La guerre en cours
May Day, ça pourrait être le bout d’une chanson de Bourvil, joyeuse et tendre. Ou peut-être un clin d’œil au Joli mai de Chris Marker... A moins qu’il ne s’agisse d’un vocable guerrier, celui qui marque le jour où sont déclenchées les hostilités ? Finalement, le court métrage d’Olivier Magis et de Fedrik De Beul est un peu tout ça. Il démarre dans la lumière blanche d’une journée chaude dans un appartement bruxellois, celui de Thierry (incarné par Thierry Hellin), à qui l’on donnerait le bon Dieu sans confession. Mais c’est son boulot qu’il veut donner. Enfin, à certaines conditions. Et les hostilités sont déclarées...
May Day de Olivier Magis & Fedrik de Beul
Quatre murs, un salon, où vont s’entasser de plus en plus de gens. Un véritable microcosme cosmopolite, à l’image de Bruxelles, avec ses noirs, ses arabes, ses blancs, ses plus blancs que blancs… Un couple, une femme, des hommes surtout… Et même un vieux, qui débarque en retard (merveilleux Simon André, toujours délicatement à côté de sa plaque). Enfin il y a de tout dans cet appartement, de tout pour faire un monde. Et 1000 et 1 situations. Et puis Thierry explique la sienne : il doit se faire hospitaliser, il ne peut pas perdre son travail, il a besoin qu’on le remplace. Et il donnera son travail à celui qui acceptera d’en partager le plus largement le salaire avec lui. Une sorte de mise aux enchères à l’envers... Lentement mais sûrement, ça part en cacahuète.
May Day ressemble à une expérience, un pari, une histoire à mi-chemin de la fable et du rêve, comme y jouent les enfants : et si on disait que ? Sauf que là on « disait » pas que les princes charmants terrassent les dragons mais qu’on pousse le dragon jusqu’au bout pour voir qui il va griller. Filmé dans le vif d’un moment qui se déploie sous nos yeux, sans jamais quitter l’appartement, le film scrute l’évolution de cette expérience dont il a posé les premières hypothèses sur une question très concrète… D’abord policée, la situation peu-à-peu tombe son masque pour révéler toute sa cruauté. Se déploie alors les effets chez chacun et dans le groupe, de cette mise en concurrence abjecte. Mais le film réussit avec brio à aller jusqu’au bout en se tenant en équilibre entre le rire et le tragique, le burlesque et l’ignoble. Il force juste assez le trait pour flirter avec le grotesque et filer vers la parabole. Joyeusement impitoyable, sans avilir personne grâce à une bonne dose de tendresse (et la justesse de Thierry Hellin), May Day va tranquillement mais droit au but. Il cogne là où ça fait mal, au cœur du mal moderne, le travail des hommes à l’heure néolibérale, qui fait de chacun de nous, enfermé dans nos identités et nos situations précaires, à la fois une victime et un bourreau, rendu un peu fou ou malade de cet écartèlement. On rit, pour ne pas pleurer.