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Olivier Père, délégué général de la Quinzaine des Réalisateurs

Publié le 06/06/2008 par Katia Bayer / Catégorie: Entrevue

Sur leur affiche, le portrait de Robert Bresson côtoie des étoiles et le nombre 40. Cette année, dans le cinéma, on parlait d’un autre anniversaire : celui de la Quinzaine des Réalisateurs, créée en réaction au festival de Cannes par la Société des Réalisateurs de Films. Rencontre avec son délégué général, Olivier Père.

Cinergie : Cette année, la Quinzaine des Réalisateurs fête ses 40 ans. Pourriez-vous revenir sur son histoire ?
Olivier Père : La Quinzaine des Réalisateurs est une section indépendante, internationale et non compétitive du festival de Cannes, créée en 1968 par la SRF (la Société des Réalisateurs de Films). La première édition eut lieu en 1969; on fête donc nos 40 ans, mais aussi ceux de la SRF. Comment sommes-nous apparus ? Suite aux événements parisiens, le festival de Cannes s’interrompt en mai 68. Tout de suite, des cinéastes français se réunissent à Paris pour faire des Etats généraux du cinéma. Dans la foulée, ils créent la SRF autour de Robert Bresson, Robert Enrico, Jacques Doniol-Valcroze, Pierre Kast,… Ils veulent apporter des réformes au festival officiel de Cannes mais elles sont refusées. Jean-Gabriel Albicocco, venant de réaliser Le grand Meaulnes, déclare : « Si on ne peut pas réformer le festival, on va créer un contre-festival ». Cela, par contre, a été accepté.

L’année suivante, en 1969 donc, une manifestation off apparaît. Elle ne s’appelle pas encore la Quinzaine des Réalisateurs mais « Cinéma en liberté ». La première année, ce n’était pas très organisé : il y avait une soixantaine de films ! L’idée était de ne pas procéder à une sélection, mais d’appeler les cinéastes du monde entier à montrer leurs films à Cannes. Dès le début, on a eu envie d’offrir une plate-forme aux jeunes et nouveaux cinéastes et d’accélérer leur reconnaissance critique. Ainsi, les premiers pas à Cannes de Rainer Werner Fassbinder, Nagisa Oshima, Werner Herzog, Werner Shroeter, Alain Tanner, Jim Jarmush, Spike Lee, Michael Haneke, Atom Egoyan, Martin Scorcese, Ken Loach, Youssef Chahine, les frères Dardenne, Hou Hsiao-hsien, Naomi Kawase, Takeshi Kitano, … eurent lieu à la Quinzaine.

C. : La Quinzaine ne s’est-elle toujours intéressée qu’aux premiers films ?

entretien Olivier PèreO.P. : Non. Quand je suis arrivé en 2004, je n’avais pas du tout eu envie de rompre avec la tradition. J’avais envie de retourner aux origines, à la tradition de la Quinzaine, c’est-à-dire d’être vraiment axé sur la découverte et l’audace, de prendre des risques et des paris sur des jeunes cinéastes inconnus. Parallèlement à cette mise en évidence des premiers films, on invite des cinéastes confirmés qu’on admire beaucoup. Cette année, la sélection des 22 films est vraiment à l’image de ce qu’est la Quinzaine depuis 69, de ce qu’elle est aujourd’hui, et -j’espère- de ce qu’elle va être demain, c’est-à-dire un mélange. Parmi les 22 cinéastes, 15 ne sont jamais venus à Cannes. Certains sont déjà connus comme Bertrand Bonello (De la guerre), les frères Larrieu (Le voyage aux Pyrénées) ou Rabah Ameur-Zaïmeche (Dernier maquis). Ce sont de jeunes auteurs qui se retrouvent dans la même édition qu’un grand maître, Jerzy Skolimowski (Quatre nuits avec Anna). Cela m’intéresse, ce mélange, cette circulation entre les films, ce dialogue qu’il peut y avoir entre les cinéastes et les générations. 

C : Après avoir fait ces propositions à la Quinzaine, certains réalisateurs se sont retrouvés en sélection officielle…

O.P. : On est très heureux quand des cinéastes décollent après être passés chez nous; on est aussi là pour servir de tremplin ou de marchepied. Comme la Quinzaine est un lieu de découvertes, il n’est pas rare qu’ils se retrouvent en sélection officielle, que ce soit à Cannes ou à Venise. Beaucoup d’entre eux ont d’ailleurs eu la Palme d’Or.

C. : Vous cherchez à repérer « les francs-tireurs, les artistes, les poètes du cinéma indépendant ». C’est important, pour vous, que la Quinzaine ait son identité ?
O.P. : Je trouve positif que chaque section ait sa propre personnalité, sa propre identité. À la Quinzaine, on a une particularité par rapport à la compétition officielle qui est vraiment la vitrine la plus large possible du cinéma contemporain : on s’est toujours intéressé prioritairement au cinéma d’auteur indépendant. Ça réduit le champ des films qui nous intéressent. Par exemple, on préférera, à un film commercial extraordinaire, un film plus inégal mais plus indépendant et original. De toute façon, la Quinzaine n’est pas le lieu où les films commerciaux, un peu trop consensuels, sont les mieux reçus ou ont leur place. En même temps, il y a des choses formidables et absurdes dans le cinéma d’auteur; « indépendant » n’est pas non plus un critère de sélection. Ce qui nous intéresse, c’est le travail, l’univers et le regard du cinéaste qui s’exprime par le biais, par exemple, du documentaire, du film autobiographique ou de la fiction.

