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Rencontre avec Alban de Fraipont & Romain Leloux, organisateurs du CinéWa

Publié le 06/07/2020 par David Hainaut et Constance Pasquier / Catégorie: Entrevue

« Face aux crises, le cinéma a toujours su rebondir. »

Organisé depuis 2016 dans l'unique cinéma de Waterloo (Cinés Wellington), le CinéWa met huit lundis par saison un film belge en avant, en l'encadrant d'une rencontre entre un professionnel et le public. 

Après Music Hole, Jumbo puis l'interruption liée au Covid-19, l'initiative reprend exceptionnellement un mercredi (1er juillet) avec la diffusion de La Forêt de mon père de Véra Cratzborn, un mois avant sa sortie nationale. 

Rencontre avec le duo de coordinateurs de ce projet atypique, Alban de Fraipont et Romain Leloux, deux jeunes trentenaires dynamiques et polyvalents, le premier étant par ailleurs directeur du Festival du Film Historique de Waterloo (le WAHFF) depuis l'an dernier, le second œuvrant notamment dans la distribution.

Cinergie : Un rappel s'impose d'abord : pourquoi avoir lancé le CinéWa, il y a bientôt quatre ans ?
Alban de Fraipont : Nous sommes amis, et à l'époque, en réfléchissant à nos compétences respectives, nous avions l'envie commune d'apporter quelque chose de neuf dans la manière de communiquer au cinéma. Celui de notre pays nous intéressait, car on y voyait là quelques opportunités, surtout pour l'aider dans sa promotion.
Romain Leloux : Oui, on sentait qu'il y avait quelque chose à faire pour épauler distributeurs, producteurs et réalisateurs, en ayant remarqué que souvent, ces derniers devaient se débrouiller pour faire parler d'eux, en faisant leurs capsules sur les réseaux, etc. 

 

C. : Avant cela, ce cinéma belge, vous le connaissiez comment ?
A.d.F :
Dans les grandes lignes, comme tout le monde, en pouvant citer quelques-uns qui sortaient du lot, comme les Dardenne, Van Dormael etc... Mais quand on a lancé le CinéWa qui, je le précise, était un concept proposé par l'échevin de la culture de Waterloo (NDLR: le dynamique Yves Vander Cruysen), c'est là qu'on a vraiment découvert notre cinéma sous d'autres angles, en constatant qu'il était d'une diversité aussi méconnue qu'incroyable, avec des films en tout genre, en fait. Raison de plus pour partager cela avec un public qui lui non plus, ne le connaît pas toujours très bien...
R.L. : ...ça a d'ailleurs vite pris, car à peu de choses près, les réservations sont toujours sold-out ! La preuve encore avec le film de ce mois-ci, La Forêt de mon père, où avec les mesures liées au déconfinement, on a dû réquisitionner trois salles. C'est d'ailleurs assez génial de se dire que les gens voulaient à ce point revenir au cinéma...
A.d.F : La Forêt de mon père est un premier long, très touchant, et nous sommes sincèrement heureux d'avoir choisi celui-là pour notre rentrée... 

 

C. : Vu la masse de films qui sortent chaque année, comment opérez-vous cette sélection annuelle de huit films ?
A.d.F. :
Toute l'année, on scrute ce qui existe sur le marché, aussi via nos contacts avec les producteurs et les distributeurs. On reçoit des liens pour les visionner puis on y réfléchit, en tenant compte tant de nos goûts que ceux du public. On choisit ce qui nous plaît, en étant parfois impitoyable, pour proposer quelque chose qui nous a touché. Au fil du temps, on a remarqué que les gens aimaient quand on leur conseillait une sélection. Et quand on est programmateurs et qu'une relation de confiance est établie avec le public, que celui-ci sent que nous sélectionnons des films avec cœur et même amour, en considérant toutes les sensibilités, les gens apprécient. Du coup, certains viennent systématiquement, sans même savoir ce qu'ils vont voir ! Parce qu'ils savent à présent qu'ils ne seront pas déçus.
R.L. : Oui, c'est vrai que beaucoup de gens s'abonnent. Et c'est un public large, avec quand même pas mal de cinéphiles qui aiment voir beaucoup de films. Preuve qu'une telle porte vers le cinéma belge est intéressante et que l'objectif initial est atteint. Ce qui étonne certains, parfois. Quand on a par exemple programmé Les Chevaliers Blancs de Joachim Lafosse, le réalisateur nous a dit en venant, un peu en guise de boutade, "Si votre salle est pleine comme vous me le dites, je vous promets l'avant-première de mon film suivant". Et finalement, c'est exactement ce qui s'est passé plus tard, avec L'Économie du couple! (rire).
A.d.F. : Parfois, on est surpris des réactions de la salle, tant des intervenants que du public. Mais on remarque aussi que les gens aiment l'aspect événementiel et l'échange avec le ou les membres de l'équipe du film présent(s). C'est en fait un moment de débat privilégié plutôt rare, avec des films qu'on propose souvent en avant-première. C'est donc parfois les toutes premières réactions publiques qu'un réalisateur entend sur son film, non sans une certaine émotion, après avoir parfois travaillé cinq ou dix ans sur un projet. En fait, chacun s'y retrouve.
R.L. : Puis, les professionnels se parlent vite entre deux donc, on a un bon bouche à oreille, je crois. Bouli Lanners est venu, les frères Dardenne deux fois, etc. C'était forcément plus compliqué d'inviter un "nom" au début, mais ça l'est beaucoup moins aujourd'hui. Ce qui est évidemment positif pour notre public. 

