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Muno de Bouli Lanners

Publié le 01/06/2001 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Critique

Raphaël est un stagiaire particulièrement malhabile. Revenu à Muno, son village natal (rien à voir avec Muno, en Gaume, le film est une fiction, pas un documentaire), il essaie de profiter de l'agression que vient de subir un jeune Africain pour construire un sujet radiophonique sur la montée du racisme à la campagne. Sa mère ayant d'autres priorités, il essaie d'enregistrer Wendy, la cousine de la victime.

Muno de Bouli Lanners

Hélas, le magnétophone tombe en panne. Le réparateur, sorte de Buster Keaton bavard et sans chapeau, lui confie, angoissé, qu'il a perdu son humour (" Je me lève le matin, paf, plus rien ! Non seulement je ne fais plus rire personne mais personne ne me fait rire "). Son frère Jean-Michel entend sidéré les commentaires de Raphaël sur la montée du racisme dans sa commune chérie, genre : " Muno, petite ville où règne l'ennui, où il ne se passe jamais rien ", etc. Outré, il remplace la cassette audio et enregistre en lieu et place un commentaire genre rêve campagnard un peu gaga pour touristes du troisième âge. Raphaël rencontre Monsieur Nollet (l'ex-père Noël de son enfance) qui critique son projet : " Tu veux que les gens s'imaginent que c'est Chicago ici ? " Entre-temps, le magnétophone est réparé, Wendy a disparu, l'homme qui a perdu son humour bricole son humeur et Raphaël quitte Muno plus désabusé que perplexe.
Parfait exemple d'oxymoron, cette fine comédie n'est pas qu'un clin d'œil aux ravages du temps, au décalage entre l'enfance et la maturité, lorsqu'on regarde dans les rétroviseurs de sa vie (Raphaël redécouvre ses copains d'enfance réunis, par ailleurs, sur une vieille photo d'époque). Ce brouillard du temps n'est qu'un brouillage pour nous parler de l'indifférence d'une population confrontée à un crime raciste (on apprend par ricochet, of course, que le jeune Africain est mort). L'amitié qui s'est dissoute avec le temps qui passe est la métaphore de la dissolution du lien social au sein d'une communauté vivant une apathie morale que Bouli Lanners observe avec perspicacité.


Les plans cadrés au format 1.85, en noir et blanc, par Jean-Pierre De Zaetijd cernent avec un regard d'une acuité tranquille les différents protagonistes du drame en se gardant bien d'en montrer le cœur : la victime et son agresseur (il y a un côté Cavanna, genre : je l'ai pas vu, je l'ai pas lu, j'en ai entendu causer). Bouli Lanners renvoie le monde à son opacité. Nous n'en sommes que plus troublés et admiratifs.

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