Gagnant du prix Cinergie, du prix BeTv ainsi que du prix du public au festival Anima de Bruxelles, Muscle Man In : Metal Mayhem est un magnifique court métrage d’animation au visuel cartoon et à l’humour délicieusement caustique. Il s’agit d’un projet tout droit issu de l’imagination et du talent d’un jeune animateur et graphiste bruxellois, Nicolas Gemoets. À quelques jours d’une nouvelle diffusion au BIFFF, Cinergie.be est allé à sa rencontre au cinéma Vendôme afin de parler de son récent succès ainsi que son univers déjanté. Passionné et passionnant, ce jeune talent n’a probablement pas fini de nous épater.
Nicolas Gemoets, Muscle Man
Cinergie.be : Pouvez-vous nous retracer votre parcours de formation en animation ?
Nicolas Gemoets: J'ai commencé par une année au KASK (School of Arts) à Gand où j’ai eu ma première expérience en animation. Il s’agit d’une animation un peu plus expérimentale et c’était vraiment chouette, car on avait la liberté de tester un peu tout et n’importe quoi. Ensuite, je me suis rendu à l’école Albert Jacquard à Namur. C’était beaucoup plus encadré et on y enseigne tout l’éventail de ce qu’offre l’infographie. On apprend à faire des sites internet, à faire du codage, de la 2D et de la 3D. On se spécialise durant trois ans et la dernière année, on doit réaliser son premier film d’animation. Cette expérience m’a permis de faire mes armes et de me construire une petite mallette à outils que j’ai emportée avec moi à la Cambre pour accomplir mon master.
C. : En quoi consistait ce premier film d’animation réalisé à Albert Jacquard ?
N. G. : Mon tout premier film, je l’avais déjà réalisé en deuxième année et son titre est Eldorado. Il s’agit de l’histoire d’un petit yéti qui s'installait à Bruxelles et découvrait que la ville n'était absolument pas faite pour lui. L’année d’après, on avait un travail où l’on devait vraiment se mettre dans une dynamique de production en équipe, à trois réalisateurs. C'était très compliqué et très fun en même temps. Ce deuxième film intitulé Woods raconte l’histoire d’une villageoise qui était accusée de sorcellerie et finissait sur le bûcher. On avait écrit le scénario à trois, ce qui a évidemment été très compliqué à mettre en place. On n’était jamais vraiment d’accord sur la manière d’aborder le film, ce fut très dur et ça nous a pris près de six mois pour trouver un terrain d’entente. Ensuite, nous avons réparti les rôles et je me suis focalisé sur l’animation avec Carla Coder tandis que Charlie Morivale s’est occupé des décors. Je pense qu’on a tous les trois pris conscience de la difficulté de faire aboutir un projet en l’absence d’une véritable hiérarchie vu qu’on était tous des étudiants au même stade d’apprentissage. À l’époque, on rêvait tous des Gobelins qui constitue peut-être la meilleure école d’animation en Europe, voire au monde. On a voulu réaliser un film dans cette optique avec de belles images et de jolies couleurs. On n'avait évidemment pas les moyens suffisants pour réaliser notre ambition. Mais ce fut vraiment intéressant comme projet, car ça nous a permis de percevoir nos limites, ce qui fut fort utile par la suite. Mon projet suivant à la Cambre a été beaucoup plus modeste en termes de visuel.
C. : Quel est le concept de Muscle Man In: Metal Mayhem, traduit en français par Muscle Masqué dans : Ferraille Pagaille ?
N. G. : Muscle masqué dans: Ferraille Pagaille est un titre un peu longuet qui fait référence, comme le film, aux comics des années 1940 et 1950. Ils ont une patte assez naïve que j'apprécie beaucoup. Mon intention était de réaliser un film un peu rigolo avec de l'action. Et les superhéros des années 40, c'est un peu ça. À l'époque où j’ai imaginé le projet, je regardais beaucoup de vieux films de type Godzilla ou Une Araignée géante envahit la ville. Je voulais faire un truc un peu kitch. Au fur et à mesure du développement, je suis tombé par hasard sur un documentaire qui abordait la problématique des TOC (troubles obsessionnels compulsifs). Je connaissais cette maladie sans me rendre compte que ça pouvait prendre des formes beaucoup plus graves qui vont jusqu’à ruiner des vies. Je me suis dit que j’allais juxtaposer ces deux mondes. Comment arriver à être un super héros tout en ayant un handicap qui est super handicapant quand on est un super héros. J'ai cette envie à travers mes films de traiter de sujets un peu graves. Je pense que c’est également à ça que sert le cinéma.
