où on a besoin d'aide. Parfois, c'est simplement donner des contacts, les diriger vers les bonnes personnes. Parfois, c'est une aide globale sur un projet : on aide à la conception d'un album. Parfois, c'est plus scénique : ils ont des lacunes concernant la scène et on appelle un coach qui les aide pour tout ce qui est important sur scène (les placements, la relation avec le public). On peut aussi les aider concernant la diffusion : on les aide à tourner un peu sur des radios spécialisées. Et c'est aussi les replacer, c'est-à-dire faire de la programmation avec eux et les replacer au centre de cette culture.

Cinergie : On n'a parlé que de musique, est-ce qu'il y a autre chose ?
A. L. : On fait un travail depuis quelques années sur la danse urbaine. Au départ, c'était aussi d'essayer de donner accès à la scène. On a dû organiser nos propres événements. Il faut savoir qu'aujourd'hui, même si la danse urbaine est quelque chose de reconnu et d'important, surtout en France où il y a un vrai marché de la danse urbaine qui remplit les salles de manière spectaculaire, il y a quand même une vraie réticence de la part des responsables culturels à organiser des événements. On ne trouve par exemple pas de salle pour notre prochain spectacle de danse qui doit avoir lieu l'année prochaine. Ce n'est pas si évident malgré la reconnaissance.

Cinergie : Pourquoi ?
A. L.: Car il existe encore une forme de mépris, de condescendance ou pire. Ce n'est toujours pas très considéré. À Bruxelles, il n'y a qu'une salle qui soit vraiment dédiée à cela, c'est le centre culturel Jacques Franck. Les autres s'en moquent et certains, selon moi, sont en train de faillir à leur devoir culturel.

Cinergie : Est-ce que c'est l'expression artistique qui est, en soi, non considérée ou les personnes qui sont sur scène et les spectateurs ?
A. L. : Il y a, à la fois, un déni de compétences, on considère ce genre comme pas intéressant, pas assez professionnel et il y a une réticence à laisser entrer ce public qui vient en baskets, qui est un peu remuant. Ce sont vraiment des fantasmes. En plus, il y a une espèce de malentendu car nous sommes persuadés qu'il y a un grand public familial pour ces formes artistiques. Il est vrai qu'il faut des formations pour augmenter le niveau général et on s'emploie à faire ça. Certains essaient de le faire, mais il y a très peu de moyens. Le fait de ne pas voir qu'aujourd'hui la danse urbaine est celle qui va redynamiser la danse en général, c'est se voiler la face. La nouvelle génération de danseurs a été largement influencée par la danse hip hop et ses dérivés.
Une autre discipline qui mérite notre attention est le slam, ou spoken words, qui sont des formes qui sont originaires du monde anglo-saxon. Ce sont des déclamations, c'est du texte parfois accompagné de musique mais pas toujours. Le slam s'est beaucoup développé ces dernières années : il y a des ateliers, des événements, des rencontres, des soirées, etc. Ce volet-là nous intéresse énormément car c'est de l'écriture. On ne veut pas créer de malentendus en disant que le rap n'est pas de l'écriture car il est avant tout de l'écriture. Mais, le slam est de l'écriture mise à nue où la musique est à l'arrière-plan. La Fédération Wallonie-Bruxelles a d'ailleurs créé un prix, paroles urbaines. Notre prochain festival va mettre cela à l'honneur car il sera centré sur l'écriture.

