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Loco Lucho de Mary Jiménez

Publié le 01/02/1999 par Philippe Simon / Catégorie: Critique

Something about Mary

Après avoir réalisé trois longs métrages connus des cinéphiles (21:12, Piano-Bar, la Moitié de l'amour, l'Air de rien), Mary Jiménez, cinéaste belgo-française née au Pérou, a tourné Du Verbe aimer, un documentaire de fiction consacré à sa mère qui lui avait valu l'amitié de Wim Wenders lors de sa présentation au Festival de Berlin en 1985.

Après une série de documentaires consacrés au Pérou (Fiestas), elle poursuit sa chronique familiale en réalisant Loco Lucho, un documentaire de fiction autour de Lucho, son père, un séduisant veuf quasi octogénaire. Personnage étonnant sorti tout droit d'un roman de Garcia Marquez ou de Vargas Llosa. Les aventures de Lucho, de Lady, une trentenaire sexy, et de son amant ressemblent à un feuilleton où le rocambolesque côtoie le drame. La réalité dépasse la fiction, la vie y est plus foisonnante qu'une brésilienne ou qu'un soap américain. Le film sera projeté au Festival International de Bruxelles 99.

Loco Lucho de Mary Jiménez

Mary Jiménez n'est jamais tant cinéaste, c'est à dire elle-même, que lorsqu'elle investit la réalité et plus précisément sa réalité. Alors, elle a ce regard clair, incisif, cette qualité de l'œil qui va à l'essentiel de l'émotion, sans fard, sans masque et qui trouve l'instant, le moment fragile où tout se noue et se dénoue. Alors elle nous laisse deviner, entrevoir des conflits souterrains et des amours extrêmes dont, avec une rare intelligence, elle tisse la trame de ses films. Et le cinéma de Mary Jiménez peut être foudroyant.

 

Après Du verbe aimer, chant d'amour fou habité par l'absence de sa mère, accidentellement disparue, Mary revient à nouveau au Pérou et à sa famille avec son dernier film, Loco Lucho. Dès les premiers plans, elle énonce son projet de cinéma, faire un film cadeau à son père, Lucho Jiménez, octogénaire à la vitalité hors norme, en lui proposant de voyager de concert dans leur passé, avec ce désir risqué de se situer face à certaines questions que leur histoire commune charrie depuis des années. En cours de film, nous apprenons que, durant son exil bruxellois, Mary suivait la vie de son père par le biais des lettres qu'il lui envoyait à elle et à sa sœur. Elle découvrait ainsi qu'après la mort de sa mère, il avait recontré une autre femme, Lady, beaucoup plus jeune que lui, qu'il en avait fait sa maîtresse, qu'elle vivait avec lui, qu'elle avait un enfant qu'il avait dû faire adopter par d'autres, que pour prémunir Lady du besoin, il l'avait à son tour adoptée comme sa fille, qu'il l'avait aidée à se trouver un mari européen par le jeu des petites annonces, qu'il avait accueilli le couple chez lui, que le mari trop porté sur les tranquillisants y était mort et qu'aujourd'hui, Lady, devenue veuve, faisait toujours partie de sa vie.

Sur la mer apaisée

Si le début de Loco Lucho, nous laisse redouter l'habituel règlement de compte familial avec sa réconciliation finale et sa morale rédemptrice, très vite le film bascule en une parole d'amour qui fait un sort au conformisme de la normalité, évacue tout jugement, toute condamnation pour n'écouter que la seule déraison d'une passion. La force de Loco Lucho est de nous proposer enfin un cheminement personnel vers l'apaisement sans pour autant jamais abdiquer ce qui fonde la révolte et le refus. L'amour de Mary pour son père transcende l'univers social étriqué où se règlent d'habitude nos déchirements amoureux pour trouver, inventer ce lieu où être ensemble passe par l'abandon des interdits et le risque de faire sienne la folie de l'autre. Superbement cadré, monté, raconté, Loco Lucho est du cinéma totalement subjectif. Il rend pompeuses toutes les explications étrangères à cet effet de miroir qui ne renvoie qu'à nous-mêmes et nous propose un cinéma de l'émotion où la réalité, enfin débarrassée de sa socialité, trouve sa pertinence dans la voix qui dit "je t'aime". Avec Loco Lucho, Mary Jiménez retrouve ces chemins escarpés et difficiles où, loin des sécurités de la fiction ou du documentaire, le cinéma explore un autre rapport au monde, celui des illuminations et des passions indomptées.

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