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Sans rancune d’Yves Hanchar

Publié le 01/09/2008 par Anne Feuillère et Antoine Lanckmans / Catégorie: Tournage


À (ah !) Gastuche…
Après La Partie d’échecs en 1994 et En vacances en 2001, Yves Hanchar attaquait cet été le tournage de son troisième long métrage, Sans rancune, produit par Rosanne Van Haesebrouck pour To Do Today avec quelques partenaires français.

Ah ! Gastuche… Pour les incrédules, Gastuche existe bel et bien, et possède une gare en son nom propre. Pour aller à Gastuche, prendre le train direction Namur jusqu’à Ottignies puis là, sauter dans un autre train direction Wavre. Quelques arrêts plus tard, quand la voie grimpe dans les collines, parcourue d’un côté par des bois alanguis et, de l’autre, les premières maisons de pierres et de glycines, une minuscule gare dont le bâtiment principal est à vendre, une petite placette où trône un énorme platane. Ah ! Gastuche … Nous nous y sommes un peu éternisés, sous le soleil d’été, et nous y serions bien restés plus longtemps, rêvant au ronron des cigales, à l’odeur de la lavande et à quelque château de Pagnol ou autre gloire paternelle. Et l’association d’idées n’était finalement pas si fortuite...
À cause du décor d’une part : au détour d'une vaste allée boisée, sur de jolies collines en pentes, trônait un petit château, vaste demeure ouverte à tous les vents, où l’équipe de Sans Rancune s’est installée pendant quelques semaines. Dehors, à l’abri du soleil qui tape, entre les prises, on fume et on papote. L’ambiance est gaie et détendue, et déjà un peu nostalgique, une atmosphère de fin de colonie de vacances. La maquilleuse, Michèle Van Brussels, surveille les comédiens : « Il ne faut pas qu’ils bronzent ! ». On parle déjà du barbecue du soir. Une voix résonne « ça sent la fin du château ». Avant quelques scènes à Bruxelles, et notamment à  Flagey et d’autres scènes de trains, on passait, ce jour-là, les derniers moments au Château, sorte de lieu magique, un univers clos, aménagé pour les besoins du film. Sur quatre étages, autour d’un immense et magnifique escalier de bois, se répartissaient ici les loges des comédiens, là, la réserve costumes, ailleurs, les bureaux de la production, et les salles servant de décors quand d’autres, oubliées, restaient closes. « C’est un château qui appartient à un noble, et, c’est la première fois qu’on y tourne un film, je pense, et c’est un vrai coup de bol » raconte le réalisateur. « Il correspond parfaitement à ce que j’imaginais quand j’ai écrit le scénario, c’est-à-dire un ancien château mis à disposition des orphelins par un ancien combattant qui était un noble, un aristocrate. Il y a des éléments de décors qui font partie du château et d’autres qui ont été ajoutés pour le film, comme les bancs, les tables d’écoles, des choses comme ça; tout est un peu un mélange baroque entre les deux, et cela ressemble assez fort à ce que j’avais pensé au départ».
 
Sans Rancune raconte la quête d’un père, l’émergence d’une vocation, la transmission entre un homme et un jeune homme d’une passion : « Cela se passe en 1955. C’est l’histoire d’un jeune orphelin, Laurent Matagne, qui a perdu son père à la guerre. Il était aviateur et il a disparu dans un raid aérien. Dix ans après la fin de la guerre, cela ne va pas très bien pour lui à l’école, et il est donc accueilli dans un orphelinat qui existait d’ailleurs à l’époque en Belgique pour les jeunes orphelins de guerre.
Là, il fait une rencontre décisive pour son avenir avec un professeur de français qui est joué par Thierry Lhermitte, un prof un peu étonnant, quelqu’un qui lui donne le virus de l’écriture. Peu à peu, Laurent se demande avec son copain Boulette, si ce gars étrange et fascinant ne serait pas  son père. À eux deux, ils mènent donc une enquête». Jusqu’à présent le film s’intitulait Vapeur, le surnom octroyé par ses élèves à ce professeur de français qui les fascine et leur fait l’effet, lors de ses leçons, d’une locomotive lancée à toute vitesse. Le comédien français a terminé ses scènes. Milan Mauger, son partenaire principal, qui interprète le rôle de Laurent Matange, use et abuse, pour le décrire des adjectifs « extraordinaire » et « hallucinant », s’en aperçoit et se moque de lui-même.
« C’est quelqu’un de très simple, d’extraordinairement facile, qu’il n’est pas difficile de diriger, qui ne fait pas de caprices, qui arrive à l’heure, qui connaît son texte, ce qui n’est pas le cas de tous les comédiens qui ont une certaine notoriété. Parfois je me disais « Mais on ne dirait pas un acteur de cinéma ! » souligne Yves Hanchar en riant. « Si le film n’est pas tout à fait une comédie, il a apporté beaucoup de fantaisie au personnage par son côté drôle et excentrique. »
 