C. : Malgré cette envie d’aborder des sujets sociétaux complexes, le ton caustique et la satire est omniprésente dans Muscle Man In: Metal Mayhem. D’où provient cet humour particulier et quelles sont vos références ou sources d’inspiration en la matière ?
N. G. : C’est compliqué de pointer une source d’inspiration en particulier. La structure générale du film est très classique. Il s’agit d’un cartoon à la Pixar. La manière d’amener un sujet pas rigolo à la base et de le détourner, ça me vient beaucoup du cinéma de Nakache et Toledamo. Je trouve qu’ils font souvent ça à merveille. Sinon je voulais réaliser un film agréable à regarder, divertissant et fun. L’envie principale restait de faire rire les gens.
C. : La manière dont le film est réalisé avec énormément d’expressions visuelles et les traits exagérés, ça rappelle inéluctablement à ma génération le monde de Tex Avery et ses personnages extravagants. Est-ce que la nouvelle génération est encore inspirée par ces classiques de l’animation ?
N. G. : Je pense que comme Charlie Chaplin, c'est intemporel. Après si ça me parle, oui je pense qu’il y a de ça dans mon dessin parce que j'ai grandi avec et que j’ai été comme une éponge. Mais dire qu’il s’agit d’une référence pour mon film Muscle Man, je ne pense pas. Le processus de création de mon film a été super chaotique. C'était vraiment au jour le jour. Je me levais et j'avais une idée. Ensuite, je la dessinais parce qu'il fallait absolument que j'avance, mais sans vraiment savoir où j'allais.
C. : Le héros est très attachant et il pourrait facilement devenir le héros central d’une série en plusieurs épisodes. Le projet a-t-il été imaginé de la sorte ?
N. G. : Oui, c'est un peu ça la vanne de départ. Je voulais réaliser une sorte de petit pastiche de cartoon qui passe le matin à la télévision sur Blabla Tv, d’où le titre particulier. C’est un peu lourd, mais ça annonce clairement une suite. Ce personnage m’a énormément amusé et je me verrais bien développer d’autres aventures qui le mettent en scène. Il y a plein d’idées que je pourrais exploiter à partir de ce personnage. Il y a d’ailleurs énormément d’idées que j’ai dû mettre de côté et je pense effectivement qu’il y a un potentiel sérieux que j’aimerais exploiter par la suite.
C. : Vu le prix Cinergie, Be TV et surtout celui du public, il semble que le personnage ne laisse pas indifférent. Ça fait quoi de recevoir plusieurs prix au festival Anima qui est LE festival de l’animation en Belgique ?
N. G. : On ne s’attend jamais à recevoir des prix. Je suis très fier d’avoir reçu le prix du public et c’est incroyable de conclure mes études sur cette note-là. Anima est un festival que j'affectionne beaucoup. Il n’y a évidemment rien de mieux comme récompense après une année de travail sans savoir comment le film va être reçu. C’est vraiment beau de terminer mes études de cette manière en tout cas. Et puis c’est vraiment super d’avoir cette visibilité sur Cinergie ainsi que ce soutien de Be TV. On va continuer de proposer le film en festival et on espère avoir d’autres retours positifs. Le mieux pour un film étudiant de ce type, c’est qu’il fasse le tour du monde et soit vu par un maximum de gens. C’est une partie vraiment fun et différente une fois que le boulot est accompli. On récolte les fruits de ses efforts. Il y a une diffusion au BIFFF prochainement et également une sélection en Allemagne à Stuttgart. Il est également en compétition à Lisbonne à la Mostra. Il fait son bonhomme de chemin et on va laisser faire.
C. : D’un point de vue technique, pouvez-vous nous dire plus sur les choix que vous avez effectués?
N. G. : J’ai réalisé Muscle Man In : Metal Mayhem en 2D de manière classique sur TV Paint. Il s’agit vraiment du logiciel classique qu’on utilise en tant qu’étudiant en animation. Comme je l’ai expliqué, lors de mon projet précédent intitulé Woods, on avait essayé de mettre la barre très très haut au niveau graphique. Cette expérience m’a permis de mieux jauger le temps nécessaire pour accomplir le travail au niveau graphique. J’ai vraiment choisi de m'alléger la tâche au niveau de l'animation et de l'aspect graphique en essayant de trouver un entre deux. Je voulais des images qui soient jolies à regarder, mais qu’elles soient réalisables dans un délai réaliste. J’ai accepté le fait que le personnage soit un peu différent d’un plan à l’autre. Parfois il se déforme un peu à droite et parfois un peu à gauche, mais ce n’était pas si grave vu que ça fait partie du style que j’ai mis en place pour le projet. Je voulais justifier le style par une animation très élastique et dynamique avec des angles qui donnent vraiment une impression de vitesse et de hauteur.