 

C. : On pourrait dire que ce type de rendez-vous mensuel est unique en Belgique, non ?
R.L. : À ma connaissance, il n'y a pas de projet équivalent...
A.D.F. : Non, mais il y a plusieurs cinémas, d'art et essai notamment, qui font beaucoup pour proposer des films belges pas toujours accessibles, comme le Palace à Bruxelles ou les Grignoux (NDLR: à Liège et à Namur). Dans des concepts différents, mais là aussi avec une éditorialisation comme fil conducteur et ce lien entre les sélectionneurs et le public. Les Grignoux sortent même une newsletter en papier qui est bien distribuée et chaque fois très attendue par les cinéphiles. Ils sont parfois surpris par ce qu'ils découvrent, mais ils savent que la qualité sera au rendez-vous.

 

C. : Et dire que certains parlent de la fin du cinéma...
A.d.F. : (Sourire) La crise du Corona aura quand même un impact, comme dans beaucoup de secteurs. Mais la fin du cinéma, ce n'est pas pour tout de suite. Le cinéma reste un milieu d'artisans, qui a toujours su rebondir face aux crises et puis, on le sait, il y a un besoin humain, presque primal, autour de l'art en général, du septième art en particulier. Il y aura toujours des histoires à raconter et l'envie commune de se retrouver autour d'un écran. Et non, la salle ne mourra pas à cause de la vidéo à la demande : ce sont deux médiums complémentaires et moins en concurrence qu'on ne le pense ! L'année à venir sera certes peut-être compliquée, mais le cinéma en a vu d'autres et rebondira. Avec peut-être même des films encore meilleurs et des spectateurs encore plus excités...

 

C. : Et ce cinéma belge, finalement, vous le voyez évoluer comment ?
A.d.F. : Oh, on entend souvent qu'il ne trouve pas son public. C'est un vaste sujet et je ne prétends pas avoir la réponse, mais il faut savoir séparer les choses : ce n'est pas spécialement le cinéma belge qui peine, mais le cinéma d'auteur dans son ensemble, et comme on a une longue tradition dans ce genre ici, on confond souvent les deux ! Moi, je pense que le spectre est en train de bien s'élargir chez nous, via les efforts fournis par nos instances. Derrière nos films qu'on appelle "sociaux" comme ceux des Dardenne, qui sont d'ailleurs excellents, on aura par exemple bientôt une comédie géniale, Adorables. Et n'oublions pas les films que font Adil El Arbi et Bilall Fallah (Black, Bad Boys 3...), ceux de Nabil Ben Yadir, et beaucoup d'autres, encore...
R.L. : Moi, je trouve que l'intérêt du cinéma belge actuel, c'est qu'il peut offrir un point de vue qui nous élève et qui se situe quelque part entre le cinéma de genre et celui d'auteur. Après, on connaît tous la difficulté que représente une sorte nationale, qui réclame énormément d'efforts en communication et marketing, avec certains films qui n'ont hélas pas le temps de s'installer, face à la masse qui sort chaque semaine. Peut-être que là, à terme, la vidéo à la demande pourrait jouer un rôle de rattrapage...
A.D.F. : Oui, et notre cinéma va poursuivre son évolution en continuant de s'ouvrir: on pourrait en parler des heures! Il faut juste se méfier d'un discours trop misérabiliste, qui peut s'avérer contre-productif. Les gens n'ont pas envie d'aller voir un film belge par charité, car ça leur donne vite l'impression de cinéma non-valable et de visionnable que s'il est aidé ! Notre expérience ici nous le prouve : les gens ne viennent pas voir un film parce qu'il est belge mais parce qu'il est bon ! D'où notre attention de continuer à bien choisir et varier les films. De l'importance de l'éditorialisation, encore une fois !

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