Ce jour-là, à Gastuche, il y a une soixantaine de personnes qui vont et viennent sur le plateau et toute « la classe de rhétorique, seize comédiens ». Beaucoup de jeunes garçons, donc, et cela donne une ambiance de joyeux drilles : « Oui, oui, c’est qu’on tourne dans une école, on retrouve l’ambiance potache des années cinquante des collèges de garçons. Et puis les comédiens qui jouent, les jeunes, sont très sympas » se réjouit Yves Hanchar, qui, entre la réalisation et l’écriture de scénarios, donne aussi de nombreux cours d’art dramatique, en France, en Belgique, au cours Florent ou chez Parallax.
Alors travailler avec des jeunes comédiens  « c’est vraiment très agréable parce qu’ils ont une espèce de fraîcheur, de spontanéité que les adultes ont parfois perdue. En plus, la plupart d’entre eux découvrent un peu le cinéma, alors on voit un peu dans leurs regards  la passion que nous avions quand nous avons commencé à faire des films, même s’ils sont acteurs et pas réalisateurs. C’est le même émerveillement ». Pour trouver son comédien principal, l’affaire aura été de taille. C’est donc ce jeune comédien français Milan Mauger qui remporte le gros lot : « Finalement on a auditionné une centaine de jeunes en Belgique et en France, et on en a pré sélectionné trois et puis voilà, on a fait une espèce de concours, et c’est un acteur français qui a gagné «le »  concours ». Un concours ? Un vrai concours ? Yves Hanchar rigole, de ce rire qui lui vient aisément : « Non ! Mais c’est vrai qu’on ne savait pas qui on allait prendre. C’est le rôle d’un jeune homme qui a 18/19 ans et par définition, il s’agissait d’un comédien par encore connu. Il fallait donc faire des auditions, des castings pour rencontrer la personne qui puisse le faire. Cela a été long et lourd. Il fallait trouver quelqu’un qui ait à la fois l’intériorité d’un jeune écrivain de 18 ans, ce qui n’est pas nécessairement facile, et la carrure pour tirer un long métrage. Il est présent tout le temps. Il y a peut-être une scène où il est absent mais sinon, en termes de jours de tournage, il est là 35 jours sur 35 ! » Venu du théâtre, après deux téléfilms et une fiction pour le cinéma, le jeune comédien, sans stress ni anxiété, se sent bien sur le plateau, trouvant du plaisir à travailler en Belgique, avec Yves, sans barrières, et son comparse de jeu, Benoît Cauden, dit « Boulette ». 
 
