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Portrait de Yves Hanchar

Publié le 15/07/2001 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Portrait

Né à Huy en 1960, on pourrait croire qu'Yves Hanchar coule une enfance heureuse, en bord de Meuse. Et bien, non. Il fait le trajet entre la plus petite ville du royaume et la plus grande ! Il arrive donc à l'âge de trois ans à Bruxelles et ne découvre, bon sang de bois, le cinéma qu'à l'âge de treize ans. Le bel âge pour en tomber amoureux. " Moby Dick de John Huston m'a beaucoup marqué. C'était la première fois que j'allais dans une salle. C'était très impressionnant avec un côté un peu irréel qui consistait à entrer dans une salle sombre au moment où la lumière bascule. C'est un moment magique que l'on revit quand on a des enfants. La première fois que j'ai été avec ma fille au cinéma, elle devait avoir trois ans. Lorsque les lumières de la salle se sont éteintes et que l'écran s'est allumé, les bras lui en sont tombés. C'est la même impression que j'avais eu moi-même. " A ce moment précis, un bruit épouvantable, genre marteau piqueur animé par un frappadingue de hip hop survolté, éclabousse nos oreilles et le micro de notre enregistreur. Le croiriez-vous, notre fax (qui ne passerait pas le contrôle technique si c'était une automobile) tressaute comme s'il avait le feu aux fesses et - sliouuuuufff - ça se termine par un chuintement d'asmathique tandis que des feuilles émergent, se recroquevillent, s'enroulent, sortant avec des mots gribouillés dessus. Hips, Hips, un hoquet comme le perroquet du Capitaine Kraddock, pardon, Haddock, et les feuilles s'étalent sous l'oeil stupéfait de notre invité qui vient d'assister à un dessin animé en live.

Yves Hanchard

 

