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MALDOROR, de Fabrice du Welz, 2024

Publié le 08/01/2025 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

Le témoin du Mal

Belgique, 1995. La disparition de deux fillettes bouleverse la population. Paul Chartier (l’attachant Anthony Bajon), jeune gendarme idéaliste, rejoint l'opération Maldoror dédiée à la surveillance (et uniquement à la surveillance !) d'un suspect récidiviste en libération conditionnelle, Marcel Dedieu (Sergi López, massif), pédophile notoire. Confronté aux dysfonctionnements du système policier - une guerre des polices (entre la PJ, la gendarmerie et la police communale), mais aussi à un supérieur (Laurent Lucas) adepte du « pas de vague » -, il se lance seul dans une chasse à l’homme qui le fera sombrer dans l’obsession, persuadé de l’existence de réseaux pédophiles protégés par les autorités. 

MALDOROR, de Fabrice du Welz, 2024

Par quel bout prendre l’affaire la plus triste et sordide de l’histoire de notre pays ? Dans le cas de Fabrice du Welz, en restant fidèle à son style - entre film de genre (ici le polar) et portrait d’un protagoniste sombrant lentement dans la folie -, mais aussi à l’un des thèmes principaux de sa filmographie, l’obsession. Chartier veut, DOIT retrouver les fillettes et dénoncer les manquements du système qui les a tuées. L’enquête en elle-même est finalement assez simple : toutes les pistes mènent à des coupables évidents et les preuves sont là, il suffit de les rassembler. Mais entre la guerre administrative des services policiers, qui a notamment empêché une perquisition cruciale d’être menée à son terme, et ceux qui, dans l’ombre, s’agitent pour que les machinations en haut lieu qui ont permis à Dedieu d’agir en toute impunité ne soient jamais révélées au grand jour, Chartier n’est qu’un pion sur un immense échiquier, un emmerdeur qu’il faut faire taire. 

Nous ne sommes plus ici dans un exercice de style à la lisière du fantastique, comme pouvaient l’être Calvaire, Vinyan ou Alléluia, mais dans une ambitieuse fresque policière de 2h35, réaliste et âpre, librement inspirée de la tentaculaire affaire Dutroux, qui passe par la reconstitution historique d’une ville plongée dans la misère (Charleroi) et par l’évocation chaleureuse de sa communauté belgo-italienne, incarnée par la belle-famille du héros. Du Welz prend quand même le temps de rendre un hommage appuyé au film matriciel de toute une génération, Massacre à la tronçonneuse, lors d’une mémorable séquence d’hystérie mettant en scène la bande de Dedieu, une jeune femme impuissante, un cadavre dans un coffre et une chanson de Claude Barzotti... Les influences du cinéaste vont de Voyage au bout de l’enfer (une scène de mariage qui montre le calme avant la tempête) à Zodiac (une enquête menée pendant des années par un homme que tout le monde laisse tomber), en passant par certaines idées narratives présentes chez Tarantino, notamment dans Once Upon a Time in Hollywood. Maldoror (retitré « Le Dossier Maldoror » pour sa sortie française) illustre en effet par endroits une version fantasmée de l’affaire Dutroux, prenant de nombreuses libertés (les noms ont été changés), où l’uchronie finit par supplanter les faits réels, notamment lors d’un climax en forme de catharsis pour un pays entier. Un choix qui, selon l’humeur, pourra être taxé de mauvais goût ou paraître logique, tant les tenants et aboutissants de l’affaire se dérobent encore au grand public 30 ans plus tard. 

Film-fleuve à la fois passionnant, éprouvant, labyrinthique, incroyablement documenté, brillant dans sa mise en forme et dans sa façon de synthétiser des éléments connus de l’enquête en les rendant éminemment cinématographiques, situé dans un décor poisseux à souhait où le Mal peut émerger à chaque coin de rue (une scène de kidnapping de fillette est aussi glaçante que banale par la facilité avec laquelle l’acte est opéré), Maldoror est bien le choc que nous étions en droit d’attendre de la part d’un cinéaste qui ne fait ni compromis ni concessions.   

Bien entendu, rouvrir ces blessures-là, même par la fiction, expose Maldoror à des accusations d’opportunisme. Mais il n’en est rien tant le film est avant tout le constat inévitable d’un immense gâchis, celui d’un pays terni à jamais par l’ignominie et par l’apathie de ses institutions, qui sont autant responsables de la mort de ces fillettes que les monstres qui les ont assassinées. C’est donc une œuvre en colère et d’une tristesse insondable, qui trace un parallèle subtil, mais évident avec la situation dans laquelle est plongée la France aujourd’hui, quand de dangereux prisonniers sont relâchés sans raison pour, dans les heures qui suivent, aller couper des têtes ou violer et assassiner des innocentes. Une histoire belge, donc… mais aussi tristement universelle !

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