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Programmation « La guerre est finie ! » au Cinéma NOVA

Publié le 09/09/2016 par Anne Feuillère / Catégorie: Événement

La guerre est (jamais) finie !

Quatrième film et troisième documentaire d'Abbas Fahdel, Homeland : Irak année zéro est un film-fleuve, une oeuvre rare, qui aura mis plus de dix ans à voir le jour. Tourné en 2003 avant et après les bombardements américains sur l'Irak qui firent tombés Saddam Hussein, ce film en deux parties qui durent plus de cinq heures est un monument couronné par la critique, inspiré à la fois par le chef-d’œuvre de Roberto Rossellini et la série Heimat d'Edgar Reitz. Il sera bientôt sur l'écran du NOVA pour cinq séances dont la première, le samedi 10 septembre, aura lieu en présence du réalisateur. Autour de ce portrait d'un famille en pleine guerre, d'un pays déchiré, le NOVA organise une programmation intitulée ironiquement « La guerre est finie ! », qui explore les interminables séquelles politiques, économiques et humaines de ces conflits ravageurs.

Homeland : Irak année zéro nous plonge dans la guerre. Mais il ne s'agit pas de celle des productions hollywoodiennes, spectaculaires où la violence n'est qu'imagerie édulcorée, feux d'artifices divertissants – et obscènes. Pas celle non plus des films de guerre où la caméra se tient près des soldats. C'est du côté de ceux qui la subissent, qui l'attendent, qui en souffrent qu'Abbas Fahdel immerge sa caméra, dans l'espace privée et intime de sa famille à Bagdad, à l'heure où l'Amérique se prépare à bombarder l'Irak et destituer Saddam Hussein. En deux parties, Homeland fait l'impasse sur le moment justement trop spectaculaire des bombardements américains, ces images d'explosions et de ciels traversés de missiles, dont les informations télévisées nous ont abreuvés. Là, le noir coupe le film en deux. Et la vie. Dans la première partie, pendant près de deux heures, le film raconte un quotidien, l'intimité de quelques personnes qui se préparent à la guerre, dans l'espace privée d'une maison. Une famille comme n'importe laquelle qui déroule un « chaque jour », presque normal, s'il n'y avait tous ces préparatifs, cette propagande télévisée continue, les angoisses et les peurs. Et puis, les bombes pleuvent. Une autre temporalité commence : de nouvelles difficultés, de nouvelles angoisses émergent. Alors, le film se met à tourner en rond, les séquences se répètent, les chemins sont inlassablement parcourus, tous les mêmes. Les routes empruntées dans la première partie du film sont désormais des champs de ruine. C'est le temps du traumatisme, d'un temps justement arrêté, qui ne passe plus. Film-somme, indispensable, Homeland rend leur visage, leur dignité et leur individualité aux victimes de cette guerre, de toutes les guerres, à travers cette intimité partagée. Des personnes qui nous deviennent, le temps du film, proches, familières, irremplaçables.

Comme en contre-champ d'Homeland, le NOVA programme le documentaire du réalisateur français Laurent Bécue-Renard Of Men and War qui suit, aux Etats-Unis, les thérapies de groupe de quelques soldats revenus de cette guerre qui ne dit jamais vraiment son nom. Face caméra, Bécue-Renard filme les visages, les récits, les tensions. Il cherche à saisir ce qui s'élabore lentement dans la parole de la guérison. De manière assez frappante, son film rappelle Let There Be Light de John Huston, un film de commande tourné en 1947. À Long Island, l'armée américaine soignait ses soldats au retour du front, privés de l'usage de leurs bras, de leurs mots, plein de tics ou de cauchemars, incapables de se tenir debout ou de parler sans pleurer. Après quelques rencontres avec des psychiatres, quelques séances d'hypnoses, on les retrouve sur pied, joyeux, prêts à reprendre une vie normale. Sauf que Huston, s'il répondait à une commande de propagande, levait le voile sur l'horreur de la guerre, les innombrables blessures, les traumatismes profonds et terribles d'hommes désormais handicapés. Resté dans les placards de l'armée américaine, le film ne fut diffusé qu'en 1981. Il sera possible de voir les deux films au NOVA en regard l'un de l'autre.
Autre contre-champ à Homeland, le NOVA programme l’entièreté de la trilogie de Laura Poitras portrait des Etats-Unis post 11 septembre. Le premier documentaire de la réalisatrice américaine, My country, my country suivait les premières élections démocratiques en Irak. The Oath, lui, cherche à se saisir des ambiguïtés violentes du pays à travers le procès d'un prisonnier de Guantánamo. Et dessine le visage grimaçant de cette Amérique d'aujourd'hui, tiraillée entre principe constitutionnel et sécurité intérieure, tortures et autres privations des libertés. Enfin, dans Citizenfour, la guerre perpétuelle du renseignements, de l'espionnage et de l'information fait rage, violemment, autour d'Edouard Snowden et de ses révélations.

Do Not Resist, primé au dernier festival de Tribeca, tire lui aussi les ramifications de cette guerre en Irak à l'intérieur même des Etats-Unis, mais à un autre endroit. Ce premier film de Craig Atkison tente de saisir comment la police, peu à peu, se militarise pour des raisons d'abord d'ordre économiques. C'est que l'armée américaine refourgue, à coup de subventions, son surplus de production. Mais en s'immergeant dans les rues de Ferguson, au moment des émeutes qui ont suivi l'assassinat de Michael Brown, Do Not Resist saisit très justement en quoi ces changements de matériels en impliquent d'autres bien plus graves : des changements de méthodes et de rôles. Dans Do Not Resist, la police, suréquipée comme en Irak, se prend peu à peu pour l'armée et comme il n'y a plus d'Indiens, les Américains eux-mêmes, les civils, font office de cibles. Cet aspect de la guerre qui, de plus en plus, se joue des Etats à leurs populations, The Lab, le documentaire très courageux de Yotam Feldman, s'y plonge lui aussi à travers l'industrie militaire de l'Etat d'Israël. Construit (faussement) naïvement autour d'une série d'interviews d'hommes d'affaires très influents et de politiciens, Feldam révèle comment Israël fait de Gaza et des territoires palestiniens son espace d'entraînement, d'élaboration et de test de toute une artillerie et d'une idéologie de la guérilla urbaine qu'elle vend ensuite au monde entier. L'ennemi est devenu intérieur, on l'aura compris.

Avec Colonel Blimp, le très beau film de Michael Powell et Emeric Pressburger, un livesoundtrack autour du classique de ‎D. W. Griffith, The Birth of a Nation, un film de genre pas piqué des zombies, Deathdreams, The American Way ou la révolte de soldats devenus violemment pacifistes, autour la guerre du Biaffra avec en pièce de maître The Half of the Yellow Sun, le programme « La guerre est finie » est loin de l'être...


Programmation « La guerre est finie ! » au Cinéma NOVA
Du 8 septembre au 23 octobre

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