C. : Que représente votre fonction mystérieuse de délégué général ?
O.P. : La fonction est très simple : c’est celle d’un directeur artistique. Voir des films, les aimer, les sélectionner, c’est surtout ce que ça veut dire, délégué général ! C’est ce qu’a fait également Pierre-Henri Deleau pendant 30 ans, le co-fondateur de la Quinzaine.

C. : Comment analysez-vous sa contribution à la Quinzaine pendant toutes ces années ?
O.P. : Il  a co-fondé la Quinzaine et a occupé la fonction de délégué général pendant 30 ans, de 1969 à 1999. Après lui, la Quinzaine s’est un petit peu cherchée. Succéder à une très forte personnalité qui a donné son empreinte à la Quinzaine n’a pas été facile, mais je pense que la greffe a pris. Pierre-Henri Deleau et moi sommes assez proches, nous  avons un peu les mêmes racines : une vraie passion pour le cinéma et une maison-mère, la Cinémathèque française. Avant d’être à la Quinzaine, il était l’assistant d’Henri Langlois et moi, je suis entré très jeune à la Cinémathèque française, d’abord en tant que cinéphile, puis comme programmateur. Et puis, nous partageons un certain enthousiasme et l’envie d’imposer des choix, des goûts et des cinéastes.

Le travail accompli par Pierre-Henri Deleau m’a influencé. De 2004 à aujourd'hui, il ne fallait pas rompre avec l'histoire de la Quinzaine, il ne fallait pas vouloir la révolutionner ou la réformer. Je pense au contraire qu’il fallait revenir aux origines, à 1969, pour être vraiment révolutionnaire et pour remettre un peu de désordre, de changement et de surprise à Cannes. Parce qu’à travers la Quinzaine, on cherche à proposer, d’année en année, des films plutôt inattendus.

C. : Avez-vous l'impression qu'à la Quinzaine, il y a une prise de risques plus importante que dans les autres sections ?
O.P. : Je ne sais pas si elle est plus importante, mais il faut avouer qu'elle est plus facile. Il est plus facile de prendre des risques à la Quinzaine qu'en compétition officielle : la pression est moins forte. En même temps, les gens seraient déçus s’ils ne voyaient pas de films expérimentaux, avant-gardistes, poétiques ou très radicaux chez nous. Les spectateurs, le public, la presse s’attendent à une certaine forme de cinéma quand ils viennent à la Quinzaine : ils veulent avant tout être surpris.

entretien avec Olivier Père

C. : La surprise peut être un critère revendiqué par d’autres en quête de bons films…
O.P. : Oui, c'est vrai qu'aujourd'hui, la surprise est recherchée également par le festival de Cannes. Cela devient plus compliqué, la concurrence est plus forte. Je pense qu’à l'époque de  Pierre-Henri Deleau, ce n'était pas compliqué d'inviter Jean-Marie Straub, Werner Shroeter ou Rainer Werner Fassbinder car l'officielle ne s’y intéressait pas. Aujourd'hui, quelqu'un comme Fassbinder qui apparaîtrait soudainement sur l'échiquier du cinéma mondial serait immédiatement repris en sélection officielle. On pourrait se dire que la Quinzaine ne sert plus à rien. Je pense au contraire qu'elle est utile puisque chaque année, nous aidons à la reconnaissance de cinéastes qui ne seraient pas allés à Cannes sans la Quinzaine. Je pense par exemple à Emmanuel Mouret (Venus et Fleur, Changement d'adresse, Un baiser, s’il vous plaît). Personne n'en voulait à Cannes parce qu’il faisait des comédies. C’était soit trop sophistiqué soit trop superficiel. Nous, on a montré ses films, et ils ont eu du succès. Ça l'a vraiment aidé pour sa carrière.

C. : Comment êtes-vous amené à travailler pour procéder à la sélection ?
O.P. : Je ne suis pas tout seul évidemment. Je vois les films avec un comité de sélection, avec des gens que je connais très bien.  On travaille ensemble depuis le début, depuis 2004, et on discute beaucoup des films. On les voit ensemble, on en discute et on les choisit. J’assume la responsabilité de cette sélection. Comme tout le monde, on voyage beaucoup, on prospecte, on se déplace, on est en contact avec des producteurs, des réalisateurs, des journalistes et des institutions qui nous proposent des films.