LES RÉSIDENCES

Cinergie : Qu'est-ce que les jeunes danseurs de la Place du Luxembourg pourraient vous demander ?
A. L. : Il y a un vivier. Il y a des artistes qui se voient, qui s'expriment dans la rue. On trouve les danseurs à l'entrée des gares, dans les galeries. Ce qu'on propose, c'est par rapport à la demande. Le rêve des danseurs, c'est de monter sur scène, pouvoir se montrer, construire des chorégraphies, faire des rencontres, des battles, etc. On n'organise pas de battles, ce n'est pas notre spécialité. On est plutôt centrés sur la sphère culturelle : on essaie que les groupes puissent se produire sur les scènes. Donc on organise des scènes, des événements. Chaque année, on a un festival important pour que l'ensemble de la scène de danse urbaine se rencontre et s'exprime pendant deux-trois jours, soit on aide les groupes à trouver d'autres scènes que les nôtres. Et on encadre aussi : on essaie que les propositions soient les plus abouties possibles, les plus professionnelles possibles… On propose des chorégraphes, des formations. Parfois, les services qu'on nous demande sont plus basiques : il s'agit de trouver une salle de répétition ou d'aider un groupe à se promouvoir, à se former dans des cours, à réfléchir sur leur projet. Quel propos pour une chorégraphie ? Quoi dire ? À qui ? Parfois, on prend en charge certains projets sur la durée. On accompagne un projet pendant plusieurs mois, voire quelques années pour aller le plus haut possible. Dans les autres disciplines, c'est la même chose. Pour le rap, on organise notre festival chaque année. Il y a d'autres moments de scène qu'on propose. Il faut préciser qu'on a des partenariats avec des opérateurs importants comme le Botanique où on travaille souvent. Ce n'est pas évident pour les artistes d'accéder à ce type de salle donc on effectue une médiation. Donc, c'est proposer les scènes, les festivals ou aider les artistes à trouver les scènes. On a des relations privilégiées avec des opérateurs importants dans des festivals. On aide les groupes à se placer.

Cinergie : Vous faites aussi des résidences ?
A. D. : Il y a plusieurs sortes de résidences. J'en fait deux : celle qu'on appelle résidence avec un œil extérieur où un ou deux membres de Lezards accompagnent un artiste en répétition. Il fait son show en entier et on essaie de le faire évoluer. Et il y a des résidences scéniques où on fait appel à un coach belge ou international. Pendant trois jours, on travaille tout ce qui est scénique. On s'enferme dans un lieu, et on essaie de professionnaliser la scène : on leur apprend à discuter avec les techniciens, comment on parle pendant un sound check, comment on parle à l'ingénieur light, quand est-ce qu'on parle au public, à quel moment on bouge, comment on bouge, quand est-ce qu'on sort, comment évoluent les morceaux… Ce sont des choses très précises qu'on travaille. Le problème récurrent est lié à l'intention. Les artistes viennent souvent avec la même intention, on veut essayer de leur faire prendre conscience qu'ils doivent s'écouter et en fonction de cela, ils vont s'adresser différemment au public. Pour la danse, c'est plus ou moins la même chose. On pousse les artistes à comprendre leur corps et savoir donner au public de différentes manières.
A. L. : On fait un travail dans différentes disciplines : en écriture, en rap ou en danse, on fait un travail qu'on peut qualifier de sociopédagogique qui s'adresse à des amateurs qui est soit de l'initiation, soit du perfectionnement. On travaille beaucoup dans une série d'endroits plus ou moins institués : des écoles, des maisons de jeunes, des prisons. Là, c'est l'utilisation du hip hop et des cultures urbaines comme moyen d'expression, d'émancipation sociale et pas comme objectif, comme but. On travaille avec des artistes animateurs : ce sont à la fois des gens reconnus dans le mouvement comme artistes mais avec des capacités pédagogiques. C'est un travail qui se fait en étroite complicité avec les lieux. Si c'est dans une école, c'est avec un prof, si c'est dans une maison de jeunes, c'est avec un animateur, etc. On constate que ce sont des processus assez forts qui font appel à beaucoup d'émotions et d'investissement de la part des participants mais qui font aussi bouger les structures. C'est très intéressant comme processus, c'est pour cela qu'on réfléchit à cela, qu'on organise des rencontres de réflexion (qu'on organise pendant le festival de cette année).

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