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Lucia en el Limbo de Valentina Maurel

Publié le 05/06/2019 par Anne Feuillère / Catégorie: Critique

Chasse à l’homme

Après Paul est là, son premier court-métrage de fin d’étude qui l’envoyait directement à Cannes où il recevait le prix de la Cinéfondation, Valentina Maurel remet ça avec Lucia en el Limbo, son second court, à la Semaine de la Critique cette fois. En quelques coups de caméra, elle brosse un portrait rapidement croqué d’une adolescente dans les limbes ou l’entre-deux de l’âge ingrat. Mais la Lucia qui se tient au premier plan, face caméra, n’est pas une adolescente tout à fait comme celles qu’on a l’habitude de voir au cinéma. Un petit film aiguisé et aigu, un joli portrait d’une femme en devenir.

Jeune réalisatrice à peine diplômée de l’INSAS, Valentina Maurel a déjà l’art de réaliser des portraits inattendus et tendres, de décrire frontalement, avec beaucoup de justesse et sans jugement, des relations humaines complexes et ambivalentes. Paul est là filmait la relation étrange et ambiguë entre un père et sa fille, un peu trop copains pour ne pas se cogner aux limites des tabous. Lucia en el Limbo met de nouveau, au centre de son récit, une jeune fille et porte un regard frontal sur les enjeux sexuels de l’adolescence. Pour Lucia, l’âgeest totalement ingrat. Elle porte ses croix nombreuses et variées (appareil dentaire, acné, copains relous, mère envahissante, conseils d’adultes embarrassants…) Gâteau sur la cerise, elle a attrapé des poux. Sa longue chevelure, attribut féminin et séducteur de toute jeune fille qui se respecte, est souillée. Le pire (si c’est encore possible) est encore ailleurs : elle n’a pas de petit copain et elle est encore vierge… Mais combative, Lucia n’a pas dit son dernier mot. Elle ne parle pas beaucoup, cela dit. Aux adultes embarrassants et à sa mère aux conseils humiliants, elle ne prend pas vraiment la peine de répondre (et ils resteront hors champ, sans visage). Elle est plutôt du genre à avancer, déterminée, vers son but. Dans le bus, au lycée, dans la rue,c’est presque un parcours du combattant qu’elle entame pour se débarrasser de sa virginité envahissante. Il s’agit de devenir une femme.Et Lucia se lance, comme on part en guerre, bien décidée à en découdre.

Sans jamais lâcher son personnage, Valentina Maurel mélange les tons, entre drame et comédie, avec beaucoup d’aisance et de délicatesse. Elle effleure les émotions poignantes de la difficulté de vivre, privilégie les situations et les longs regards aux dialogues explicatifs et réussit à faire évoluer son personnage là où il ne s’y attendait pas. Si le film frôle parfois les situations tragiques ou glauques, il les évite toujours, au dernier moment, d’une pirouette en forme de pied de nez. Une certaine malice l’irrigue qui se niche dans le renversement des rôles et dynamite les clichés. Entourée d’hommes, Lucia voit toutes ses attentes déjouées. Conquérante, elle surprend trop. Victime, elle devient bourreau. Mais peu importe finalement, son trajet vers sa féminité, qui passe par une longue chasse à l’homme dans la ville, réside peut-être ailleurs, dans l’affirmation de sa volonté, l’autonomie du désir. Et un coup de ciseaux.

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