C. : Pour se faire une idée, combien de films visionnez-vous ?
O.P. : Beaucoup. On en voit de plus en plus, surtout que maintenant, il y a une démocratisation des moyens techniques. Avec le numérique et les petites caméras, on produit de plus en plus de films. Cela ne veut pas dire pour autant qu'ils sont meilleurs, mais ça accroît notre travail. On est en contact avec une masse de films. Cette année, on a vu plus de 1000 longs métrages. Au final, on en a choisi 22. On a visionné aussi énormément de courts. Il faut aussi faire des choix dans ce domaine.

C. : Est-ce que beaucoup de films arrivent à la dernière minute ?
O.P. : Oui. Malheureusement, on est dépendant des calendriers des producteurs et des vendeurs donc, on est un peu en attente de films. Ils arrivent quand ils arrivent. Evidemment, on commence à avoir des films très tôt, mais au compte-gouttes. Les envois sont un peu plus importants en février et en mars et c'est vrai que les films arrivent de plus en plus tard. Il y a un énorme rush au mois d'avril. On se rend compte que les films plus importants arrivent souvent au dernier moment.

C. : Savez-vous comment les frères Dardenne ont été découverts par la Quinzaine avec La Promesse?
O.P. :
Pas vraiment (Rires). Je ne sais pas comment le processus de sélection s’est opéré. La Promesse n'était pas un premier film. Les frères Dardenne avaient fait avant Je pense à vous qui n'avait eu aucun retentissement, du moins en France. Quand La Promesse a été programmée à  la Quinzaine, ça n'intéressait personne a priori. Il n'y avait pas d'attente particulière, de curiosité à l’égard du film. C'était un film parmi tant d'autres. Olivier Séguret de Libération l’a vu, l’a adoré et en a fait la couverture du journal le lendemain. Il parlait de révélation et de film important. C’est ainsi que le succès du film a démarré.

image de la promesseC. : Cette année, la Quinzaine programme deux films belges. Qu’est-ce qui vous a plu dans Eldorado (Bouli Lanners) et Elève libre (Joachim Lafosse) ?
O.P. : Mais pourquoi deux films belges (rires) ? Tout simplement parce qu’ils sont très bons et qu’on les a beaucoup aimés. On connaissait déjà leurs auteurs, ce ne sont pas des découvertes. J’avais déjà vu Ultranova et Nue Propriété. Avec leurs nouveaux films, je pense qu’ils affirment vraiment leur talent, leur personnalité et leur singularité. Je pense qu’au sein de la sélection, ils vont recevoir un accueil assez fort à la fois de la presse et du public. Ils ont une vraie carrure et en même temps sont très différents. Le film de Bouli Lanners est très poétique. On a été très sensible à son univers de road-movie : il filme vraiment la Belgique comme un paysage de western. C’est très américain, très beau, très drôle et très émouvant.

Parallèlement, je trouve que le film de Joachim Lafosse fait preuve d’une maîtrise incroyable. Au-delà du côté choquant ou polémique de l’histoire, c’est un film qui met en scène, à travers une fiction, des dialogues et des personnages, quelque chose de très intéressant sur l’idée de la liberté. D’ailleurs, il m’a dit qu’il était content qu’Elève Libre soit à la Quinzaine parce que c’est un film qui parle finalement un peu de mai 68 et de l’héritage de la liberté. Evidemment, ce film traite des rapports maître-esclave, mais c’est beaucoup plus ambigu que ça, beaucoup plus subtil. C’est un film qui m’a vraiment passionné et qui a aussi provoqué des réactions extrêmement violentes, fortes au sein du comité. Tout le monde avait sa lecture, son interprétation du film. C’est un film qui va susciter un vrai débat. Un débat cinématographique, un débat sur l’histoire, mais aussi sur ce qu’on fait de la liberté et sur la façon dont on passe de Camus à Sade.

 C. : L’année passée, vous sortiez un DVD avec Chalet Pointu centré sur une sélection de courts métrages de la Quinzaine. Cette année, vous réitérez l’opération, mais cette fois avec la Semaine de la Critique. Pourquoi avoir voulu défendre le court ?
O.P. : À Cannes, les courts métrages sont un peu mal lotis par rapport aux longs métrages. Leur visibilité est moindre. Ce ne sont pas eux, en général, qui font l’événement. Pourtant, c’est important d’en montrer pour découvrir et lancer des jeunes auteurs. Ce qui nous intéresse, c’est d’inviter les films, de les montrer à Cannes, et de leur offrir une rampe de lancement afin qu’ils aient une carrière internationale. Effectivement : la majorité des longs métrages sort, est distribuée en France et dans certains pays étrangers. Mais pour les courts, c’est bien différent : ils ne sont pas autant vus. C’est pour cela qu’on a trouvé que l’initiative de Chalet Pointu était formidable. Ils avaient déjà fait un DVD avec la Semaine de la critique et ils voulaient faire la même chose avec nous. Cette année, comme ils n’ont pas réussi à obtenir suffisamment de droits pour les DVD respectifs de la Semaine et de la Quinzaine, ils nous ont proposé de fusionner. Plutôt que de faire deux DVD, on en a fait un. Cette année, c’est « deux en un » (rires) !

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