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La Mort trouble, 1970, de Claude d’Anna et Férid Boughedir

Publié le 03/04/2023 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

Ivre de femmes et de peinture

Trois sœurs, très catholiques, visitent un vieil oncle sur son île privée, en Tunisie. Après le décès soudain de celui-ci (l’auraient-elles empoisonné ?) et l’attente d’un bateau qui n’arrivera jamais - toutes les communications avec le monde extérieur étant rompues -, elles se retrouvent bloquées et en ménage à quatre avec le majordome (Aly Ben Ayed), à jouer à renverser les codes de la mode, de l’art, des genres et du colonialisme. Séquestrées par un homme envers lequel elles s’étaient montrées odieuses, Irène (Ursule Pauly), Juliette (Sophie Vaillant) et Emmanuelle (Sylvia Céline) vont plonger dans les tréfonds de la folie.

La Mort trouble, 1970, de Claude d’Anna et Férid Boughedir

Sous l’emprise de cet homme cruel, elles doivent interpréter divers tableaux vivants inspirés des pièces de théâtre favorites de leur bourreau. Alors qu’elles jouent Œdipe, Héraclite et Perséphone, les scènes érotiques et de violence se succèdent sous un soleil écrasant. L’homme leur fait creuser une tombe, leur donne des leçons de vocabulaire, les maquille et les habille à sa guise. Bientôt, les jeunes femmes régressent à l’état animal, grognant de plus belle, à jamais prisonnières d’une île où des fleurs tropicales poussent sur les cadavres à cause de la chaleur insupportable…

Le Français Claude d’Anna et le Tunisien Férid Boughedir, qui se sont rencontrés à l’école en Tunisie, s’attachent au scénario de la Mort trouble, leur premier film, en 1968. Ils le décrivent comme une réflexion avant-gardiste et provocatrice sur la Tunisie post-coloniale. Du jamais vu à l’époque dans un film nord-africain, le film, d’une bizarrerie unique en son genre, contient de la politique, du sexe ainsi qu’une bonne dose de nudité féminine. L’histoire raconte que c’est Jean Rollin en personne qui aurait suggéré le nom d’Ursule Pauly (l’une de ses muses de début de carrière) aux réalisateurs. Les trois actrices (qu’on ne reverra guère par la suite) jouent d’ailleurs exactement comme dans les rêveries érotico-poétiques de Rollin : récitant des dialogues sur-écrits sur un ton solennel en parfait décalage avec la réalité. Par manque de temps et d’argent, chaque scène ne fut tournée qu’en une seule prise.

Inclassable, psychédélique, hypnotique, maladroit et somme toute assez difficile à décrire, La Mort trouble nous égare sur plusieurs pistes. Alors que l’on pense assister à un précurseur de Parasite (le prolo qui se rebelle contre ses maîtres), le film vire à l’essai intellectuel sur la folie, à grand renfort de motifs récurrents (de la peinture jetée sur toutes les possessions, les vêtements déchirés, la destruction et le désordre, jusqu’au chaos) tout en adoptant certains codes du fantastique européen du début des années 70, coproduction belge dans le circuit du cinéma d’exploitation oblige.

Pendant de nombreuses années, ce film très rare (une production belge qui ne fut jamais projetée en Belgique, mais qui eut son petit succès en France…) était pratiquement considéré comme perdu. Seules deux copies très endommagées ont été retrouvées à la Cinémathèque. Le festival Offscreen nous a pourtant proposé cette curiosité dans une version restaurée inespérée, concoctée par les magiciens de Belfilm asbl et de Mondo Macabro, qui le sortiront également en blu-ray plus tard dans l’année.

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