Tenir un rôle principal aussi important et de toutes les scènes ne lui pose pas de problèmes : « Je n’ai jamais eu peur, je n’ai jamais ressenti de pressions. Je ne tourne pas assez dans l’année pour que cela m’énerve (sourires) !» Le film se tourne presque entièrement de son point de vue : « C’est vraiment un film totalement axé sur le personnage principal et sur Vapeur. Il y a vraiment trois personnages avec Boulette, le compagnon de Matagne avec qui il forme une espèce de duo. Ce sont deux copains de classe au départ ennemis, et qui finissent par s’entendre ».
Boulette ? Hum… Comment le prend-il, ce petit nom, Benoît Cauden, autre jeune comédien français venu lui aussi du théâtre et pour qui c’est le premier long métrage au cinéma ? « Au début, cela m’a un peu énervé, mais comme tout le monde m’appelait comme ça, j’ai adopté le nom de mon personnage au bout de 48 heures ».
Benoît Cauden et Milan Mauger s’entendent aussi en coulisse comme larrons en foire. Tandis que l’on parle avec le premier, voilà que le second vient se moquer. Et toute la classe de rhéto en question de s’y mettre, formant tout à coup un attroupement où ça vanne, charrie, rigole et donne des coups de coudes tandis que Benoît Cauden, pour ne pas se démonter, surjoue son rôle de… jeune comédien, faisant pour nous un cinéma qui fait beaucoup rire les autres. Valery Wery, la seconde assistante réalisateur, vient interrompre les festivités et annonce qu’on reprend la scène. On repart se mettre en place. On tourne dans la grande salle au rez-de-chaussée aménagée en salle de classe de l’époque : vieux banc et pupitres, tableau vert au mur, faux livres de grammaire sur les tables, tandis que dans l’immense salle de séjour juste à côté, débordante d’éléments de décors, de bibliothèques, de fauteuils, de câbles et de lampes, Yves et la scripte Leenda Mamosa s’installent derrière le combo. Pas pour longtemps. Tandis que Rémon Fromont à la caméra répète les mouvements, cherche l’angle, Yves donne des instructions au chef opérateur avec qui il discute du plan : - « Il est un peu bizarre, ton pano (entendre « panoramique »), Rémon ». - « Mais le geste est un peu bizarre ». - « Et si tu fais le mouvement en même temps ? ». Le film se tourne en Haute Définition : « C’est la première fois que je vois une image comme ça. Je n’avais effectivement jamais tourné en HD mais toujours en pellicule et en 35mm. Il faut du temps pour s'y habituer (rires). C’est un peu étrange ! » Est-ce que l’image lui plaît ? Hum… il hésite : « Je peux pas dire que ça me plaise, je trouve que l’image a un côté un peu vidéo améliorée. Mais en revanche, j’ai vu des rushs tirés sur pellicule et je trouvais ça tout de même assez remarquable. Le travail qu’on peut faire ensuite à l’étalonnage est formidable ! » Et sa manière de travailler s’en trouve-t-elle changée ? Pas vraiment : « C’est vrai qu’on réfléchit moins en termes économiques. La dernière fois, nous avions des fausses teintes sur l’image, des vaches dans un champ. On trouvait ça assez joli, et on s’est dit avec Rémon qu’on pouvait laisser courir la caméra, que cela ne nous coûtait pas grand-chose et l’image, à un moment donné, sera bonne parce que les nuages passeront et découvriront une très belle lumière. On laisse tourner un quart d’heure, ça ne coûte rien. Sinon, ça ne modifie pas mon découpage, cela ne change rien ». Et parce qu’il souhaite un film au ton alerte et vif, « on essaie d’avoir la matière pour monter les scènes rapidement, le jeu est plus rapide que dans une comédie dramatique traditionnelle ».
 