C. : C’est justement ce dynamisme et les angles de caméras qui confèrent une dimension très rigolote et captivante au film. Quelle est l’importance de l’environnement sonore dans votre film?
N. G. : Merci beaucoup pour la question. Ce dynamisme ne découle pas uniquement de mon travail, mais également du travail effectué sur la bande-son. Je dirais que 50% de l’animation est comblée par le travail du son. C’est Timothée Maillot qui s’est chargé du son depuis Montpellier. Il a fait un travail incroyable et c’est lui qui m’a conféré cette patte sonore qui ajoute énormément de dynamisme à l’animation. Il y a également un gros travail au niveau du montage, chose que j’avais probablement tendance à sous-estimer avant ce film. On peut vraiment sauver certains plans un peu mous ou trop lents avec un petit mouvement de caméra ou une petite coupe à droite et à gauche. Ce fut comme l’ensemble du projet un peu chaotique, mais on est finalement très content du résultat final. On doit également citer Gwenaël Grisi et Michel Duprez qui ont fait gratuitement la musique complètement dingue du film. Ils seront certainement présents avec moi au BIFFF lors de la diffusion du film.
C. : Quel a été votre plus grand défi lors de la réalisation du film finalement ?
N. G. : Un des plus grands problèmes pendant longtemps a été de trouver comment j’allais terminer mon film. Vu que j’ai concrétisé mes idées au jour le jour, je n’avais pas de conclusion évidente en tête. J’ai donc dû me poser un peu pour réfléchir à comment conclure l’histoire. À un moment, je voulais donner une fin différente au film. Le héros devait réaliser une introspection sur sa maladie et ses TOC et en faire le deuil. Mais ça aurait pris encore deux ou trois minutes supplémentaires et j’ai dû abandonner cette partie. Christophe de La Cambre m’a beaucoup aidé sur la fin du scénario. C’est lui qui m’a complètement débloqué. J’aurais aimé aller plus loin, mais je suis satisfait de la fin proposée.
C. : En dehors de ce projet, on retrouve également sur le web un projet d’animation réalisé pour Savage Land News. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette collaboration et les autres projets que vous avez entamé depuis la fin de vos études l’an dernier ?
N. G. : Pendant que je réalisais mon film de fin d’études, je travaillais déjà sur un projet de bande dessinée avec des amis, Boris Dolivet alias El Diablo et Adrien Vinet. Il s’agit de l’adaptation d’un webtoon en version papier. L’animation 2D m’a appris à dessiner. Vu que l’animation, c’est assez lent et fastidieux en termes de travail, c’est aussi agréable de faire de la bande dessinée où tout est beaucoup plus direct. On peut raconter les mêmes histoires, mais de manière beaucoup plus simple et avec beaucoup moins de pression également. Sinon j’ai bossé en tant qu’animateur free-lance à distance. C’est une chance de pouvoir travailler avec des studios un peu partout dans le monde sans devoir se déplacer. J’ai eu la chance de lancer une collaboration pour deux publicités avec un studio américain du nom de Double Plus Productions. Il y a également eu ce projet avec Savage TV qui est un studio situé à Barcelone. C’est super, car il s’agit de petites missions courtes et très différentes à chaque fois. Je picore à droite et à gauche et j’insuffle ensuite tout ça dans mes travaux personnels.
C. : Quelle est l’étape suivante que vous souhaitez atteindre dans le monde de l’animation ?
N. G. : En ce moment, je lorgne la 3D. Si je pouvais m’éviter de dessiner 300 fois le même dessin pour réaliser deux secondes d’animation, ça ne me dérangerait pas. J’aime beaucoup le dessin, mais je travaille par vagues. Il y a des moments où je suis très passionné par cet aspect, mais à l’heure actuelle, je suis focalisé sur le mouvement dans l’animation. Et à force d’être concentré sur le dessin, on peut moins se concentrer sur le dynamisme et l’action. C’est finalement un jeu d’équilibriste. J’ai l’impression que la 3D permet un entre-deux sympa et la logique des marionnettes qu’on va faire bouger sur ordinateur comme de la stop-motion m’interpelle. Ça me plairait bien d’en savoir un peu plus sur le sujet. Et puis un jour, si je peux réaliser mon long métrage, ce serait le rêve ultime bien évidemment.