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Lidewij Nuitten, la femme caméra

Publié le 01/02/2021 / Catégorie: Entrevue

Malgré la fermeture des cinémas due à la pandémie, le festival “Elles Tournent - Dames Draaien” a bien eu lieu mais exclusivement en ligne. Ce festival, mettant à l’honneur des réalisatrices du monde entier, s’est déroulé du 21 au 29 janvier 2021. Parmi les films en compétition, Mijn Naam Is Lidewij réalisé par la documentariste et journaliste belge, Lidewij Nuitten, a attiré notre attention.

C’est au parc Royal que nous sommes allés à la rencontre de cette jeune journaliste de 30 ans.

Cinergie : Bonjour Lidewij. Comme on ne te connaît pas encore du côté francophone, pourrais-tu nous retracer ton parcours ?

Lidewij Nuitten : Je m’appelle Lidewij, j’habite à Bruxelles et j’ai fait mes études à la Haute École d’Erasme en journalisme, avec l’idée de devenir documentariste. À 21 ans, après mes études, j’ai commencé à travailler pour la télé flamande, la VRT où je travaille toujours. J’essaie aussi de faire mes propres projets comme réaliser des documentaires.

 

C.: Ce documentaire est ta première réalisation personnelle ?

L. N. : Oui, c’est le premier long-métrage que je réalise. En général, je fais des reportages de 3-4 minutes. Je l’ai proposé à la VRT mais il ne voulait pas le produire, je l’ai donc réalisé moi-même.

 

C. : Comment t’es venue l’idée de filmer ces trois rencontres ?

L.N. : Un jour, un petit garçon de 10 ans, Julien, est venu me demander mon prénom alors qu’il ne me connaissait pas du tout. Je ne sais pas pourquoi mais ça m’a vraiment émue ! Je me suis dit qu’il fallait que je fasse un film sur ce garçon même si je ne savais rien de lui. Je me suis demandée ce qu’il pourrait m’arriver si je laissais les gens venir me parler. J’ai voulu le filmer, laisser le hasard faire son travail, sans scénario pré-écrit. Et pendant un an, je me suis laissée approcher par des personnes rencontrées au gré de mes promenades, à qui j’ai proposé de filmer nos conversations. Ceux qui ont accepté sont dans mon film.

 

C. : Qu’entends-tu par “sortir de sa bulle”?

L. N. : J’y ai encore réfléchi ces derniers mois et c’est marrant, voire ironique. Lorsque j’ai sorti ce film il y a un an, j’abordais ce que l’on rate quand on reste dans sa bulle. Un mois après, le gouvernement, avec l’apparition de la pandémie, nous obligeait à rester dans notre bulle ! Pour moi, “rester dans sa bulle” n’a rien à voir avec être sociable ou pas. Je suis quelqu’un de sociable, mais j’ai remarqué que mon entourage n’était composé que de personnes qui me ressemblent, avec les mêmes intérêts, les mêmes parcours. Et quand on va vers des personnes qu’on ne connaît pas, on remarque surtout nos différences plutôt que nos ressemblances. Mais une fois qu’on s’ouvre, on réalise qu’on a beaucoup de choses en commun.

 

C.: Quelles étaient les premières réactions des personnes lorsqu'elles ont vu que tu allais les filmer ?

L. N. : Quand je leur ai dit que j’allais les filmer, cela leur paraissait bizarre, mais ils oubliaient assez vite la caméra. Ce qui les a mis à l’aise, c’est lorsqu’ils ont remarqué que mon dispositif pour filmer fait partie de moi, comme un prolongement de mon être.

 

C. : Quel a été ton fil conducteur ?

L. N. : J’ai choisi le tram comme dispositif de narration. C’est le moyen de transport qui sillonne tout Bruxelles. La même ligne de tram peut traverser un quartier pauvre et, quelques minutes plus tard, se trouver dans un quartier riche de la ville. Le tram et les parcs. Les parcs étant des lieux de connexion. Dans un parc, on prend le temps de regarder les gens autour de soi, d’observer et de parler même.

 

C. : Quelles ont été tes impressions et tes ressentis pendant et après le tournage ?

L. N. : Beaucoup d’émotions m’ont traversée durant ce tournage. Je ne réalisais pas que je pourrais être amie avec une personne n'ayant pas les mêmes centres d’intérêt que moi. Avec Karim, la première pensée qui m’est venue était : “Ah encore un type qui me regarde et qui veut me draguer.” Avant même de lui adresser la parole, j'avais plein de préjugés. J’ai été surprise de voir que mes idées étaient fausses. Karim est devenu un super ami. J’ai beaucoup changé durant ce documentaire. Le fait d’apprendre d’un enfant de 10 ans et d’un homme de 25 ans sans emploi et sans diplôme m’a beaucoup apporté. J’ai en quelque sorte ouvert les yeux.

 

C. : Es-tu encore en contact avec eux ?

L. N. : Oui, je vois souvent Karim. Je croise encore Arman et Ertan dans ma rue et avec Julien, nous nous parlons par téléphone. Ça serait contradictoire de ma part de ne plus être en contact avec eux alors que j’ai réalisé un film sur l’amitié.

 

C. : Étais-tu seule à tout filmer ?

L. N. : Oui j’étais tout le temps seule. Je n’avais pas de budget pour ce film, j’ai donc tout filmé moi-même. Il y a seulement deux scènes où ce n’est pas moi, celle où je roule à vélo et lorsque nous sommes tous les cinq à faire des bulles dans le parc.

 

C. : Le dispositif que tu transportes te permet aussi d’être dans le cadre.

L. N. : Oui, je trouvais important d’être aussi dans mon film, d’être un personnage du film. Je parle de mon amitié avec ces trois personnes et ne pas apparaître aurait été bizarre. Au début, mon dispositif fait toujours peur aux gens, je suis comme un extraterrestre ! J’ai la caméra sur mon épaule et coincée sur ma hanche qui filme les personnages. Ensuite, j’ai le micro et une gopro qui filme ma tête. J’ai aussi une troisième caméra que je dépose sur un banc ou par terre qui nous filme, moi et la personne avec laquelle je suis. J’ai aussi un petit écran placé de telle manière que je peux voir ce que je filme tout en regardant la personne. Comme je suis toute seule, ça me permet de garder cette intimité avec eux.

 

C. : Comment es-tu arrivé à avoir un tel dispositif ?

L. N. : Il y a cinq ans, je réalisais une série à la télévision flamande, à la rencontre de mes voisins de rue avec cette installation. Je dis souvent que cette installation est un prolongement de mon cœur, pardon de mon corps... et aussi de mon cœur !

 

Loubna Filali

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