C’est le dernier jour du comédien belge Christian Crahay. Toute l’équipe entonne un « Joyeux anniversaire » dont on ne sait toujours pas s’il était pertinent avant que toute la classe de rhéto ne lance d’une même voix la devise des internes de cet orphelinat : « Loyauté et confiance réciproque ! », puis se disperse dans un joyeux brouhaha pour aller griller, à l’ombre du vieux porche, quelques cigarettes pendant qu’on prépare la scène suivante où Benoît Van Dorslaer vient jouer les remplaçants de Vapeur.
« Aujourd’hui, c’est une scène où Matagne se fait accuser de plagiat par son professeur de français remplaçant, joué par Benoît, qui est un prof un peu teigneux. Il risque de se faire renvoyer du pensionnat. Il n’a pas du tout plagié, il écrit bien». Mais avant de commencer à filmer cette scène, on fait un petit insert sur la main d’un des comédiens qui doit prendre une craie dans la boîte. Indications de mise en scène : « Plus Actor’s Studio, Quentin, plus énergique, la main ! » Et on rit tandis que le réalisateur salue la prestation : « Merci Quentin. C’était tout à fait Actor’s ». Benoit Van Dorslaer répète son texte sur l’estrade tandis que Milan Mauger, au milieu de la pièce, vient lui donner la réplique. Rémon Fromont et Yves Hanchar discutent de l’axe de la caméra, cherchent le mouvement à travers les têtes des jeunes comédiens assis sur leurs bancs, « Yves, pour ce plan large, quel axe ? Ici ? », « Oui, ce serait là, mais on peut tricher un peu si tu veux et inverser Boulette et Bataille ? ». Boulette, nonchalant, vient prendre sa place, et mime l’entrée fracassante d’une star très attendue de ses fans. Ses compagnons se prêtent au jeu et l’acclament. Ici, comme sur les autres tournages, règne cet esprit d’équipe, de famille, où tous travaillent dans le même sens et se côtoient dans une intimité forcée depuis quelques semaines. Mais sur ce plateau, et aujourd’hui en tout cas, pas de cet effort tendu et anxieux qui va d’ordinaire avec le travail. Chacun vaque tranquillement à ses occupations. Tandis que la caméra fait la mise au point, qu’on décide d’un plan américain sur Milan, Yves retourne à ses deux comédiens qu’il dirige : « Un poil plus rapide, tu vois, Benoît ? Il faut que tu le mates, tu dois le vaincre, c’est un sacré zozo, il ne se laissera pas faire ». L’autre Benoît – Boulette -, depuis sa place, lance son grain de sel dans la direction d’acteur « Il n’y a pas un regard caméra là ? ». Yves attrape le grain au vol tranquillement et, après quelques secondes de réflexion : « Oui, c’est drôle, c’est bien ».« Benoît, mets une feuille blanche à côté de ton visage » demande Rémon Fromont pour mesurer la balance des blancs à la caméra. On reponponne Boulette et « Action ! » Deux prises suffiront. Et la voix d’Yves retentit : « Coupez ! Très bien ! Merci ! C’était très bien »!
À la fois tendu et discret, attentionné et énergique, allant et venant à tous les postes, s’amusant des blagues des uns puis concentré sur les demandes des autres, Yves Hanchar multiplie aussi les allées et retours entre chaque prise du combo au plateau : « C’est un peu une frustration parce qu’on aime bien avoir l’image sur le combo parce que c’est un peu l’image définitive du film, mais en même temps, comme j’aime bien les acteurs, j’aime bien sentir l’énergie un peu physique qu’ils dégagent, et ça, je ne peux pas le sentir à travers le combo. Donc j’aime bien me trouver à côté d’eux quand ils jouent. Je suis un peu tiraillé entre le combo et le plateau. Mais j’ai toujours été un peu comme ça. Quand il y a des scènes plus compliquées, des travellings, par exemple, je suis plutôt du côté du combo, et quand on travaille sur des plans plus serrés, en champ contre champ sur des acteurs, alors j’ai plutôt tendance à rester sur le plateau ». Sur le plateau, ça travaille vite. Une répétition, deux ou trois plans et l’affaire est dans le sac. On enchaîne séquences après séquences. Yves, qui n’avait pas tourné depuis quelques années avoue « Au début, j’ai eu un peu dur, il me semble que j’étais un peu rouillé, cela faisait un petit moment que je n’avais plus tourné de long métrage. Maintenant, je me sens très à l’aise. Mais c’est un peu lourd, parce que c’est tout de même un film d’époque, il y a beaucoup de figurants, et finalement, nous n’avions pas tant de jours pour tourner. Il y a une vraie maintenance des costumes et de décors. On tourne aussi sur plusieurs saisons puisque le film dure un an. La scène que vous voyez aujourd’hui se passe normalement en hiver, donc il faut penser à tout, aux costumes, mais aussi qu’on ne va pas filmer les arbres à cause des feuilles, c’est toute une gestion comme celle-là qui est lourde. Il faut un peu gazer, et tous les jours, faire avec l’angoisse de ne pas arriver à temps. Sinon, c’est chouette, parce que c’est du cinéma ! »
Et sur ce, le voilà de nouveau qui rit avant de s’élancer sur la prochaine scène.

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