Poursuivons. Yves Hanchar fréquente le lycée Fernand Blum, célèbre pour avoir compté André Delvaux comme professeur en langues germaniques et Boris Lehman parmi ses étudiants. Après avoir découvert le cinéma grâce au défi du capitaine Achab, Yves pratique le théâtre avec des amis avec lesquels il déniche, dans une cave de l'Athénée, une salle de cinéma qui servait de ciné-club à l'époque où André Delvaux était professeur. "On décide de reprendre ce ciné-club, d'organiser des projections hebdomadaires de films. Un jour dans une armoire, on tombe sur un film réalisé par Delvaux et qui traînait là dans la poussière, son premier film en noir et blanc, en 16mm inversible. C'est un film sans bande-son. On l'a projeté dans la salle et ça nous a donné envie de faire du cinéma. Avant de voir ce film qui s'appelait Yves boit du lait, si je me souviens bien, l'idée de faire du cinéma nous paraissait inaccessible. A l'époque, on projetait des films de Kubrick, de Truffaut etc. Cela devait se passer vers 1975. Delvaux filmait des endroits qu'on connaissait très bien, comme l'école et ses alentours. En voyant ça, on s'est dit : si Delvaux l'a fait pourquoi pas nous ? Et donc on a commencé à réaliser des bandes en super 8. Des scénarios rudimentaires mais qui nous apprenaient plein de choses. Par ailleurs, on s'occupait d'un journal et d'activités théâtrales. On avait installé un véritable trust dans cette école qui nous servait aussi de justification pour brosser les cours " (rires).
A la sortie de l'Athénée, Yves commence l'INSAS. N'y trouvant pas son compte, la première année, il s'inscrit à l'ULB en philologie romane. La textualité le renvoie bien vite à l'image, lui fait découvrir que son " Knack " à lui c'est le cinéma. Du coup, en 1981, il décide de réaliser un court métrage à l'extérieur de l'école, autofinancé, tourné de façon héroïque avec de la pellicule inversible périmée de la RTBF et en soudoyant Bernard Litinsky à coups de vodka. " On est parti tourner la Mort de Monsieur Goulouja sur le plateau de Herve, avec Angelo Abazouglou, en dressant des tentes dans un pré à vaches. On avait l'impression d'être les gitans du tournage. Evidemment, j'ai passé beaucoup de temps à terminer le film tant à l'étape du montage que du mixage ". Sur les conseils avisés d'Hadelin Trinon (membre de l'Oulipo, comme Perec) il lit la Vie mode d'emploi et décide, sans complexe, d'en appliquer le principe à Voisinage, son film de fin d'études, réalisé en une nuit, qui sera nommé à l'Oscar du court métrage en 1986. Sorti de l'INSAS, il effectue son service civil au Centre audiovisuel de l'Université Libre de Bruxelles. Ce qui l'amènera à être engagé pour donner cours à l'ELICIT qui venait de se créer. En 1987, il réalise Triste, un court métrage pas triste du tout (dans une rue des Marolles, une femme appelle son ami et finit par ameuter tout le voisinage) et s'implique à l' AJC. " Anouchka Dewarichet m'a demandé de faire partie du comité de lecture de l'AJC. J'y ai rencontré Harry Cleven, Eve Bonfanti, etc. C'était une époque pleine de tensions - Rémi Hatzfeld ruait dans les brancards - mais en même temps c'était une époque très dynamique. Il y avait des exigences de qualité, on travaillait davantage la préproduction, le scénario, le casting. Cela a été un vrai tremplin pour les gens qui voulaient continuer à réaliser des films, courts ou longs. L'AJC jouait bien le rôle transitoire entre les écoles de cinéma et le milieu professionnel. Par ailleurs, c'était un cinéma plus construit que celui pratiqué dans l'urgence où on a un peu l'impression que les gens écrivent avec leur DV-cam " Ensuite, Yves tourne la Partie d'échecs en 1994, son premier long métrage de fiction dont l'intrigue se passe au siècle dernier et offre des rôles à Denis Lavant, Pierre Richard (en contre-emploi) et Catherine Deneuve (remplaçant à l'escarpin levé Charlotte Rampling tombée malade au début du tournage). Par souci du théâtre et des comédiens, Yves Hanchar reprend en 1995 la direction de l'école Parallax qu'il co-dirige l'année suivante avec Harry Cleven. Il s'agit d'apprendre le jeu face à la caméra, la justesse et la sincérité de l'acteur face au personnage qu'il incarne (trois années en cours du jour avec aussi des cours du soir donnés en alternance par Kita Bauchet et Stéphane Vuillet et des stages d'été donnés par Martine Doyen, Pierre-Paul Renders et Yves Hanchar lui-même, qui se passent du 15 juillet à fin août). Enfin, le 15 septembre, sort En vacances, le second long métrage d'Yves Hanchar distribué par CNC. " L'idée m'est venue du fait que j'avais eu le bonheur d'avoir une petite fille, Raphaëlle, qui commençait à regarder les films à la télé, et donc j'ai pensé à réaliser un film qui serait moins pessimiste que la Partie d'échecs. "
Circonspect, il sort une cigarette d'un paquet froissé. Cherchant désespérément un cendrier, il murmure, en observant notre réaction et du coin de l'oeil celle de notre fax : " Je ne dérange pas ? " Non, non (que disait Freud de la dénégation ?). " Cela m'aide beaucoup d'écrire en pensant pour quelqu'un, poursuit-il en aspirant la fumée de sa cigarette, d'avoir un interlocuteur mental et les personnes privilégiées sont les gens qui te sont proches. J'ai donc pensé à écrire un film pour Raphaëlle et les périodes de vacances sont les plus chouettes de la vie. De là est venue l'idée du temps qui passe sur une dizaine d'années dont on ne retient que la période des vacances. Jacky Cukier, qui m'a aidé à revoir le scénario, a joué le rôle de regard extérieur. " Et le pitch ? The pitch ! " C'est l'observation de l'influence du temps sur des personnages. En quoi cela les modifie. Il y a un côté intrigue multiple à la Perec. J'ai essayé d'installer une espèce d'émotion croissante à l'intérieur du film. J'avais beaucoup d'époques, de personnages, de lieux. C'est assez dur parce qu' il y a douze personnages qui ont une importance équivalente. "
Les projets ? Un monde nouveau, un long métrage qui en est au stade de l'écriture. A suivre, donc

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